Pratiques anti-concurrentielles : la Commission inflige à Google une amende de 2,42 milliards d’euros pour abus de position dominante sur le marché des moteurs de recherche en favorisant son propre service de comparaison de prix.

On a déjà l’impression de déjà-vu. On se souvient de l’affaire des navigateurs où Microsoft essayait d’imposer son propre logiciel au détriment de ceux des concurrents ou qu’il favorisait ses applications en s’appuyant sur son système d’exploitation.

Là on passe à un niveau supérieur. La Commission a infligé à Google une amende de 2,42 milliards d’euros pour violation des règles de concurrence de l’UE. Google a abusé de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche en conférant un avantage illégal à un autre de ses produits, son service de comparaison de prix. C’est la plus grosse amende jamais infligé à une entreprise commerciale. Sachant qu’il y a un autre dossier en cours concernant Android.

Google doit à présent mettre fin à cette pratique dans les 90 jours, sans quoi elle sera soumise à des astreintes pouvant atteindre 5% du chiffre d’affaires moyen réalisé quotidiennement au niveau mondial par Alphabet, la société mère de Google.


Conséquences de la décision

L’amende d’un montant de 2 424 495 000 d’euros tient compte de la durée et de la gravité de l’infraction. Conformément aux lignes directrices de la Commission pour le calcul des amendes de 2006 (voir le communiqué de presse et le MÉMO), l’amende a été calculée sur la base de la valeur des recettes que Google réalise grâce à son service de comparaison de prix dans les 13 pays de l’EEE concernés.

En vertu de la décision de la Commission, Google doit mettre un terme à son comportement illégal dans un délai de 90 jours à compter de la décision et s’abstenir de toute mesure ayant un objet ou un effet identique ou équivalent. En particulier, la décision enjoint Google de respecter le simple principe d’égalité de traitement entre les services concurrents de comparaison de prix et son propre service.


« Google est à l’origine d’un grand nombre de produits et de services innovants qui ont changé notre vie, ce qui est positif, explique Margrethe Vestager, la commissaire chargée de la politique de concurrence. Mais sa stratégie relative à son service de comparaison de prix ne s’est pas limitée à attirer des clients en rendant son produit meilleur que celui de ses concurrents. En effet, Google a abusé de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche en favorisant son propre service de comparaison de prix dans ses résultats de recherche et en rétrogradant ceux de ses concurrents.

Ce que Google a fait est illégal au regard des règles de concurrence de l’UE. Elle a empêché les autres sociétés de livrer concurrence sur la base de leurs mérites et d’innover. Et surtout, elle a empêché les consommateurs européens de bénéficier d’un réel choix de services et de tirer pleinement profit de l’innovation. »

Stratégie de Google concernant son service de comparaison de prix

Le raisonnement de la Commission est simple et s’appuie sur un historique détaillé de l’activité de Google. Le moteur de recherche fournit des résultats de recherche aux consommateurs, ceux-ci rémunérant le service en transmettant les données les concernant. Près de 90 % des recettes de Google proviennent des publicités (D’où viennent les milliards d’Alphabet ?), comme celles que la société montre aux consommateurs en réponse à une demande de recherche.

En 2004, Google est arrivée sur le marché distinct des services de comparaison de prix en Europe en lançant un produit appelé au départ « Froogle », rebaptisé ensuite « Google Product Search » en 2008 et dénommé depuis 2013 « Google Shopping ». Ce produit permet aux consommateurs de comparer des produits et des prix en ligne et de trouver des offres de détaillants en ligne de toute sorte, dont des magasins en ligne de fabricants, des plateformes (comme Amazon et eBay) et d’autres revendeurs.

Lorsque Google est arrivée sur les marchés des produits de comparaison de prix avec Froogle, plusieurs acteurs y étaient déjà bien implantés. Il ressort de documents de Google datant de cette époque que la société avait connaissance des résultats relativement médiocres de Froogle sur le marché (selon un document interne de 2006: «Froogle simply doesn’t work»).

Pour être compétitifs, les services de comparaison de prix dépendent en grande partie du trafic généré. Plus de trafic engendre plus de clics, ce qui génère plus de recettes. En outre, plus de trafic attire aussi plus de détaillants qui souhaitent inscrire leurs produits sur un service de comparaison de prix. Compte tenu de la domination exercée par Google sur le marché de la recherche générale sur l’internet, son moteur de recherche est une source importante de trafic pour les services de comparaison de prix.

