Mises sous forte pression par leurs directions métiers, devenues proactives voire autonomes dans le choix de leurs solutions et de leurs technologies, les DSI ont dépensé beaucoup d’énergie en 2014 à réfléchir à la meilleure stratégie pour répondre à l’urgence digitale, redorer leur blason en terme d’innovation auprès des métiers et tenter de garder la maîtrise de la feuille de route d’un SI dont elles n’auront définitivement plus le monopole. Après cette année d’inspiration, 2015 sera celle de l’expiration et le fossé commencera sérieusement à se creuser entre les entreprises ayant entamé le virage du digital et celles encore attentistes ou hésitantes sur la direction à suivre. L’heure est désormais moins à la réflexion et beaucoup plus à l’action.

Big data : même pas peur

Face à une dataification dont les entreprises ont aujourd’hui toutes parfaitement consciences, 2014 aura vu le modèle d’architectures Data-centric  et son emblématique concept de Data Lake s’imposer dans les réflexions architecturales des DSI. Nombre d’entres elles, souvent en synergie avec les métiers, se sont lancées avec succès dans des premières expérimentations Big Data. L’objectif était d’éprouver les nouveaux concepts et paradigmes introduits et démocratisés par les géants de la données, de mettre la main sur ces technologies Big Data et d‘en mesurer l’apport sur des cas d’usage à valeur de preuve métier et technologique. Des usages pour la plupart encore peu ambitieux en termes de Data Science et d’abord orientés marketing et gestion de la relation client. A noter également que certaines DSI, à des fins d’amélioration de la qualité de service et de la sécurité du SI, ont cherché de leur côté à bénéficier également des technologies Big Data pour aller un cran plus loin dans l’analyse de leur technical-data. Toutes ces expérimentations ont conduit les plus avancées à entériner le choix d’une stack Big Data et à en lancer l’industrialisation, pour être capable d’accueillir dès 2015 des premiers cas d’usage en production. Une année 2015 qui devrait également voir l’extension des expérimentations à d’autres domaines comme les risques, la fraude et la conformité réglementaire.

Advanced analytics: pas un long fleuve tranquille

En 2015, les entreprises qui se sont frottées à la Data Science, en 2014, prendront consciences que faire parler leurs données et en tirer une sur-valeur ne sera pas aussi simple et que si les machines-learning permettront de tirer une certaine valeur des données, le chemin restera encore long pour en automatiser l’usage en production. Elles devront prendre des décisions importantes en termes de stratégie Data Science : investir dans un Data Lab interne, avec la contrainte de devoir recruter ou développer des Data Scientists ou bien sous-traiter leurs R&D sur les données à des sociétés spécialisées, avec le risque de dépenser beaucoup pour des résultats aléatoires.

Elles devront dans tous les cas mettre en place une méthodologie rigoureuse pour ne pas faire dire tout et n’importe quoi à leurs données.

Les rêves d’analyse tous azimut sur tout type de données se faneront quelques peu. Les entreprises reviendront les pieds sur terre pour se concentrer d’abord sur la valorisation de leur stock de données, réalisant que les technologies à leur disposition ne sont qu’une partie d’une équation beaucoup complexe. Elles reverront à la baisse leur ambition de reactive-analysis, contrecarrée par une logistique de l’information incapable d’alimenter sans latence leurs systèmes d’analyse et d’en réinjecter des résultats suffisamment fiables dans leurs systèmes opérationnels.

Malgré la frénésie, la social-analytics restera limitée, faute à une sous-utilisation des réseaux sociaux comme véritable canal de vente et d’après-vente. Il en sera de même pour l’analyse des données non transactionnelles de l’IoT, les objets connectés étant encore faiblement intégrés aux business models des entreprises, même si la convergence entre Operational Technology et Information Technology se poursuivra et que l’Industrial Internet prendra corps rendant possible la concrétisation d’usage de type predictive-maintenance et le développement de location-based services. Ce recentrage sur les données à la main de l’entreprise ne sera pas sans impact sur les initiatives de predictive-analysis dont la performance nécessite un savant cocktail de données pour anticiper les comportements collectifs et individuels et déterminer la next-best-action à faire sur toute la chaîne de valeur de l’entreprise.

Business Intelligence : l’heure de vérité

Dans le sillage de cette course à la business-analytics, les systèmes décisionnels historiquement centrés sur la backward-analysis seront fortement challengés par le développement de la filière Big Data, tant en termes d’agilité, que de coûts d’exploitation, que d’ouverture aux utilisateurs finaux réclamant de plus en plus de Self-service BI. Toutes ces préoccupations enterreront pour un temps les velléités de Data Monetization, mais remettront sur le devant de la scène la sacro-sainte data governance à laquelle les entreprises ne pourront pas échapper encore bien longtemps.

SOA, BPM : le retour

Côté mobilité, la guerre des frameworks de développement d’applications se poursuivra et dans le sillage de l’accord IBM-Apple, de plus en plus d’applications métier conçues Mobile-First devraient apparaître. Cette émergence d’applications mobiles professionnelles conduira les DSI à poser un véritable Enterprise Mobility Framework avec là encore un volet intégration SI important. La conséquence directe sera une résurgence de l’intérêt pour les architectures orientées services et évènements (SOA) et orchestrées (BPM). En la matière, les DSI devront porter leur attention sur les outils de Dynamic Case Management dont la nouvelle génération est nativement conçue pour la gestion des processus dématérialisés et omni-canaux.

