A l’ère de la mondialisation et du temps réel, prévoir ne suffit plus. Planifier apporte une dimension supplémentaire en anticipant les conséquences d’une mesure ou d’un événement. Un enseignement pour les candidats à l’élection présidentielle.

L’incertitude semble le principal mot clé de l’actualité mondiale, tant sur le plan économique que politique. Fukushima, Brexit, élection de Donald Trump. les fameux « cygnes noirs » popularisés par Nassim Taleb – symbolisant tout événement imprévisible ayant une très faible probabilité de se dérouler et qui pourtant se réalisent et bouleversent totalement une situation bien établie – sont de plus en plus nombreux.

Tenter de prévoir l’imprévisible ou envisager exhaustivement tous les scénarios ?

Ces événements traduisent notre grande difficulté à prévoir l’avenir. Même si la technologie nous offre aujourd’hui à travers l’exploitation, la corrélation et l’analyse des « big data » un moyen d’entrevoir le futur, l’essentiel réside dans les questions que l’on se pose ou pas. Personne n’avait imaginé qu’un volcan islandais au nom imprononçable bloquerait un jour le trafic aérien mondial. Pourtant, c’est arrivé. Personne ne s’était demandé si les constructeurs automobiles biaisaient les tests anti-pollution. Pourtant, le scandale du « dieselgate » a éclaté. De surcroît, on sait que la simple formulation d’un événement peut contribuer à le créer : annoncer une pénurie d’essence a souvent pour conséquence de la créer. La même mécanique est à l’œuvre dans les cours de bourse, avec des réactions en chaîne qui peuvent mener à la banqueroute.

Prévoir la possibilité d’occurrence d’un événement est certes nécessaire. Mais il est beaucoup plus utile d’envisager ses conséquences. C’est toute la différence entre prévoir et planifier. Un industriel implanté au Royaume-Uni devait bien-sûr s’intéresser à la campagne électorale autour du référendum sur le « Brexit » et tenter d’évaluer les probabilités que l’événement se concrétise. Mais en s’arrêtant là, il n’a pas fait la moitié du chemin. Le plus important pour lui, et son entreprise, consiste à comprendre les éventuelles conséquences d’un tel événement sur ses activités : relèvement des barrières douanières, chute de la livre sterling, fuite des talents.

Tout l’art du décideur consiste désormais à répondre rapidement à des questions que personne n’a vu venir. Les banques et les opérateurs de cartes de crédit ont été surpris par l’irruption des Fintech et des opérateurs de services de paiement en ligne. Le monde du tourisme a été chamboulé par l’apparition d’AirBnB, Hotel.com et Blablacar. Les outils traditionnels de prévision, même les plus modernes, montrent ici leurs limites, en ce sens qu’ils se fondent sur des données historiques pour envisager l’avenir.

La solution réside dans l’élaboration de scénarios, c’est-à-dire la modélisation et la simulation des situations en fonction de l’occurrence d’un, voire de plusieurs événements. Ces scénarios de type « What if » (Si alors) permettent d’envisager toutes les possibilités afin de limiter l’exposition de l’entreprise aux événements improbables ou imprévus. Quel impact sur mes activités si le Port de Rotterdam est frappé de quarantaine ? Quelles conséquences si l’approvisionnement en matières premières stratégiques vient à s’interrompre ? Que l’événement survienne ou non, l’entreprise y est préparée.

Un enseignement pour les candidats à l’élection présidentielle

A l’heure où les Français se préparent à élire leur nouveau Président de la République, l’incertitude n’a jamais été aussi grande. Le monde médiatique nous abreuve d’opinions sur la probabilité qu’ont certains candidats à être élus. Mais les sondages ont également atteint leurs limites. Ils n’avaient pas prévu la victoire de F. Fillon et B. Hamon aux primaires de leurs partis respectifs, ni la défaite ou le renoncement d’anciens poids lourds de la politique.

Dans cette incertitude, on peut tout de même penser que loin du vote d’adhésion, les Français vont plutôt choisir la voie du vote contestataire, comme au Royaume-Uni et aux Etats-Unis dernièrement. Au-delà des questions purement politiques, voire partisanes, ils expriment une véritable quête de sens. Plutôt que d’annoncer « prévoir » de supprimer des centaines de milliers de postes de fonctionnaires, les candidats auraient tout intérêt à expliquer pourquoi. S’il faut réduire la dette de l’Etat devenue un poids trop lourd, plusieurs solutions existent. Parmi ces solutions, on choisit, on arbitre à plus long terme, sur la base de projections solides.

On le voit, la planification apporte beaucoup plus de valeur que la prévision. Et dès lors qu’elle est réalisée en temps réel (c’est-à-dire actualisée en permanence), elle offre une vision beaucoup plus claire et tangible que les prévisions reposant principalement sur l’intuition. Si l’Etat n’est pas une entreprise comme les autres, ses responsables auraient beau jeu de s’inspirer des pratiques industrielles pour fournir une vision de l’avenir sur la base de scénarios tangibles plutôt que des éléments idéologiques.

 

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Edouard Fourcade est DG France d’Anaplan