La Commission européenne avait annoncé en janvier 2017 vouloir lancer plusieurs initiatives « pour créer une économie européenne fondée sur les données[1] » dans le cadre de sa stratégie pour le marché unique du numérique. Si le Conseil souscrit au lancement d’une initiative européenne pour favoriser la circulation des données en Europe, il considère que les barrières à la circulation des données se situent moins au niveau des frontières nationales qu’au niveau des stratégies de lock-in et de rétention de données entre acteurs économiques et que l’action de la Commission européenne devra poursuivre en priorité l’objectif de faire émerger un environnement de la donnée ouvert, favorable à la concurrence et à la diffusion des capacités d’innovation.

Dans le cadre de la consultation lancée par la Commission européenne sur l’économie de la donnée, les membres du Conseil national du numérique se sont prononcés sur les premières propositions établies par la Commission sur la circulation des données pour le développement d’un marché unique du numérique. Le Conseil a tout d’abord souhaité rappeler les incertitudes liées à l’introduction d’un principe général de libre circulation des données, compte-tenu des réalités extrêmement diverses recouvertes par le terme de donnée et de la multitude d’usages et de marchés que les données pourraient encore faire émerger.

Si les données à caractère personnel sont exclues des réflexions de la Commission, les limites des techniques d’anonymisation et de « pseudonymisation » pointent néanmoins les risques d’une telle distinction. Enfin, le Conseil indique dans son avis que la reconnaissance d’un principe de circulation des données au niveau européen pourrait constituer un argument pour le consacrer dans les accords de libre-échange à venir. Cela conduirait à faciliter le transfert de donnée sans contrôle hors de l’Union européenne et cette perspective soulève des enjeux majeurs en termes de compétitivité, de protection des consommateurs et de respect des droits fondamentaux.

Pour Guy Mamou-Mani, vice-président du Conseil, « La consécration d’un principe de libre circulation des données en Europe, mais surtout au niveau international, soulève des enjeux majeurs en matière de souveraineté numérique. Si l’harmonisation des règles au niveau européen est essentielle, la question de la localisation des serveurs devra être soumise à une analyse extrêmement détaillée et à un dialogue entre les États. »

Le Conseil s’oppose également au renversement du paradigme traditionnel de la protection juridique sur les données par l’introduction d’un droit de propriété, qui pourrait considérablement accroître l’insécurité juridique autour du partage de données entre entreprises, organismes publics ou chercheurs. La protection juridique actuelle accordée aux producteurs de bases de données se limite en effet à l’investissement substantiel du producteur de la base de données pour la constitution de celle-ci, sans couvrir les données elles-mêmes, qui doivent rester de libre parcours.

Pour Célia Zolynski, membre du CNNum, « Il y a un véritable risque de multiplication des contentieux avec l’introduction d’un droit de propriété. Dans de nombreuses situations, il semble en effet extrêmement difficile voire impossible de définir le détenteur légitime d’une donnée. L’objectif initialement poursuivi de clarification du cadre légal pour le partage de donnée pourrait alors être largement manqué. »

Aux yeux des membres du Conseil, il est prioritaire de s’interroger avant tout sur les incitations au partage de données entre acteurs, alors même que la création de valeur réside dans le croisement de données pour en tirer de nouvelles informations et développer de nouveaux services.

Pour Daniel Kaplan, membre du Conseil national du numérique, « Dans un très grand nombre de cas, les données sont produites de manière ancillaire, pour servir un processus industriel : elles sont un moyen plutôt qu’une fin. Il s’agit donc moins de développer de nouvelles incitations à la constitution de bases de données que d’encourager le croisement de ces bases avec d’autres sources de données. »

Le Conseil propose ainsi à la Commission d’orienter ses réflexions sur les modalités d’accès aux données, avec la création d’un droit à la portabilité pour les utilisateurs d’un service, mais aussi par la consécration de certaines exceptions à la directive sur les bases de données, afin de permettre la fouille de textes et de données dans le cadre d’une activité de recherche par exemple.

Pour Sophie Pène, vice-présidente du CNNum, « Plutôt que de créer des formes de propriété nouvelles qui pourraient venir enclore une ressource pourtant non-rivale et facilement reproductible, il s’agit bien de penser des modes de gestion et d’accès nouveaux, qui permettraient de démultiplier les bénéfices espérés de l’analyse des mégadonnées. Un tel accès devient un enjeu capital, car il doit permettre d’opérer des fouilles automatisées dans l’immensité des documents scientifiques disponibles, notamment dans le cadre de recherches interdisciplinaires qui nécessitent de croiser des bases de données de nature différente. »

Le Conseil appelle également la Commission à réaliser des études sectorielles pour identifier les situations dans lesquelles la donnée peut être considérée comme une infrastructure, lorsque le développement de produits et de modèles économiques est conditionné à l’accès à ces données et qu’il n’est pas possible de les reproduire par des moyens raisonnables. Dans ce cadre, l’introduction d’une obligation de licence non-discriminatoire devrait être envisagée. Le document du CNNum conclut enfin sur la définition de mécanismes d’incitation au partage de données entre acteurs, autour de grands projets industriels européens, de programme de recherche ou encore d’un objectif de politique publique.

 

[1] Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions « Créer une économie européenne fondée sur les données ».