En France, les opérateurs mobiles, en contrepartie de leurs attributions de licence, ont signé un engagement : celui de construire un réseau de communications qui offre à chacun d’entre nous un accès quel que soit l’endroit où il se trouve. Dans la réalité, avec des accords d’itinérance, les différents opérateurs s’offrent les moyens de repousser ces échéances et de dépenser moins. Mais la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, publiée le 7 août 2015, a conféré un nouveau pouvoir à l’autorité de régulation, l’ARCEP : celui de demander à des opérateurs la modification de leurs contrats de partage de réseaux mobiles, notamment lorsque cela est nécessaire à la réalisation de ses objectifs de régulation.

Un dossier à charge à consulter

Cette loi est la preuve que les conditions d’attribution des licences n’étaient pas respectées et que l’itinérance finalement, ralentissait tous les investissements. Pour les opérateurs, chaque jour de gagné sur des investissements matériels est une économie. Les technologies 3G, 4G, tout en se développant et en s’améliorant, coûtent de moins en moins cher. Pour les opérateurs, on les comprend, la question du choix des équipements, au-delà des « points hauts » est récurrente : « pourquoi investir aujourd’hui dans un système qui sera moins cher demain et dépassé après demain ». L’Arcep qui veille à la bonne régulation du marché est revenu dans le détail dans son document publié mardi 12 janvier. Le long document associé « La consultation publique » permet de se faire une idée précise de la situation.

Résultats des requêtes de l’ARCEP

Orange et Free ont jusqu’au 23 février pour discuter de leur accord sur l’itinérance et ensuite présenter au régulateur un schéma d’arrêt de l’itinérance. Le président de l’autorité de régulation, Sébastien Soriano, dans le journal « Le Monde » précisait ‘(photo ci-dessous)Capture d’écran 2016-01-14 à 13.34.23
: « Nous avons estimé que l’extinction brutale de l’itinérance au 31 décembre 2017, comme le prévoit le contrat, n’était pas crédible. Nous voulons par conséquent accompagner le processus pour que ça marche et que ce soit effectif.»

Mais l’emphase portée par la presse quotidienne sur l’accord entre Orange et Free ne doit pas faire oublier un autre dossier, vieux de deux ans et qui risque de ralentir l’éventuelle fusion Bouygues Telecom avec Orange. En effet le 31 janvier 2014, SFR et Bouygues Telecom avait signé un accord de mutualisation de réseaux 2G/3G/4G sur un périmètre correspondant à 57% de la population et 85% du territoire. L’objectif clairement affiché, à l’époque, était aussi de réduire les coûts en exploitant certaines antennes en commun et d’offrir une meilleure couverture aux utilisateurs. Une manière pour les deux compères de montrer leur indépendance vis-à-vis d’Orange et de créer une sorte de front commun face au créateur de troubles, Free Mobile. Mais ce contrat qui date donc de deux ans, qui aurait pu être la base d’une fusion SFR -Bouygues, sera à revoir avec le possible rachat de Bouygues Telecom par Orange.

L’itinérance SFR -Bouygues

Si une partie de l’accord portait sur la mutualisation de réseaux, une autre portait sur l’itinérance, le fait de se servir immédiatement du réseau de l’autre, une pratique que L’Arcep condamne, même si elle en comprend parfaitement l’utilité immédiate.

«L’itinérance 4G porte sur une technologie et des services qui sont au cœur du fonctionnement concurrentiel du marché aujourd’hui et est fournie sur des zones du territoire qui ne sont pas restreintes aux zones les moins denses. Elle risque donc de réduire significativement les incitations à l’investissement, à l’innovation, au détriment d’une concurrence effective et loyale. 

De toutes manière l’accord SFR -Bouygues était limité 

Les agglomérations «rentables» de plus de 200 000 habitants étaient exclues, celles-ci représentant tout de même 42% de la population et 4% du territoire. Mais néanmoins, l’accord couvrait aussi les zones du programme « zones blanches », qui représentent environ 1% de la population et 11% du territoire, là où un partage entre les 4 opérateurs est déjà organisé. A l’époque le communiqué commun des deux opérateurs communs précisait : « Cet accord va permettre d’offrir à nos clients respectifs une meilleure couverture à l’extérieur comme à l’intérieur des bâtiments, ainsi qu’une meilleure qualité de service en optimisant le maillage de leur réseau partagé. »

Selon l’ARCEP : « Le déploiement de ce nouveau réseau mutualisé, qui amène à remplacer une partie des installations des deux opérateurs, doit prendre plusieurs années. Le réseau mutualisé devait initialement être finalisé à l’horizon 2018. Néanmoins, un retard est observé dans sa mise en œuvre. (voir le schéma d’évolution des réseaux ci-dessous).

L’accord prévoit également une prestation temporaire d’itinérance 4G fournie depuis septembre 2014 par Bouygues Telecom à SFR, sur une partie de la zone destinée à être mutualisée. La zone d’itinérance correspond à 15 à 20% de la population en 2015. Cette prestation est par nature asymétrique, et exploite la couverture actuelle de Bouygues Telecom en 4G. Elle permet à SFR de fournir des services 4G sans déployer son propre réseau et sans utiliser ses propres fréquences sur cette zone. »

Il existe une date indicative pour la fin de la prestation, comme l’a relevé l’Autorité de la concurrence dans sa décision du 25 septembre 2014 :

« (…) l’itinérance a vocation à s’éteindre au fur et à mesure du déploiement de ces nouveaux sites [du réseau mutualisé], et qui doit intervenir selon le calendrier avancé avant fin 2016. (…) La prestation d’itinérance 4G au profit de SFR est prévue pour être mise en œuvre entre le 1er septembre 2014 et le 31 décembre 2016 en liaison avec le lancement de la mutualisation dont elle est un accompagnement technique transitoire » .

L’ARCEP est réaliste, selon elle , différents degrés d’utilisation de cette prestation d’itinérance pourraient se justifier. « En effet, la construction du réseau mutualisé demande des travaux initiaux assez longs, pendant lesquels il n’est pas efficace de déployer des équipements qui devront ensuite être démontés. Si, d’une part, le bilan coûts/avantages de l’accord de mutualisation proprement dit est positif au regard des objectifs de régulation, et, d’autre part, la construction de ce réseau mutualisé nécessite une prestation d’itinérance transitoire au début, alors cette prestation pourra éventuellement se justifier, sous réserve que les modalités du contrat soient réellement incitatives au déploiement.Capture d’écran 2016-01-14 à 11.47.05

Le mécanisme permettant de prolonger l’itinérance en cas de retard de déploiement du réseau mutualisé apparaît peu incitatif au déploiement. Il semble donc a priori nécessaire que le lien entre le calendrier d’extinction de l’itinérance et le calendrier de construction du réseau mutualisé soit remis en cause, et que le contrat prévoie une date de fin de cette prestation d’itinérance, sans qu’elle soit liée à la construction du réseau.

L’ARCEP estime à ce stade que la date d’extinction totale ne pourrait raisonnablement pas se situer avant fin 2016, date indicative prévue dans le contrat et initialement présentée à l’Autorité de la concurrence et à l’ARCEP.

Inversement, l’ARCEP estime que la date d’extinction totale ne devrait pas dépasser fin 2018. Au regard des projets de déploiement du réseau mutualisé, une date ultérieure ne créerait pas une incitation suffisante à la construction du réseau.