Jusqu’ici, le secteur hôtelier avait été attaqué sur l’ensemble du parcours client, à l’exception de l’hébergement proprement dit. Et puis, des acteurs tels Airbnb entendent remodeler complètement le secteur.

Dans sa réflexion sur sa propre transformation numérique, Accor a mené une réflexion en profondeur sur les forces qui modifient radicalement le secteur hôtelier (Accor fait sa révolution numérique). Face aux ruptures liées à la numérisation, Accor ne se percevait pas aux premiers postes. Dans une classification en quatre catégories, le leader français de l’hôtellerie place son secteur en catégorie 2, à savoir qu’il est encore marginalement impacté en termes de chiffres d’affaires et où l’expérience utilisateur – de la recherche d’un hébergement à l’appréciation – se situe désormais dans une sorte de continuum hybride mélangeant le physique et le numérique.

« Depuis 15 ans, on a fait l’hypothèse que le numérique ne changerait pas trop notre secteur », reconnaissait Stéphane Bazin, Pdg d’Accor lors de la présentation du plan de numérisation de son entreprise (Digital Day). Le secteur ne se porte pas si mal avec un taux de croissance de 5 % par an depuis 10 ans alors que l’offre n’augmente qu’au rythme de 0,5 % par an ce qui lui permet de maintenir ses marges mais de nouveaux acteurs sont apparus aux fils du temps qui engage ce que le rapport Lemoine considère « comme un risque de siphonage de la valeur et des marges » et décrit comme « l’allongement des chaînes de valeur avec une ré-intermédiation opérée par des acteurs maîtrisant mieux nouvelles sources de richesse que l’interaction avec les personnes et l’exploitation du big data ».

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Concernant ce secteur, le rapport pointe certains paradoxes caractérisant l’économie française. D’alors, alors que la France est le leader mondial du tourisme et pourtant les grands « infomédiaires » qui exercent en France sont Booking ou Tripadvisor alors qu’il n’existe pas d’acteurs français de taille significative dans l’hôtellerie.

Face à ce phénomène, il y a évidemment une attitude défensive grâce à l’Etat qui doit maintenir une cadre règlementaire et fiscal égal pour tous. Des acteurs comme Booking, Expedia ou Tripadvisor ne sont quasiment soumis à la pression fiscale en France (TVA et IS). L’enjeu est de taille : 40% du chiffre d’affaires de l’hôtellerie sur lequel s’opère une ponction non taxée en France de 25%, ce serait 10% du CA de l’hôtellerie française qui échapperait à l’impôt. Ce sujet est tout sauf nouveau. « Les géants du Net réinvestissent l’avantage fiscal et social dont ils bénéficient dans les prix proposés aux consommateurs bénéficiant ainsi d’un avantage concurrentiel significatif », expliquait déjà une étude publiée par le cabinet PNC (Economie numérique et emploi en France : L’exemple de Google) qui affirmait que la firme californienne mettrait en danger entre 4000 et 12 000 emplois sur l’Hexagone.

« Pour être encore plus clair, leur avantage fiscal leur permet de dominer des entreprises françaises ou européennes qui elles, payent leurs impôts et leurs charges sociales en France ! Plus qu’un paradoxe, nous sommes en présence d’une étonnante rupture d’égalité entre concurrents ».

Malheureusement, déplore les auteurs du rapport Lemoine, « En France, il n’y a pas encore de stratégie claire sur les questions numériques, et c’est sûrement dû à la part trop faible d’élus sensibilisés au sujet ». Et de citer l’exemple du manque de réactivité des fédérations ou des pouvoirs publics face au rachat de lafourchette.com par TripAdvisor, tandis que ces mêmes pouvoirs publics et fédérations déplorent que dans l’hôtellerie, une partie de la création de valeur soit aspirée en dehors du territoire par des plateformes comme Booking.

Quatre types de concurrents

Pour mieux développer une stratégie, il est important de faire un état des lieux détaillés et rigoureux. Accor présente quatre familles d’acteurs qui interviennent aux différents niveaux de l’expérience client. Parmi la première catégorie de ces acteurs, on trouve Google, tête de file des GAFA, qui est partout et entend, pour le dire trivialement, faire feu de tout bois, pour récupérer des fonds publicitaires. Une sorte de mécanique inscrite dans l’ADN de la firme de Mountain View. Cette incursion agressive de Google est d’autant plus complexe qu’elle fonctionne comme une boite noire et qu’il est donc difficile de bien comprendre les bonnes réponses à apporter. Et ceux qui entendent lutter contre cette inexorable montée en puissance des GAFA ont bien du mal. Exemple récent la lettre ouverte du patron de Springer à Google (Nous avons peur de Google) en avril dernier qui sonne comme un aveu d’impuissance : « nous – et bien d’autres – sommes dépendants de Google ». Il se trouve que Mathias Döpfner vient tout juste de jeter l’éponge (Axel Springer cède face à la pression de Google). Il suffit d’observer aussi la difficile cohabitation des maisons d’édition face à Amazon. Autre exemple : le secteur des transports. Dans une conférence réunissant les 5000 cadres de l’entreprise en septembre 2013, le Pdg de la SNCF Guillaume Pepy n’avait pas mentionné une seule fois le nom de Deutsche Bahn, la société des chemins de fer allemands : « Le joueur à marquer de près, désormais, c’est Google et ses avatars, les champions de l’économie de la connaissance des masses de données en provenance des marchés » avait-il alors déclaré.

