La transformation digitale bouleverse les environnements et méthodes de travail. Pour « faire neuf », faut-il, systématiquement, se tourner vers l’extérieur ?

Pour les entreprises, la transformation des organisations qui se profile aujourd’hui passe notamment par la réinvention de la relation client (un client toujours plus autonome grâce à la multiplication des applications mobiles et avec lequel les contacts ont fortement changé). La transformation digitale modifie ainsi radicalement les métiers historiques d’un secteur. Pour un hypermarché, le passage d’une offre physique au e-commerce ou bien pour les groupes d’hôtellerie-restauration, la création d’une plate forme de réservation multipartenaires, (Michelin, Accor) sont des ruptures qui, pour être couronnées de succès, appellent en effet de nouvelles organisations et méthodes de travail qui mettent en tension les compétences au sein de l’entreprise.

Nouvelles compétences ou accompagnement de l’expérience ?

En termes RH, la tentation est grande d’aller chercher, en priorité, à l’extérieur les talents qui sauront « faire neuf » Mais pour cela… peut-on uniquement s’appuyer sur de nouvelles recrues ? Est-ce réellement toujours nécessaire ? Pourquoi ne pas penser que les collaborateurs en place, et leurs équipes sont eux-aussi, et comme l’entreprise, capables de changer pour s’adapter ? (Les formations aux outils et techniques digitales complémentaires sont aujourd’hui, de fait, une nécessité pour tous tant la compét­­ence des « sachant » du Web est obsolète).

La réorganisation d’une activité entraîne, de fait, un changement dans les rôles et les missions d’hier et conduit à redéfinir les besoins en compétences de demain. La création de postes qui n’existaient pas auparavant comme l’attribution de nouvelles fonctions réactivent de vieilles idées fausses dont la confusion entre « compétence » et « expérience ». On peut le résumer ainsi : « il/elle ne l’a pas fait, donc ne sait pas le faire et… ne saura jamais le faire ». Ces croyances limitantes sont un frein à la transformation digitale. Elles envoient par ailleurs un terrible message en interne : « pour évoluer vers le digital, c’est en externe que ça se passe ».

Naturellement, certaines fonctions réclament des compétences spécifiques indisponibles en interne. Trop récentes ou demandant trop d’expertise pour être acquises par le biais de la formation (on ne s’improvise pas Responsable acquisition, ou Expert UX), elles doivent s’insérer nouvellement dans l’organisation. En résumé : lorsque les compétences prennent le pas sur l’expérience, la promotion interne est inopérante. Aussi savoir attirer, recruter, puis accompagner les meilleurs talents devient un impératif.

Promouvoir ou recruter : quel effet produire ?

Entre également en jeu la volonté de certaines grandes entreprises de produire, au travers d’un recrutement, un effet d’image. Les compétences peuvent être disponibles en interne, on préfèrera pourtant recruter à l’extérieur (une tendance qui affecte aussi les postes de middle management). Ce qui justifie ce choix n’est pas tant l’apport d’idées nouvelles que le besoin d’un emblème à produire auprès des salariés (ou des actionnaires). À ce titre, les grands groupes n’hésiteront pas, lorsqu’ils ont besoin de remobiliser leurs équipes, à recruter des « héros entrepreneurs » venus des icônes du digital. L’image véhiculée par ces profils à forte notoriété facilite leur intégration au sein de l’entreprise et contribue aussi à renforcer la mobilisation des équipes. Leur choix de rejoindre telle ou telle entité peut et doit envoyer un signal fort, crédibilisant la faisabilité de la transformation.

Plus cela est annoncé en grande pompe en interne et médiatisé en externe, plus la pression de réussite est forte… Encore faut-il que cela en vaille la peine car cela a un coût. Doter l’entreprise de nouveaux talents ne suffit pas à assurer le succès d’une transformation digitale car ces talents… doivent y rester. Pour qu’ils y restent, ils doivent être « en succès », ne pas être entravés par la lourdeur des process internes ou par des résistances. Aussi compétent que soit le transfuge chèrement acquis, la transformation ne s’engagera réellement qu’avec le soutien des équipes en place.

Savoir Identifier les « activistes »

Ce que la transformation digitale de l’entreprise révèle également, c’est une typologie de profils qu’il convient d’évaluer. Parmi eux : les réticents, qui peuvent constituer un frein à l’application de nouvelles méthodes ; les neutres qui, sans afficher de réticence ne seront pas « moteurs » du changement, et enfin, les « activistes » favorables aux nouvelles méthodes, ouverts et possiblement moteurs de cette transformation. Ces « activistes » voient dans la transformation digitale, l’occasion de travailler autrement, dans un environnement qui leur conviendra mieux, mais aussi l’occasion d’employer leurs talents jusqu’alors inutilisés et la perspective de monter en compétence. Les entreprises ont tout intérêt aujourd’hui à rechercher, identifier, motiver, former et coacher ces profils qu’elles ignorent trop souvent.
Favorables aux nouvelles organisations agiles, à une hiérarchie plus plate et en recherche de plus d’autonomie, ils constituent un atout sur lequel appuyer une stratégie de transformation digitale, pour encourager les plus réticents et accompagner les « neutres » sur la voie du changement. Leur promotion constitue de plus un message positif adressé aux collaborateurs de l’entreprise : « ici, il est possible d’évoluer ». Lorsque l’entreprise possède un ADN très fort, ou que l’importance du legacy y est primordiale, la fidélisation des talents demeure, rappelons-le, un enjeu d’extrême importance.
Le recours à la promotion interne des « activistes » constitue un puissant levier de transformation que les entreprises ne doivent pas négliger car l’avenir de leur transformation digitale repose aussi sur ceux et celles qui n’ont pas encore fait mais seront, demain, capables de faire. Ces entreprises en phase de transformation ne doivent pas hésiter aujourd’hui à s’appuyer sur des professionnels de l’acquisition de talents. Ils sauront, non seulement identifier les activistes, mais aussi accompagner de nouveaux managers dans leur prise de fonction, pour relever le challenge avec succès.

___________
Emmanuel Stanislas est
Fondateur de Clémentine, cabinet de recrutement spécialiste du digital et de l’IT.