Les annonces d’investissement des grands acteurs américains du cloud sur le territoire français se sont récemment succédé. Quels vont être leurs impacts cette année et quelles sont les nouvelles tendances qui émergent sur le marché des data centers ?

1) Le data center français, terre d’accueil de la high tech américaine

Au cours du deuxième semestre 2016, le marché des data centers a été marqué par une succession d’annonces concrétisant l’arrivée de grands noms américains du cloud et du contenu digital, tels que Microsoft et Amazon, au sein des data centers français. Situés à Paris et à Marseille, ces data centers sont au cœur des deux hubs internationaux de connectivité dont seule la France est dotée. Mais ces déploiements n’en sont qu’à leurs débuts et vont s’opérer de façon progressive.

La disponibilité des services ne sera pas immédiate. Il existe un écart d’environ 6 à 12 mois entre une annonce et la disponibilité effective des services. En France, l’impact réel pour les entreprises et utilisateurs de plates-formes cloud ne sera mesurable qu’à la fin 2017, et plus probablement courant 2018.

Cependant, les sociétés du cloud et du digital media doivent dès à présent déterminer où installer leur infrastructure qui permettra à leurs clients de créer leur cloud hybride. En effet, tous les data centers ne sont pas dimensionnés et stratégiquement situés pour accueillir ces plates-formes. Seuls certains d’entre eux sont en mesure de cumuler les plates-formes compute, réseaux et les points d’accès.

Si, pour le moment, une petite poignée d’acteurs seulement est concernée, les investissements engagés ne sont pas réservés aux seuls géants du cloud. Pour accompagner les mutations technologiques, les grands noms du digital media, tels que Facebook ou Apple, suivent eux aussi cette tendance. De même, le passage du IaaS au SaaS va encourager des entreprises comme Oracle ou Salesforce à envisager de nouveaux plans d’extension et de déploiement de leurs infrastructures et services sur le territoire français.

L’impact pour la France est considérable car ces premiers investissements ne sont pas isolés et constituent bien une tendance de fond. Les fournisseurs de data centers et grands acteurs du cloud sont en train de bâtir les fondations d’une migration qui devrait se poursuivre sur les 5 à 10 prochaines années au moins.

 

2) Les investissements terrestres et sous-marins se multiplient

Conséquence directe de ces investissements en cours et à venir, l’amélioration de la connectivité sera un enjeu majeur. Cela se traduit d’ores et déjà par l’extension des capacités et la réduction des temps de latence via le déploiement de câbles sous-marins et la mutation des réseaux terrestres.

Afin d’accroître les capacités et assurer la livraison et la performance des services, les investissements en matière de câbles sous-marins se multiplient. A l’échelle mondiale, nous avons déjà identifié plus de 40 investissements dans des infrastructures allant de 20 à 100 téraoctets, voire au-delà. Une recrudescence jamais observée en plus de 10 ans ! A l’instar des plates-formes cloud ou digital media, ces déploiements de câbles devraient s’étaler sur les 4 à 5 prochaines années.

Les opérateurs (ou sociétés privées qui développent leurs propres câbles) ont bien compris que le point d’atterrage d’un câble allant d’un continent à un autre doit être situé dans un data center neutre vis-à-vis des opérateurs Télécom. Nous avons pu le constater à Marseille en 2016, avec le raccordement de câbles sous-marins transcontinentaux SEA-ME-WE 5 et AAE-1.

Afin de soutenir ces investissements, de plus en plus d’opérateurs privés, ou même de pays, pourraient envisager la mise en place de câbles sous-marins de très grosse capacité (30 à 40 téraoctets minimum) mais de faible distance. A titre d’exemple, la Tunisie étudie actuellement la possibilité d’être reliée au hub marseillais via les fonds marins.

De même, les opérateurs pourraient s’engager dans la vente d’actifs de câbles sous-marins, à l’image de l’égyptien Orascom qui vient de céder son câble MENA (Middle East North Africa) à l’indien Bharti Airtel, bien implanté en Afrique. L’intérêt des acteurs de l’infrastructure ou de certains opérateurs pour une interconnexion de continent à continent (de Gateway à Gateway) s’avère de plus en plus prégnant. Qu’il s’agisse de céder la propriété d’un câble sous-marin ou d’investir sur de faibles distances, ces types d’opérations pourraient bien se multiplier au cours des prochains mois.

La réduction du temps de latence devrait, quant à elle, se traduire par des investissements significatifs en matière d’amélioration des réseaux terrestres. C’est ce que nous pouvons déjà observer chez quasiment tous nos clients opérateurs et plus particulièrement à Marseille. Cela se matérialise par l’amélioration de réseaux existants ou bien par des migrations vers de nouvelles technologies réseaux. Il s’agit là d’une tendance de fond qui ne peut, elle aussi, s’opérer que dans certains data centers dimensionnés pour accueillir ces réseaux.

3) L’interconnexion de nouveaux territoires dans le monde : un enjeu clé

Les interconnexions de continent à continent sont un autre défi de taille pour les data centers. Jusqu’à présent, l’accessibilité au PIB primait et l’installation des infrastructures était pensée en fonction de la dépense informatique. Désormais, l’approche est en train de muter et s’oriente davantage vers des considérations démographiques. La consommation et l’accès au contenu digital est aujourd’hui un enjeu central pour l’Afrique, les pays du Golfe et la façade ouest de l’Inde. Il est devenu capital pour ces territoires de parvenir à connecter des millions de personnes. Pour la France, grande pourvoyeuse de contenus digitaux, c’est une opportunité considérable de renforcer son rôle de plaque tournante de l’Europe et d’interconnexion avec ces zones.

La cession du câble MENA démontre bien cette appétence pour la connexion des réseaux et populations entre eux. Avec cette opération, Bharti Airtel entend interconnecter toute la population d’origine indienne, des habitants de l’île de la Réunion jusqu’au Kenya en passant par la Somalie, afin de leur permettre d’accéder à des contenus et des services.

En Afrique, la volonté d’un bon nombre d’acteurs locaux de s’interconnecter avec des data centers français situés à Marseille est une réponse à ce besoin considérable de consommation de « digital media » des populations. Il s’agit là d’une évolution majeure qui va constituer un levier clé conditionnant l’explosion du numérique – et par conséquent, des infrastructures – en Afrique, dans les pays du Golfe et sur la façade ouest de l’Inde.

Les trois tendances évoquées ne sont pas parallèles. Elles s’enchevêtrent. En effet, le cloud facilite la distribution de contenu digital ou d’applications d’entreprises en s’appuyant sur une connectivité améliorée, permettant, entre autres, la livraison de contenus vers de nouvelles zones.

Le monde des échanges connaît un essor fulgurant propulsé par des data centers stratégiquement situés et dimensionnés pour répondre efficacement à l’augmentation des besoins des populations en matière de consommation et de trafic des données.

 

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Fabrice Coquio est président d’Interxion France