Dans la deuxième catégorie, on trouve les OTA (Online Travel Agencies) qui sont plus que le simple transfert d’une activité déjà existante sur Internet. Elles changent les règles de la concurrence et sont classés dans la catégorie des innovateurs. « Ces sites Internet de réservation / distribution en ligne, dont les grands noms sont bien identifiés et pour la plupart non localisés en France, exercent désormais des pressions exorbitantes qui remettent en cause la viabilité de notre système économique par des pratiques hautement contestables », explique l’UMIH[1] sur son site Internet. Le syndicat professionnel indique s’être donné comme objectif : « moraliser les pratiques des OTA et restaurer enfin les conditions d’une concurrence libre et non faussée pour une relation tripartite – OTA, hôtels, clients – enfin équitable ». En juin dernier, les deux organisations professionnelles du secteur (UMIH et GNC – Groupement National des Chaînes Hôtelières) ont rencontré Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au Numérique pour échanger sur le sujet. Cette rencontre est intervenue une semaine après l’assignation devant Tribunal de Commerce par le Gouvernement de l’agence en ligne Booking sur l’illégalité de certaines clauses qui empêchent les hôteliers de fixer librement leurs tarifs. Une action qui fait suite à celle contre Expedia quelque mois plus tôt. Interrogé sur ce sujet en mai dernier, Stéphane Bazin était plutôt favorable à une négociation avec les acteurs du Net plutôt qu’à une confrontation (voir vidéo ci-dessous).

Aujourd’hui, avant de faire leur réservation, 70 % des clients vont sur les réseaux sociaux. C’est le phénomène TripAdvisor, leader de la troisième catégorie de nouveaux acteurs. Les hôtels, qu’ils soient des chaînes ou des indépendants, ont deux manières de répondre : ignorer le phénomène ou l’intégrer dans leur stratégie. Accor a été la première chaine à afficher les informations du média social sur son site partant du principe qu’il n’est pas possible de lutter contre ce phénomène.

La 4e catégorie est plus frontale dans la mesure où elle touche au cœur du métier c’est-à-dire l’hébergement avec l’émergence du CtoC, c’est-à-dire de la relation directe des consommateurs entre eux grâce à Internet. La plus belle réussite dans ce secteur est incontestablement Airbnb même si elle n’est pas la seule : au niveau européen, on peut citer Wimdu et au niveau français Sejourning, MorningCroissant et Bedycasa (, iStopOver, Wimdu, 9Flats, Homeaway, Localo, Roomorama, Housetrip…

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Là encore la concurrence entre ces acteurs et les hôtels n’est pas à armes égales, notamment sur le plan fiscal. Un récent rapport (Airbnb in the city) met en lumière l’industrialisation de la location meublée touristique dans la ville de New York (6% des propriétaires loueurs contribuent pour 36% du chiffre d’affaires réalisé par Airbnb à New-York) et montre que 72% des locations violent les règles fiscales en vigueur. L’Etat de New York a ainsi modifié le champ réglementaire. Il est aujourd’hui illégal de louer un appartement à New-York pour moins de 30 jours si le propriétaire n’est pas présent sur place. A San Francisco, les propriétaires ne peuvent pas louer leur logement plus de 90 jours par an. Airbnb est présenté comme un acteur de rupture et son développement a été foudroyant. Créé en 2008, Airbnb revendique 800 000 annonces (logements possibles) dans 33 000 villes de 192 pays. A titre de comparaison, Accor fait état 3 600 hôtels représentant 460 000 chambres dans 92 pays. En avril dernier, le fonds TPG Capital a investi 450 M$ dans Airbnb et valorisant ce que l’on peut encore appeler une startup de 600 salariés à 10 milliards de dollars. Avec ses 160 000 salariés et un chiffre d’affaire de près de 8 milliards de dollars, Accor a une capitalisation boursière légèrement inférieure.

 
Stéphane Bazin sur BFM Business en mai dernier

[1] Union des métiers et des industries de l’hôtellerie