En cette fin 2016, le marché du Cloud public est en pleine effervescence avec une avalanche d’actualités et d’annonces. Ce jeune marché est entré dans une phase de très forte croissance en même temps qu’il connaît un mouvement de concentration autour de trois géants américains qui risquent de ne laisser aucune place aux européens.

Le cloud public est la dernière phase de l’évolution qui a conduit les entreprises à graduellement externaliser leurs moyens d’infrastructures informatiques : les serveurs, le stockage, les réseaux… Le cloud public, c’est la fourniture en self-service de ces moyens hébergés en des data centers ; par rapport au cloud privé, ses caractéristiques sont :

– L’accessibilité depuis un accès internet ou un réseau privé VPN,
– Une très grande scalabilité des moyens,
– Le paiement à la ressource consommée,
– Le self-service, avec un portail web permettant au client de commander, gérer, et contrôler ses ressources en toute autonomie,
– Un délai de déploiement très rapide,
– Un mode très industrialisé et mutualisé pour réaliser des économies d’échelle, standardiser les services et automatiser au maximum les opérations.

Accélération de la croissance et de la concentration

Aujourd’hui, le marché du cloud public est en pleine accélération. Il est sorti du segment des « early adopters » pour atteindre un niveau de maturité qui lui permet de conquérir les « majority pragmatics ».

Et sur ces derniers mois de 2016, le constat est celui d’une double accélération de la croissance et de la concentration du marché :

– Amazon annonce au 3ème trimestre 2016 un taux de croissance de 55% pour un chiffre d’affaire de 3,3Mds$, ce qui lui permet d’atteindre 12mds$ sur un an, le tout avec un résultat opérationnel conséquent,
– Chez Microsoft, les résultats du 3ème trimestre 2016 ont fait flamber le titre (+5,9% dans la journée) avec les bonnes performances (+8%) des deux branches liées au cloud, les logiciels (maintenant largement vendus en SaaS) et le la division « Intelligent Cloud »,
– Amazon et Microsoft viennent d’annoncer l’ouverture de datacenters en France en 2017,
– Google a procédé à un regroupement de ses activités Cloud pour affirmer sa stratégie, au-delà des effets d’annonce, il ne faut pas sous-estimer l’investissement engagé dans les infrastructures et solutions Cloud,
– Le dernier Magic Quadrant de Gartner montre Amazon Web Services et Microsoft loin devant tous les autres acteurs, Google seul parvenant à suivre les deux leaders,

– Rackspace, acteur historique d’un cloud “managé” plus que “public”, est à la peine. Il vient d’être repris par le fonds Appollo. Sa croissance en 2015 était légèrement supérieure à 10% mais inférieure à celle d’Amazon Web Services ou Microsoft Azure,
– Commentant le trimestre d’Oracle clos au 31 août, Larry Ellison annonçait une offensive forte dans le Cloud public et le IaaS, prenant pour cible directe Amazon Web Services. Ces déclarations, ainsi que le niveau de CA de 171M $ dans le IaaS, actaient en même temps du retard du géant des bases de données sur le marché,
– VMware, jusqu’il y a peu rival d’Amazon, a revu ses ambitions à la baisse et vient même d’annoncer en octobre un partenariat avec AWS qui revient à proposer de porter son service de cloud sur les infrastructures d’Amazon Web Services,

C’est bien un trio de 3 géants américains, Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google, qui se positionne largement en tête du peloton et l’on peut se demander s’il va rester une place pour les européens.

Quelle place va-t-il rester aux européens ?

Dans ce fracas d’annonce des derniers mois, le silence des européens est assourdissant. Les grands opérateurs télécom, Orange ou Deutsch Telekom, ont bien des offres, mais ils s’appuient manifestement avant tout sur leur base installée pour les promouvoir plutôt que de mettre en avant leur innovation et l’agilité de leur cloud. Le communiqué important le plus récent est celui de DT fin 2015 annonçant le lancement de son offre DSI Intercloud et sa volonté de concurrencer Amazon et Google.

Autre exemple, deux des plus grandes ESN françaises et européennes, Sopra Steria et Atos, ont précisé ces derniers mois leur stratégie qui consiste à se positionner comme des acteurs de la transformation numérique et de l’intégration du Cloud comme composant de cette transformation. En d’autres termes, pas d’ambition d’aller concurrencer Amazon, Microsoft ou Google sur le terrain du IaaS ou du PaaS. Sopra Steria et Atos accompagneront leurs clients grands comptes sur du conseil et des services d’intégration et d’orchestration des Clouds publics.

Restent des acteurs récents et spécialisés comme OVH, qui vient d’annoncer ses ambitions lors de son rendez-vous annuel. Implantation mondiale, développement de l’offre vers du PaaS, OVH qui vient de lever 250M€, est à l’offensive pour rivaliser avec les plus grands. Mais il reste un acteur modeste à l’échelle des moyens d’Amazon ou Microsoft.

Il faut dire que les trois grands américains disposent d’atouts majeurs avec lesquels les européens auront du mal à rivaliser :

– Tous trois disposent d’une échelle considérable dans leur métier historique et les capacités d’investissement correspondantes,
– Amazon et Google ont développé leurs offres de Cloud Public autour d’infrastructures montées pour leurs propres besoins. Ils ont démarré avant tout le monde et disposent déjà d’une implantation mondiale, d’un réseau considérable de data centers équipés, et d’un vrai savoir-faire en matière d’industrialisation,
– Microsoft peut s’appuyer sur sa position dominante dans les logiciels pour financer son infrastructure cloud et attirer ses clients historiques sur ses offres SaaS, comme c’est déjà le cas par exemple avec Office 365.

Le retard pris par l’Europe est inquiétant, sans réaction rapide dans les deux ans qui viennent, il est probable que l’essentiel des données des entreprises européennes seront à horizon de quelques années hébergées sur des cloud public de groupes américains, et le protectionnisme juridique des pays n’y pourra rien faute d’alternative crédible et compétitive. Les acteurs européens doivent passer rapidement des alliances et s’organiser pour parvenir à peser face à leurs rivaux américains.

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Christophe Lejeune est Directeur Général d’Alfa Safety