En 2008, Google a commencé à introduire sur les marchés européens un changement fondamental dans sa stratégie visant à promouvoir son service de comparaison de prix. Cette stratégie était fondée sur la domination exercée par Google sur le marché de la recherche générale sur l’internet, et non sur une concurrence basée sur les mérites sur les marchés de la comparaison de prix :

– Google a toujours accordé une position de premier plan à son propre service de comparaison de prix : lorsqu’un consommateur introduit une demande dans le moteur de recherche de Google, pour laquelle le service de comparaison de prix de Google montre des résultats, ceux-ci sont affichés en haut ou dans la première partie des résultats de recherche;

– Google a rétrogradé les services de comparaison de prix concurrents dans ses résultats de recherche : les services concurrents de comparaison de prix apparaissent dans les résultats de recherche de Google sur la base des algorithmes de recherche générique de Google. Google ayant assorti ces algorithmes de plusieurs critères, les services de comparaison de prix concurrents sont rétrogradés. Il est établi que même le service concurrent le mieux classé n’apparaît en moyenne qu’à la page quatre des résultats de la recherche de Google, les autres figurant encore plus bas. Le service de comparaison de prix de Google n’est pas soumis aux algorithmes de recherche générique de Google, dont à ces rétrogradations.

Par conséquent, le service de comparaison de prix de Google est bien plus visible pour les consommateurs dans les résultats de recherche de Google, alors que les services de comparaison de prix concurrents sont beaucoup moins visibles.

Il est établi que les consommateurs cliquent beaucoup plus souvent sur les résultats les plus visibles, c’est-à-dire les résultats qui apparaissent le plus haut parmi les résultats de recherche générale de Google. Même sur un ordinateur de bureau, les dix premiers résultats de recherche générique sur la page 1 reçoivent ensemble généralement 95 % de l’ensemble des clics effectués sur les résultats de recherche générique (le résultat classé en premier recevant près de 35 % de l’ensemble des clics). Le premier résultat de la page 2 des résultats de recherche générique de Google ne reçoit que 1 % environ du total des clics. Cette répartition ne peut s’expliquer par le simple fait que le premier résultat est plus pertinent, car il est également établi que le fait de décaler le premier résultat à la troisième place entraîne une diminution d’environ 50 % du nombre de clics. Les effets sur les appareils mobiles sont encore plus prononcés en raison de la taille beaucoup plus petite de l’écran.

Cela signifie qu’en accordant une position de premier plan uniquement à son service de comparaison de prix et en rétrogradant ses concurrents, Google a conféré un avantage significatif à son service de comparaison de prix par rapport à ses rivaux.

Violation des règles de concurrence de l’UE

Les pratiques de Google constituent un abus de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche, au motif que la société bride la concurrence sur les marchés de la comparaison des prix.

En soi, le fait d’occuper une position dominante sur le marché n’est pas illégal au regard des règles de concurrence de l’UE. Il incombe néanmoins tout particulièrement aux entreprises dominantes de veiller à ne pas abuser de leur pouvoir de marché en restreignant la concurrence, que ce soit sur le marché où elles détiennent une position dominante ou sur des marchés distincts.

La décision adoptée aujourd’hui conclut que Google occupe une position dominante sur les marchés de la recherche générale sur l’internet dans l’ensemble de l’Espace économique européen (EEE), c’est-à-dire dans les 31 pays de l’EEE. Elle a constaté que Google exerce une position dominante sur les marchés de la recherche générale sur l’internet dans tous les pays de l’EEE depuis 2008, à l’exception de la République tchèque, où, selon la décision, Google occupe une position dominante depuis 2011.

Google a abusé de sa position dominante sur le marché en conférant un avantage illégal à son propre service de comparaison de prix. La société a accordé une position de premier plan dans ses résultats de recherche uniquement à son propre service de comparaison de prix, tout en rétrogradant les services de ses rivaux. Elle a étouffé la concurrence fondée sur les mérites sur les marchés de la comparaison de prix.

L’effet des pratiques illégales de Google

Les pratiques illégales de Google ont eu une incidence particulière sur la concurrence entre son propre service de comparaison de prix et les services de ses concurrents. Elles ont permis au service de comparaison de prix de Google de réaliser des gains importants de trafic aux dépens de ses concurrents et au détriment des consommateurs européens.

Compte tenu de la domination exercée par Google sur le marché de la recherche générale par l’internet, son moteur de recherche est une source importante de trafic. Du fait des pratiques illégales de Google, le trafic vers son service de comparaison de prix a considérablement augmenté, alors que ses concurrents ont essuyé durablement des pertes très importantes de trafic.