Si elles ne réagissent pas, les entreprises traditionnelles vont se faire faire totalement « Uberiser[1] » selon l’expression à la mode. Et pourtant, il est possible de transformer ces menaces en opportunités.

Tel était le message principal de cette matinée Insights organisée par Alten sur ce thème de la riposte à apporter face aux nouveaux compétiteurs 2.0 dont Uber ou Airbnb sont les plus connus mais certainement pas les seuls. Ces entreprises d’un nouveau type rencontrent des difficultés, réglementaires notamment mais s’en accommodent assez facilement et bousculent les codesentrant peu à peu dans le paysage économique. Pour preuve, l’appel d’offres que vient de remporter Airbnb portant sur la fourniture de chambres à l’occasion des prochains J.O. d’été à Rio de Janeiro. Airbnb a gagné face à des acteurs traditionnels comme Hotel Urbano et Alugue Temporada. Selon les informations citées par l’agence Reuters, Airbnb fournira 20 000 chambres individuelles. C’est la première fois qu’une telle démarche est avalisée, alors que pour les J.O. de Londres, certains propriétaires s’étaient vus menacés d’amende s’ils louaient leur logement pendant la période des compétitions.

« Tout le monde commence à craindre de se faire Uberiser. C’est l’idée qu’on se réveille soudainement en découvrant que son activité historique a disparu… Les clients n’ont jamais été aussi désorientés ou inquiets au sujet de leur marque et de leur modèle économique », expliquait Maurice Levy dans une interview au Financial Times.

« Après la 1ère révolution informatique apportée par les logiciels d’entreprise, celle de l’Internet, nous vivons une nouvelle révolution dont la caractéristique est que les changements viennent de partout – le fameux acronyme SMACS -, considère Vincent Bonneau, responsable de la BU Innovation de l’Idate. Cette révolution change trois grands pans entiers de l’entreprise : l’infrastructure, le développement de nouveaux produits et services et la relation client ». Avec comme conséquence la désintermédiation de la chaîne de valeur et la captation d’une certaine partie de cette valeur ; A des degrés divers, tous les secteurs sont impactés par ces bouleversements et subissent de plein fouet cette nouvelle concurrence. Sachant que dans le même temps, les clients sont devenus plus exigeants et moins fidèles accélérant le mouvement.

Désormais à portée de main, les données sont source de création d’une valeur insoupçonnée. Commentant les premières annonces faites après l’accord signé par IBM avec Twitter, François Mollard, Vice-Président Secteur Industrie rappelait que les 500 millions de tweets qui s’échangent quotidiennement sur la blogosphère, parfois très personnelles, constituent ce que l’on peut appeler le bruit numérique dont il est possible d’extraire des informations utiles, voire essentielles. Par exemple, le rassemblement populaire de mai 2013 après le troisième titre de champion de France de Ligue1 du PSG qui avait tourné en une véritable émeute avait été identifié par Apicube, une société basée à Toulouse spécialisée dans le big data et l’étude des conversations publiques sur internet ; il n’y a là aucune magie mais une exploitation détaillée du flot de tweets publiés les jours précédant l’événement. En travaillant sur l’identification des différentes « tribus » de supporters et en analysant leurs comportements, les discours tenus par les influenceurs et d’autres informations relatives à ce type d’événement, il était relativement simple de « prédire » ce qu’il allait se passer et avec quelle envergure, résume la société toulousaine (PSG, Trocadéro, il suffisait de lire Twitter).

Les deux sociétés ont déjà travaillé ensemble. La ville de Toulouse a procédé à analyse de son empreinte sociale sur Internet. Pour prendre le pouls de ses administrés, La ville Rose avait réuni une base de plus de 1,6 million de documents en provenance de sources publiques aussi diverses et variées que des blogs, des forums de discussions, Facebook, Twitter ou divers médias issus de la presse nationale ou régionale ont été intégrés et analysés sur une période de 1 an (de février 2012 à février 2013). Il s’agissait là d’une analyse ex-post, aujourd’hui on tend vers le temps réel car les outils le permettent.

GrDF attend beaucoup de son projet Gazpar du nom du compteur intelligent dont 11 millions d’unités devraient installés dans les foyers d’ici à 2022. GrDF partegera les données avec d’un côté les fournisseurs d’énergie (B2B) et de l’autre les particuliers (B2C). A terme, Gazpar apportera une amélioration de la qualité de services aux clients au niveau individuel (suivi de la consommation en temps réel avec des alertes en cas de dépassement de seuil, facturation à la consommation réelle et non estimée qui laisse parfois de mauvaises surprises, comparaison de consommation…) mais aussi au niveau collectif. En agrégeant les données, il sera possible de comparer la performance de quartiers, de régions… A l’instar du smart grid électrique, le réseau gazier est, lui aussi, en train de se transformer en smart grid et pouvoir ainsi gérer l’apport des sources d’énergie variable issues de la combustion des déchets, de la biomasse… Déjà le réseau de gaz national autorise l’injection biométhane en provenance de 7 sites.

Dans ce que l’on appelle l’Internet Industriel et qui est au carrefour du big data et de l’Internet des objets, GE avait montré la voie (GE lance une grande offensive dans le big data industriel). Mais tous les industriels s’y mettent. Dernier en date, Safran a créé en janvier dernier Safran Analytics, une nouvelle entité qui, comme son appellation le suggère, aura pour fédérer et de coordonner toutes les activités du groupe dans le big data et d’améliorer les performances grâce à l’exploitation des données. « Un moteur d’avion peut représenter jusqu’à 30 % du prix d’un avion », rappelle Laurent Schmitt, Vice President Smatgrids Solution chez Alstom et sa durée de vie est de 30 ans en moyenne. « A chaque atterrissage, un moteur génère 1 To de données dont l’analyse permettra de réduire la consommation, d’améliorer la maintenance prédictive… ».

Les constructeurs automobiles n’échappent pas à cette nouvelle concurrence : Apple, Google et Tesla ont déjà de belles réalisations à leur actif. « La voiture est un condensé de technologies, rappelait François Mollard. Un véhicule héberge une vingtaine de processeurs et quelque 100 millions de lignes de code informatique. Il génère 26 Go de données par heure de circulation. Autant de données qui peuvent être exploitées par les assureurs, les gestionnaires de flottes… Des données qui peuvent aussi être utilisées pour faire de la maintenance préventive et améliorer la fabrication des nouveaux modèles. Mais, les données permettent aussi ». Les constructeurs traditionnels ne restent pas inactifs. Carlos Ghosn, le PDG de Renault Nissan, annonce la commercialisation des autos sans conducteur pour 2019 au Japon. (La voiture sans conducteur, pas si futuriste que cela). Et l’enjeu n’est pas seulement la voiture sans conducteur mais touche à de nombreuses autres dimensions pour s’élargir jusqu’à ce que l’on appelle aujourd’hui les smart cities.

 

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[1]
« Tout le monde a peur de se faire Uberiser » Maurice Lévy – La Tribune (17 décembre 2015)