L’intelligence artificielle fait partie intégrante de la réalité, et on la retrouve dans de nombreux services, systèmes et applications.

3-ia-1Tel est le constat que tire le Cigref dans le livre blanc intitulé « Gouvernance de l’Intelligence Artificielle dans les entreprises » qu’il publie et dans le colloque qu’il a organisé la semaine dernière « pour sensibiliser les enjeux présents et futurs de l’IA à travers une vision prospective ». Parallèlement le Cigref, en partenariat avec le Cabinet Alain Bensoussan a créé le cercle de l’Intelligence artificielle dont l’objectif est « de faire un état de l’art sur les applications d’intelligence artificielle présentes ou en développement dans les entreprises mais aussi de développer une vision prospective d’ici à 2020 ». Plus précisément « d’identifier les applications en cours ou en développement dans les entreprises ; d’identifier les bénéfices qu’elles en tirent ».

Bref, l’intelligence artificielle s’est désormais imposée comme une nouvelle technologie que l’association des DSI des grandes entreprises a décidé de maîtriser et d’utiliser le plus largement possible. Bien sûr l’intelligence artificielle est loin d’être nouvelle discipline rappelle le livre blanc et les premiers développements aussi loin que les années 50. Le terme « intelligence artificielle » est apparu pour la première fois en 1956 lors d’un séminaire avec de nombreux chercheurs, organisé par un mathématicien américain, John McCarthy, et dont l’objectif était de donner une suite à la cybernétique. La démarche initiale consistait à étudier l’intelligence humaine à partir des machines et plus précisément d’analyser ses fonctions afin de les intégrer dans un programme pour les reproduire.

Et de fait, la démarche consistant à copier de trop près l’intelligence humaine a finalement mené à une impasse. C’est ce que rappelait Yann LeCun, professeur à l’université de New York et directeur du laboratoire de recherche en intelligence artificielle de Facebook (FAIR), lors de leçon inaugurale sur son cours du Collège de France intitulé « L’apprentissage profond : une révolution en intelligence artificielle ». Si l’on veut faire réussir l’intelligence artificielle, il faut selon Yann LeCun, certes s’inspirer du fonctionnement du cerveau mais savoir garder ces distances. D’autant que les systèmes informatiques d’aujourd’hui sont encore très loin des performances du cerveau (Tout ce que vous avez savoir sur le deep learning).

Le spécialiste de l’IA proposait l’analogie de l’avion III pour lequel son concepteur Clément Ader s’était attaché à reproduire le vol de la chauve-souris. De fait, son avion a bien réussi à décoller mais fut un échec. Les projets qui ont réussi, notamment celui des Wright Brothers, considérés comme les pères de l’aviation, s’appuyèrent plus sur les lois de la physique.

Nous sommes en train de changer de monde rappelait Alain Bensoussan, co-président du Cercle Intelligence artificielle en « abandonnant la carte et la boussole pour la GPS », en mettant en garde sur l’esclavage technologique. La présence de plus en plus grande des algorithmes dans la vie quotidienne nécessite de mettre en place une régulation poursuivait-il en précisant « qu’il faut organiser l’intelligence artificielle pour mieux la maîtriser ».

« L’intelligence artificielle est largement entrée dans nos vies, précisait Françoise Mercadal-Delasalles, Directrice des Ressources et de l’Innovation Groupe de la Société Générale, avec des applications concrètes dans la banque comme l’aide au scoring pour l’attribution de prêt ou le trading automatique ». Ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser de problèmes car ces algorithmes sont des boites noires qui donnent des résultats mais que l’on n’est pas capables d’expliquer.  « Ces machines restent des machines, explique en substance Laurence Devillers, Maître de conférences à l’Université Paris-Sud, dont l’apprentissage reste très différent de l’apprentissage des humains. Et si l’homme prête des intentions à la machine, les machines n’ont rien d’humain. Dans les générations précédentes de systèmes d’IA, on partait de règles, aujourd’hui tout part des données. Il faut donc être sûr de qualité et de l’intégrité des données ».

La diffusion massive des technologies d’intelligence artificielle va également poser le problème de l’emploi car considère Bernard Stiegler de l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales, c’est 3e vague d’automatisation est une révolution sans emploi. Et de ce point de vue de très nombreux rapports ont été publiés dont certains sont plutôt alarmistes. A l’horizon 2025, le numérique pourrait supprimer jusqu’à 3 millions d’emplois en France. Ces suppressions concerneraient de nombreux secteurs et activités. C’est ce qu’avait annoncé l’étude « Think Act : les classes moyennes face à la transformation digitale » publiée par le cabinet Roland Berger.

« Le traitement des données qui est désormais le moteur d’une grande partie des techniques d’IA fait croire que la méthode scientifique est obsolète et que nous n’avons plus besoin de la théorie. Rien n’est plus faux », met en garde, Bernard Stiegler. En substance, le fait qu’on trouve des résultats qui marchent et qu’on arrive à établir des corrélations ne doit pas nous empêcher la réflexion et de nous lançons dans une société fonctionnant uniquement à partir d’algorithmes.

En appui de son propos, Bernard Stiegler rapporte les travaux d’Amartya Sen qui avait découvert dans les années 70 que « dans le quartier noir de Harlem à New York, les hommes ont moins de chances d’atteindre l’âge de quarante ans que dans un Bangladesh affamé. Et cela en dépit du fait que, si l’on prend le revenu individuel, les habitants de Harlem sont beaucoup plus riches que ceux du Bangladesh » (Amartya Sen : L’économie est une science morale). La raison est que les habitants de Harlem avaient complètement leur savoir-faire alors que leurs homologues Bangladesh avaient gardé des capacités de créer de la valeur.

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L’autre question qui s’est désormais invité dans le débat est celui de l’emploi. Il faut réfléchir à la suppression des emplois qui ne manquera pas d’arriver et donc à la redistribution des revenus. Et si de très nombreux emplois vont disparaître, le travail restera toujours une nécessité de la condition humaine. Une réflexion sur laquelle vont devoir s’atteler les macro-économistes.

 

A relire
L’IA : détruire les emplois pour sauver les entreprises ?

 


Les participants à la table-ronde lors du Colloque du Cigref

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– Françoise Mercadal-Delasalles, Directrice des Ressources et de l’Innovation Groupe
– Tony Pinville, CEO d’Heuritech
– Cécile Wendling, responsable de la prospective pour le groupe AXA
– Laurence Devillers, Maître de conférences à l’Université Paris-Sud


 

Les recommandations du Cigref aux entreprises :

  1. Affecter un budget dédié à l’IA
  2. Passer à l’internet 4.0 : IA, algorithmes prédictifs
  3. Engager un roboticien dans des équipes IT pour passer en 4.0
  4. Développer des systèmes de Machine Learning
  5. Suivre les tutoriels de TensorFlow
  6. Développer la culture des API en interne
  7. Sensibiliser les Métiers et Fonctions aux enjeux de l’IA
  8. Développer une communauté autour de l’IA et échanger
  9. Supprimer les « points de douleur » dans l’entreprise
  10. Créer des boîtes noires logiques qui gardent en mémoire l’IA et avoir la possibilité de la détruire (d’effacer l’ensemble des parcs) dans un souci de droit à l’oubli