En novembre dernier, Thierry Breton lançait « Atos Quantum ». Ce programme bénéficie de l’expertise du Groupe dans le calcul intensif, la simulation numérique et la cyber-sécurité. Pour simuler le calcul quantique, Atos Quantum peut s’appuyer sur la puissance du supercalculateur Bull sequana, lancé en avril dernier, et de son programme visant à atteindre l’exaflops.

Atos Quantum réunit plusieurs dizaines de chercheurs et d’ingénieurs et se décompose en quatre grands sous-programmes :
– Développement d’une plate-forme de développement et de simulation quantique afin de permettre aux chercheurs de tester dès maintenant les algorithmes et les logiciels destinés aux futurs ordinateurs quantiques ;
– Création d’un pôle de développement d’algorithmes et de programmation afin de constituer un portefeuille d’applications quantiques en particulier pour le Big Data, l’Intelligence Artificielle, le calcul intensif et la cybersécurité ;
– Conception d’architectures de calcul innovantes pour bénéficier de la puissance colossale apportée par le quantique ;
– Développement de nouveaux algorithmes de cryptographie résistants aux attaques quantiques afin de rendre les applications inviolables par les méthodes quantiques.
Atos Quantum s’intègre dans l’écosystème technologique d’Atos qui regroupe une quinzaine de centres de R&D dans le monde.

L’informatique quantique est un enjeu majeur pour Atos mais aussi pour la France et pour l’Europe pour qui l’indépendance technologique est en jeu. Sur la partie calcul, Atos est le seul acteur industriel présent sur le Vieux continent. Philippe Duluc, CTO des activités Big Data & Sécurité d’Atos explique les enjeux et présente la stratégie de son groupe.

InformatiqueNews : De nombreux acteurs de l’IT se sont lancés dans des projets de développements d’ordinateurs quantiques. Certains affirment avoir déjà des résultats spectaculaires et être très avancés allant de 5 Qubits pour IBM à plusieurs centaines de Qubits pour l’ordinateur de la société canadienne D-Wave. Qu’en est-il exactement ?

Philippe Duluc : Il faut comprendre tout d’abord que tous les Qubits ne sont pas égaux entre eux. Pour les comparer, il faut prendre en compte le temps de décohérence – le temps pendant lequel on peut faire les calculs – et aussi le taux d’erreurs. En fait, il y a plusieurs modèles et implémentations technologiques qui sont très différentes les unes des autres. Il y a le modèle standard qui est le plus proche de l’ordinateur classique avec des portes et des circuits et un mode de calcul séquentiel. Mais il y en a d’autres : adiabatique comme celui de D-Wave, par la mesure, à variables continues… Et on ne sait pas encore lequel de ces modèles va s’imposer. Actuellement ce sont les acteurs du modèle standard qui sont les plus avancés. Le record est détenu par la société ionQ et l’université d’Innsbruck avec 14 Qubits. Sachant qu’après avoir développé le composant de base, il faut construire l’ordinateur.

IN : Sur quel modèle travaille Atos ?

Philippe Duluc : Atos est plutôt orienté sur le modèle standard sachant que nous ne développons pas les composants qui sont au cœur de l’ordinateur quantique. Atos n’est pas dans la course au développement d’une cellule quantique. Un peu comme nous achetons des microprocesseurs auprès de fabricants comme Intel pour construire nos supercalculateurs, nous achèterons le composant qui nous permettra de construire notre ordinateur quantique. En revanche, nous faisons de la veille sur tout ce qui se fait actuellement et suivons plus particulièrement le modèle standard. Dans ce cadre-là, nous visons à être le premier constructeur européen à commercialiser un ordinateur quantique.

IN : Quel est l’objectif du programme architecture de calcul ?

Philippe Duluc : Actuellement, nous envisageons l’ordinateur quantique plutôt comme un processeur spécialisé fonctionnant en couplage avec un supercalculateur traditionnel, destiné à des calculs très spécialisés et pour lesquels il apportera une véritable rupture. Notre activité se rapproche d’un travail d’intégration et de conception d’architecture de système incluant les questions liées au stockage, au système d’interconnexion, au réseau, au couplage au HPC…

IN : Concernant la plate-forme de simulation, quand prévoyez-vous de la lancer ?

Philippe Duluc : Ici, l’objectif est de mettre à disposition une plate-forme de simulation d’informatique quantique qui reproduira exactement le fonctionnement d’un ordinateur quantique. Cette plate-forme s’appuiera dans un premier temps sur nos serveurs haut de gamme bullion et permettra donc aux chercheurs et aux développeurs de commencer à travailler sur la partie logicielle. Nous espérons dès cette année commercialiser une plate-forme représentant à terme une puissance de calcul minimale de 40 qubits. Sachant que la puissance quantique disponible dépend assez fortement des algorithmes que vous testez. Cette plate-forme sera destinée aux laboratoires, aux instituts de recherche et éventuellement à quelques grands industriels, au niveau mondial.

