Quand j’ai débuté dans le métier, je voyais les entreprises industrielles classiques comme de véritables « dinosaures », qui appartenaient à la « vieille économie ». Pour moi, il s’agissait de lents mastodontes menacés d’extinction imminente, rendus obsolètes par l’émergence de sociétés de haute technologie comme Nokia, Intel ou Microsoft. Dans mon esprit, ces industriels classiques offraient un contraste saisissant avec la « nouvelle économie » dans laquelle je travaillais. Du côté du high tech et des logiciels, tout était cool, l’innovation et le progrès infusaient toute chose. Du côté de l’industrie, c’était l’ennui, le cambouis, l’obsolescence. Mais cette distinction trompeuse entre le high tech et l’industrie s’estompe de plus en plus sous l’effet du passage progressif de l’industrie elle-même vers les hautes technologies numériques. 

Nous constatons tous de nos propres yeux, dans de nombreux produits manufacturés, les signes extérieurs de cette transformation numérique. Aujourd’hui, tout se connecte au sein de ce qu’il est convenu d’appeler l’Internet des objets (IOT). La voiture est un exemple évident de cette transition accélérée vers le numérique et le tout-innovation. Quand on écoute de la musique en streaming via Bluetooth dans sa voiture, ou bien quand on utilise son GPS pour trouver sa route, ce sont autant d’indices manifestes du fait que la voiture est devenue un système mobile informatisé. Tesla est en train de révolutionner la voiture électrique et l’industrie automobile grâce à l’utilisation de petites batteries lithium-ion cylindriques. Google travaille sur la voiture autonome. Et Bloomberg a récemment porté à notre attention l’investissement réalisé par Larry Page, le fondateur de Google, au sein de deux start-ups dont l’objectif est de développer des voitures volantes.

Ces mutations technologiques sont spectaculaires, mais elles ne sont que les symptômes les plus visibles d’une transformation numérique plus profonde qui touche l’industrie elle-même en plein cœur.

Aujourd’hui, les puces électroniques, capteurs et autres logiciels qui équipent toutes sortes de produits manufacturés nous enseignent que la plupart des objets de notre quotidien contiennent désormais des systèmes informatiques. On peut les connecter à Internet, les actionner ou les diagnostiquer à distance.

Ce qui se cache derrière ce constat est un profond changement dans le processus de fabrication industrielle lui-même. Le passage de l’industrie au numérique ne prétend pas marcher autant à l’imagination que l’idée d’une voiture autonome, mais il n’en fait pas moins des entreprises industrielles traditionnelles l’équivalent des sociétés de high tech agiles qui dominent aujourd’hui le marché. Toute l’industrie n’a pas encore atteint ce stade, bien sûr. Mais la majorité des industriels tentent aujourd’hui de revoir leurs circuits d’innovation et le processus de fabrication de leurs produits, leur logistique et leur service clients. IDC estime que les industriels vont investir plus de 2 100 milliards de dollars pour réaliser leur transformation numérique d’ici 2019. Ils ont déjà dépensé 224 milliards de dollars sur des technologies allant dans ce sens. Comme le relève justement IDC, les facteurs qui poussent vers le tout-numérique sont l’orientation client, la volonté d’améliorer la qualité des produits, le besoin urgent d’innovation produit et la nécessité de pouvoir répondre le plus vite possible aux opportunités commerciales qui se présentent.

Qu’est-ce que la transition numérique de l’industrie ?
D’une manière générale, cela implique le passage au numérique non seulement des produits, mais des processus d’innovation et de collaboration et jusqu’aux procédés industriels eux-mêmes. La façon dont différents groupes au sein et hors de l’entreprise industrielle, disposant de différents types de savoirs spécialisés, peuvent collaborer joue un rôle crucial dans ce changement. De nos jours, les produits sont plus complexes et débordent sur différents domaines d’ingénierie, sans parler des frontières géographiques. Par conséquent, la collaboration dans tous les compartiments de fabrication du produit et au sein de toutes les spécialités que cela implique est plus fondamentale que jamais si l’on souhaite développer et encourager l’innovation autour des produits nouvellement numérisés. En outre, l’immense nombre de produits désormais connectés ou équipés de capteurs intégrés oblige les industriels à transformer la façon dont ils recueillent et analysent les données des utilisateurs et bouleverse leur vision du service client.

Tous ces changements, et bien d’autres encore, ne font que renforcer le besoin de diffuser au sein de l’entreprise les informations liées au produit. Selon IDC, « l’information se trouve au cœur de ce nouvel écosystème numérique. Il convient donc de la traiter comme n’importe quel autre actif, en y associant une gouvernance adaptée et en investissant en conséquence afin de maximiser sa valeur dans l’organisation ». Si on associe ce besoin croissant à l’émergence du cloud, du big data et des technologies mobiles, on obtient un mélange instable de changements synchrones qui nécessite de la stratégie, de la gouvernance et des processus adaptés. Mais le fait est que cette transition numérique change vraiment la façon de faire de l’industrie dans tous les domaines.

C’est pourquoi la transition numérique est traitée, non comme une tâche isolée pour différents services, mais comme une initiative stratégique globale, dans la mesure où elle traverse l’intégralité de l’entreprise. Et le succès de ce programme de transition numérique permettra de déterminer pourquoi certains dinosaures du passé parviendront à survivre pour devenir les géants du high tech et du digital d’aujourd’hui mais aussi de demain.

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Stefan Waldhauser est Directeur Sénior Industrie Marketing d’Alfresco