Le 27 avril dernier, la FCC, l’organisme de régulation des télécom aux Etats Unix (l’ARCEP en France) sous l’impulsion de son nouveau Chairman, Ajit Pai, lançait une NPRM (Notice of Proposal for Rulemaking) au titre évocateur et quelque peu provocateur de « Restoring Internet Freedom.  Le document présente les intentions de la FCC (largement exprimées pas son Chairman les jours précédents)  de revenir sur l’Open Internet Order (appelé couramment  principe de la neutralité du net aux Etats Unis) pour le modifier. Il avait été mis en place par l’administration Obama en 2015 après d’interminables conflits entre les opérateurs téléphonique et de câble et les utilisateurs d’Internet.

Le 18 mai, après un vote de 2 contre 1, la FCC décidait de lancer la procédure de révision sur la base du document final publié le 23 mai, à peine modifié par rapport à la version du 27 avril, alors que déjà plus de 2,5 millions de commentaires auraient déjà été reçus en 3 semaines !!  D’ores et déjà, les journaux spécialisés américains ont  remarqué le peu d’intérêt porté par la FCC à ces commentaires, sachant que beaucoup mentionnent leur attachement à la Neutralité du Net et à l’Open Internet Order de 2015.

Nous examinerons donc et tenterons de clarifier les origines et les tribulations de la Neutralité du Net pendant une vingtaine d’année dans ce pays, sous 4 présidents américains différents.  Nous essaierons aussi d’apporter quelques éléments de réflexions sur l’impact probable de cette décision, à la fois pour les consommateurs américains, pour l’industrie américaine et pour le reste du monde.

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A- Les fondements de la neutralité du Net

Les fondements de la neutralité du net sont comme un vieux serpent de mer qui ressurgit régulièrement sous différentes formes depuis que les télécommunications existent. Ses racines remontent en effet d’abord à 1934, puis à 1984 (Internet n’existait pas encore) lorsque le juge Green, suite à un accord anti trust entre le gouvernement américain et AT&T,  provoquait le démantèlement du monopole d’AT&T et la création de 7 sociétés indépendantes appelées  RBOC (ou encore Baby Bell).

Le Title II : Une règlementation vieille de 80 ans sur les échanges entre les Etats de l’union

AT&T et les Baby Bell devenait alors des « Common Carrier » (transporteur public) conformément au « Title II » de la loi « Communication Act » de 1934 qui depuis cette date réglemente (notamment fixe les tarifs) et encadre les conditions d’exercice de tous ceux qui se livrent à des échanges de marchandises, de personnes, de services et de communications ayant une vocation d’utilité publique, entre les Etats de l’Union (cette notion est proche de la notion française de service public mais n’a pas d’équivalent juridique en Europe).

Le Title II de la loi, dont la FCC assure la mise en œuvre et le respect pour les opérateurs de télécommunications et de câble, régule aussi bien les opérateurs téléphoniques, les transporteurs (trains, avions, bateaux, autocars, taxi), les opérateurs de câble TV que les compagnies d’électricité qui opèrent sur plusieurs états.  La démarche du gouvernement de casserAT&T n’était alors pas appréciée par une partie de la classe économique et politique américaine  qui voyait là une remise en question de ce qui à cette époque était considéré comme le système téléphonique le plus avancé du monde… ! Rappelons que l’essentiel de la R&D dans le monde en la matière était alors opérée dans 3 grands Labs, les Bell Labs d’AT&T, NTT au Japon et au CNET de France Télécom… Plus aucun de ces Labs n’existe aujourd’hui, mais la R&D en matière de télécom a explosé depuis.

Sans cette décision qui a permit de fournir aux Américains des services de télécommunications locales et longues distances ouverts à une plus large concurrence, non seulement Internet n’existerait probablement pas comme il est aujourd’hui, et les Américains seraient certainement toujours sous un système téléphonique assez rudimentaire, les communications téléphoniques coûteraient encore plusieurs dollars la minute au lieu de quelques dixièmes de centime, la Silicon Valley et l’industrie IT n’auraient certainement pas l’allure et la capacité d’innovation qu’elles ont aujourd’hui… l’économie numérique ne serait certainement pas aussi développée.

Une modification du Title II est intervenue en 1996 pour les opérateurs téléphoniques

Une douzaine d’années après le démantèlement d’AT&T, les Baby Bell fleurissaient et la pression d’Internet faisait basculer l’industrie et le marché vers un accès plus général à l’information (voix, données, multimédia) en utilisant les mêmes tuyaux des opérateurs, tous plus ou moins convertis, adaptés et redéployés pour Internet par des sociétés qui se sont multipliées dans cet univers basé sur cette vision américaine de « Service Public » (Common Carrier) que porte le Title II.

En 1996, Bill Clinton avec le « Telecommunication Act », permettait la révision du Title II en l’adaptant aux réseaux à haut débit et donnait aux opérateurs télécom la possibilité d’offrir, sous certaines conditions, des programmes vidéo. Il redéfinissait aussi les mécanismes de  concurrence par des nouvelles classifications, régulait différemment les fournisseurs de services téléphoniques (qui possèdent les tuyaux) et les fournisseurs de  services d’information et permettait enfin certaines participations croisées entre opérateurs. Il baissait les barrières entre les différents segments de l’industrie (services longue distance, broadcasteurs, télévision par câble, etc).

Si d’un côté Internet a pu continuer de se développer très rapidement et créer une nouvelle génération de fournisseurs de contenus (Skype, Google, Facebook, Amazon, Linkedin, Netflix) s’appuyant sur les tuyaux des opérateurs télécom, l’autre aspect du Télécommunication Act de 96 a été de susciter un vaste mouvement de consolidation (un bain de sang dans l’industrie des Télécoms) vers un véritable oligopole d’opérateurs téléphoniques dès 2005 (devenu aujourd’hui un quasi duopole) réduisant  drastiquement le  nombre d’intervenants et la concurrence sur les réseaux crée en 1984. Le même mouvement s’est opéré dans l’industrie du câble et de la télévision en concentrant encore plus rapidement les « services publics traditionnels de la génération de contenu» dans un plus petit nombre de mains. Le Telecommunication Act reste pour beaucoup la loi qui a permis de recréer les monopoles dans l’industrie des télécoms et des médias, et permettre une « privatisation » de secteurs entiers d’Internet entre 1996 et aujourd’hui…

Avec l’arrivée du DSL en 1999, les opérateurs téléphoniques et les opérateurs de câble deviennent concurrents mais tous ces opérateurs laissent aussi apparaitre des instincts prédateurs. Extrêmement sélectifs dans leurs investissements uniquement destinés à renforcer leur puissance, à contrôler et verrouiller les accès extérieurs à leurs réseaux (notamment pour la voix sur IP et les contenus d’autres  opérateurs) et augmenter leurs revenus (la fameuse ARPU), ils le font souvent souvent au détriment de l’innovation et de la qualité de service, et profitent de situations de monopole pour augmenter les prix de façon assez outrancière.  La neutralité du Net était donc prête à naitre et la FCC allait devoir s’y impliquer plus profondément sachant qu’aucune définition juridique n’existe.

 

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A venir 2e partie : les opérateurs ripostent