IN : Pour ce qui est du développement d’algorithmes, quels sont vos projets ?

Philippe Duluc : Nous allons développer de nouveaux algorithmes dans des domaines qui suscitent aujourd’hui beaucoup d’intérêt comme l’intelligence artificielle et le machine learning. Il s’agit de nous positionner, d’acquérir des compétences et de développer des solutions sachant que dans ce domaine, le modèle économique n’est pas encore complètement arrêté.

IN : Atos est un acteur majeur de la cryptographie. La cryptographie quantique est-elle juste une continuité de cette activité ?

Philippe Duluc : Il ne faut pas confondre cryptographie quantique et cryptographie post-quantique. La première activité consiste à utiliser les phénomènes quantiques pour faire de la cryptographie. Nous n’y sommes pas présents. La seconde correspond à une autre problématique, c’est la cryptographie post-quantique ou dite « quantum safe » qui permettra de résister à la puissance de l’informatique quantique. Lorsque les ordinateurs quantiques seront disponibles, ils permettront de casser des codes de chiffrements existants (comme le RSA) notamment ceux qui permettent à l’Internet de fonctionner. Ces algorithmes spécialisés devraient être disponibles avant l’informatique quantique, fort heureusement d’ailleurs. Dans ces domaines, l’ETSI a lancé une initiative dans le domaine de la 5G et la sécurité, et aux Etats-Unis le NIST a commencé à travailler sur ce sujet de la cryptographie post-quantique. Atos travaille sur ces sujets et se spécialise plutôt sur l’implémentation des algorithmes existants sur nos outils de cybersécurité.

IN : Est-ce que vous bénéficiez de financements quelconques, au niveau français ou européen ?

Philippe Duluc : Pour l’instant il s’agit d’un investissement en fonds propres de la part d’Atos mais nous espérons bien bénéficier de financements européens. Il y a notamment le programme Flagship ingénierie quantique et qui représentera environ 1 milliard d’euros.

IN : Chez Atos, quel est le profil des personnes travaillant sur le projet ?

Philippe Duluc : Il y a d’abord des spécialistes chez Atos du HPC qui sont venus rejoindre le projet Atos Quantum mais nous embauchons aussi des jeunes chercheurs et des post-doc spécialisés sur ces sujets.
En France, il y a plusieurs laboratoires qui travaillent sur ces domaines et qui sont de très bons niveaux. On peut citer par exemple le CEA, l’UPMC (Université Pierre et Marie Curie) mais il y en a d’autres. Sachant que pour ce qui concerne Atos, il s’agit bien d’une démarche d’industrielle visant à commercialiser des produits et des solutions.

IN : Est-ce que vous avez défini un calendrier ?

Philippe Duluc : La situation est encore incertaine en matière d’approches, de modèles et de technologies et n’est pas sans risques. Mais on observe ces derniers temps, depuis deux ou trois ans, un foisonnement particulièrement important à la fois dans le monde académique et industriel. C’est donc un facteur très positif et encourageant. En revanche, il est encore difficile de dire quand on pourra réellement construire un ordinateur quantique universel. Dans un premier temps, l’informatique quantique se focalisera sur la résolution de certains problèmes de cybersécurité, de machine learning dans lesquels il y a ce que l’on appelle de « l’explosion combinatoire ». Rien que pour cette première étape, le jeu en vaut la chandelle. Et il est important d’être parmi les premiers constructeurs. Dans une deuxième étape, on aura peut-être un ordinateur universel quantique mais il est encore un peu trop tôt pour donner des dates de réalisation.

 


Un Conseil scientifique de premier plan

Pour son programme Quantum, Atos s’est entouré d’un conseil scientifique composé de physiciens quantiques et de mathématiciens reconnus au plus haut niveau international :

  • Alain Aspect, Professeur à l’Institut d’Optique Graduate School et à l’Ecole Polytechnique, Université Paris-Saclay ;
  • David DiVincenzo, Professeur à la fondation Alexander von Humboldt, Directeur de l’Institut d’Informatique Quantique à l’Université Technique de Rhénanie-Westphalie à Aix-la-Chapelle, Directeur de l’Institut de Nanoélectronique Théorique au Centre de Recherche Juelich ;
  • Artur Ekert, Professeur de Physique Quantique à l’Institut de Mathématiques de l’Université d’Oxford, Professeur et Directeur du Lee Kong Chian Centennial, du Centre de Technologies Quantiques de l’Université Nationale de Singapour ;
  • Daniel Estève, Directeur de Recherche au CEA Saclay, Directeur de Quantronique ;
  • Serge Haroche, Professeur honoraire au Collège de France, Prix Nobel de Physique ;
  • Cédric Villani, Professeur de l’Université de Lyon Claude Bernard, Directeur de l’Institut Henri Poincaré CNRS/UPMC, lauréat de la Médaille Fields.