Dans ses locaux d’Issy les Moulineaux, la firme de Redmond a reconstitué une petite entreprise du secteur aviation en partenariat avec la société de service Sopra pour mieux vendre l’idée que la numérisation de l’entreprise pourrait résoudre ses problèmes organisationnels.

Microsoft veut désormais cibler les entreprises et a profité de son implantation dans le sud de Paris dans une zone pleine d’entreprises aéronautiques pour proposer dans son étage de démonstration trois simulations, « immersives » : un bureau d’études, un atelier et un comité de direction.

L’objectif de la firme américaine, avec la reprise de l’expression « l’usine 4.0 », est de montrer l’intégration actuelle du monde virtuel de l’information avec le monde réel des machines et des installations industrielles. Pour arriver à cette quatrième étape, il faut rappeler les trois précédentes. La première révolution industrielle a été celle de la mécanisation avec l’utilisation de la machine à vapeur et du charbon. La deuxième a été poussée par l’électricité, le pétrole et la chimie, et la troisième, récente, se basait sur l’informatique avec l’automatisation des processus industriels. L’industrie 4.0 (qui débuterait plus ou moins maintenant) correspond en fait à l’utilisation de l’internet, des datacenters distants pour surveiller et piloter des machines locales.

La décoration des avions pour débutersiege avion

La première salle proposée par l’éditeur est donc celle du bureau d’étude où l’on décide des équipements internes de l’avion, de ses sièges et la décoration. La nouveauté tient à une table tactile Meetiiin fabriquée par la firme bordelaise Immersion, elle permet de présenter plus facilement les images et données et sélectionner les éléments sur une table assez pratique à partager. Elle doit permettre au client de consulter les offres de manière détaillées et d’éviter l’effet de « tunnel » qui ralentit les programmes. Au vu des nombreux avions Airbus montrés dans les vidéos, on pouvait imaginer que l’avionneur européen se servait déjà de ce type de tables : «En fait, on n’a pas d’accord avec Airbus mais Dassault s’en sert pour ses jets privés Falcon. Lors du salon du Bourget, ils proposaient des personnalisations sur nos tablettes surface. » précisait l’un des responsables commerciaux de l’éditeur. Dans le logiciel présenté, les fichiers de dessin manipulés n’étaient autres que ceux de Catia, de Dassault Systèmes, le tout reposant sur l’infrastructure tactile de Microsoft. Cette présentation nous a rappelé que Microsoft avait d’ailleurs lancé en 2011 une table similaire vendue 11000 euros déjà appelée Surface mais au bout de deux années, la firme de Redmond avait abandonné la production à Samsung, son sous-traitant de l’époque. Cela bien avant de revenir avec des petites tablettes portant le même nom. En préambule, Microsoft avait prévenu du cocktail de fournisseurs parfois concurrents dont plusieurs startups françaises : « Nous voulons présenter les usages des nouvelles technologies dans l’optique de la digitalisation des entreprises, c’est une forme de storytelling .»

 Un petit atelier numérique

Dans le second poste de cette entreprise virtuelle, l’Atelier, on peut découvrir une autre table, celle-ci de la firme Inktube fonctionne avec un cadre infrarouge et permettra aux compagnons de la chaine de fabrication de mieux comprendre le montage des pièces de certains moteurs. Le fait que le support soit robuste avec un écran permet de travailler dans un milieu industriel, souvent poussiéreux. Pour gérer les taches courantes des chaines de production, des tablettes Panasonic durcies remplacent les feuilles de tâches. « Outre la disparation des fiches papiers, on peut économiser jusqu’à 40 minutes par jour ». arton24Autre présentation plus moderne, une paire de lunettes qui permet d’associer un schéma de montage aux objets identifiés. Ainsi pour le démontage d’une pompe on voit apparaitre autour de l’objet l’ordre de démontage des différentes vis de l’appareil. En 1987, lors de la première conférence CD Rom à Seattle, Microsoft avait montré un portable, doté d’un lecteur de cd Rom avec écran plat qui permettait d’afficher en mode DVI, un film modulaire « interactif » sur la maintenance des moteurs de Boeing. La maintenance et la formation rapides des techniciens aéronautiques reste un sujet d’actualité, le dépouillement des téraoctets d’informations issus des moteurs réclamant aussi de nouveaux savoir-faire.

Les secrets de fabrications seront ils bien gardés

Interrogé sur le partenariat qui pouvait désormais exister entre les deux firmes de Seattle, Boeing et Microsoft après plus de 30 ans de développements communs, la réponse était assez rapide : « Boeing s’est déplacé en fait à Chicago, mais chaque firme à ses procédures que nous gardons secrètes, ce sont d’ailleurs des sociétés de services qui opèrent sur le terrain». Il est vrai que parler des concurrents directs et les plus féroces des fabricants d’avions français reste un sujet délicat, cette zone d’Issy les Moulineaux à deux pas de la direction de l’aviation civile devant être certainement un peu « hantée ».

Les avionneurs américains sont de vieux concurrents

Bien avant Boeing, dés 1908, les frères Wright étaient venus de l’Ohio en bateau, avec leur avion flyer 3, dans le temple de l’aviation française, le terrain d’entrainement situé sur l’actuel héliport d’Issy les moulineaux à 100 mètres des actuels bureaux de Microsoft. ( photo du terrain en 1910)issy_terrain_aviation(1). Ils  n’étaient pas les bienvenus. Ils voulaient gagner les 100 000 franc-or offerts par l’industriel Lazare Weiller pour récompenser le premier vol d’une heure en circuit fermé et cela fut fait à la barbe ( et des moustaches surtout)  des fabricants français (Voisin, Blériot etc.) qui pourtant dominaient largement le secteur.

Le machine Learning : le ML face au rouleau compresseur SAP

Pour la troisième zone, sensée reconstituer le comité de direction, Microsoft France s’ appuie sur les outils d’analyse de données en particulier ceux de machines Learning qui permettent de modéliser des problématiques complexes. Avec les données issues des capteurs de moteurs, la prévision des immobilisations, la gestion des carburants, l’optimisation des créneaux horaires et celle du yeld management (l’optimisation du remplissage des avions), les outils de BI associés à SQL server s’affirment enfin assez novateurs et convaincants.( Un plus vis à vis des deux autres salles dont la « nouveauté » à l’air de remonter à quatre, cinq ans.). Ces nouveaux programmes  fonctionnent en mode service dans le cloud et peuvent se brancher sur beaucoup de programmes. Il reste qu’actuellement le secteur aéronautique est entièrement sous la coupe de l’éditeur SAP qui a su depuis longtemps intégrer de très nombreux autres logiciels dont ceux de Dassault pour optimiser la gestion des constructeurs européens. Des logiciels européens pour une aéronautique européenne restent une motivation profonde pour l’industrie… européenne.

Changer- Eliminer’

Mais la firme de Redmond avec ses tablettes, ses outils et sa BI, a la puissance marketing pour faire douter du bien-fondé de choix anciens. Son « storytelling » récurrent finit par faire penser comme inéluctable «le changement permanent». Elle paraît toujours glorifier un management caractérisé par une injonction permanente à celui-ci. En prenant pour exemple la numérisation des entreprises comme un « gisement » d’automatisation et de simplification des processus, elle met simplement en avant les réductions de coûts, un argument de choc dans un contexte de ralentissement économique. La firme fait en tous cas des efforts évidents pour montrer les infrastructures de ses outils B to B quitte à surtout montrer ceux des autres, omniprésents dans le secteur visé.