API Management : d’abord une question de business model

En matière d’API Management, les grandes manœuvres ne seront pas encore pour 2015. Non seulement peu d’entreprise ont encore conscience de l’API Revolution mais ont encore moins réellement compris de quoi il s’agissait. Ce n’est pas seulement simplifier l’intégration avec le SI et donc n’y voir qu’une forme d’Open SOA, au sens d’une exposition à l’extérieur des services jusqu’à présents internes au SI et inversement une capacité accrue à intégrer des services du Cloud. Et Mobile-First ne veut pas non plus dire API-First comme on l’entend trop souvent. Se lancer dans le business de l’API relève d’abord d’une décision stratégique qui vise à utiliser l’écosystème de l’entreprise comme un véritable levier de développement business et en exploser les frontières au-delà des partenaires habituelles. Il faut donc définir clairement ce que l’on vise à faire avec cet écosystème étendu : valoriser et monétiser un savoir-faire interne, développer une nouvelle offre capable par rétroaction de générer plus de revenu sur le core business, étendre la portée de l’offre actuelle de l’entreprise en permettant à des tiers de proposer des services à valeur ajoutée sur lesquels l’entreprise n’entend pas se positionner en propre, faire de l’Open innovation, externaliser une partie de la chaîne de valeur… S’engager dans l’API economy c’est donc d’abord se demander en quoi l’API va-t-il créer de la valeur pour l’entreprise. Il faut penser business-model first.

DevOps, Agile Methodology : de facilitateur à fondation

Poussées par la nécessité de réduire leurs temps de cycle, les DSI poursuivront leurs investissements en termes d’intégration continue. En complément, elles n’hésiteront plus à systématiser l’emploi des méthodes agiles sur tous les projets intégrant une part d’innovation où pour lesquels le time-to-market sera critique.

Cybersecurity : vers une nouvelle ère

2014 aura été une année spectaculaire en terme de piratage et de fuites de données démontrant les limites des systèmes de protection actuelle. Si la sécurité est une priorité constante et ne doit souffrir d’aucun relâchement, les DSI devront en 2015 sérieusement challenger leurs systèmes d’authentification et d’identification actuels. Leur regard devra se porter à deux niveaux. Au niveau de l’infrastructure de leurs données de plus en plus fédérées et en temps réel, amplifiant les risques d’attaque et de propagation de données malignes et au niveau de la sécurité des accès à leur SI mise à mal par la diversité croissante des équipements qui y sont connectés. Au cœur de cette sécurité, la détection possible des attaques en amont sera une des armes clés de l’arsenal sécuritaire, ce qui devrait doper l’intérêt pour les systèmes d’analyse d’anti-pattern, y compris ceux proposés en mode SaaS.

Cloud : le ciel s’éclaircit

Si l’usage du Cloud reste encore parcellaire sur le cœur business des entreprises, il est en passe de devenir un ticket gagnant dans un nombre croissant de scénarii business data-intensivetime-to-market et coûts de Run sont vitaux. Au-delà, toutes les entreprises dont les data centers arriveront en bout de course seront plus que tentées de s’appuyer sur un Cloud Provider pour motoriser leur future infrastructure et opérer le massive-shift que l’on nous prédit depuis des années. Les expérimentations Big Data devraient également bénéficier au Cloud à condition que les offres PaaS de plateformes Big Data soient véritablement opérationnelles.

Shadow IT, Open Source : nouveaux ambassadeurs du digital

Partant du constat que pour être digital à l’extérieur il faut aussi être digital de l’intérieur, les DSI continueront à faire leur mutation et ouvrir leurs chakras en proposant de plus en plus de facilités de digital working pour permettre à l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise de travailler au bureau comme à la maison. L’ouverture et la modernisation des postes de travail, le déploiement de x-blet, la possibilité de travailler avec son own-device, la mise en place de réseau sociaux d’entreprise et plus globalement d’outils collaboratifs de nouvelle génération se poursuivront. En parallèle, la mise en place des plateformes Big Data basées sur des solutions libres type Hadoop, anoblira définitivement l’Open Source comme une alternative plus que crédible aux solutions éditeurs sur des composants stratégiques du SI.

IT Governance  : l’union sacrée

Fini les guerres internes entre CIO, CDO, CTO, CxO et les Directions Métiers quant à la légitimité sur la transformation digitale du SI de l’entreprise et sur l’innovation métier par les technologies. L’heure sera à une meilleure co-construction entre l’ensemble des acteurs pour produire des résultats tangibles et opérationnels, trouver le bon mixte-solution entre investissement tactique et stratégique. Dans cette gestion en co-propriété, le DSI devra réussir à sanctuariser un budget SI sur des projets à l’initiative de la DSI, que ce soit pour moderniser des actifs existants, poursuivre l’urbanisation et l’omni-canalisation du SI, expérimenter des technologies et introduire des nouvelles fondations stratégiques digitales. Il devra, avec le CDO, ne pas hésiter à prendre des risques, à bousculer les habitudes dans les solutions proposées aux métiers.

 

 

 

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Jérôme Besson est associé chez Sentelis