Le service AdWords de Google permet aux annonceurs de proposer aux internautes des liens en tête de liste des résultats de recherche. En réservant des mots-clés, les exploitants des sites peuvent attirer les internautes lorsqu’ils recherchent un terme donné. Afin de prouver qu’un concurrent a utilisé un terme protégé (marque, dénomination sociale, enseigne, etc.) comme mot-clé, encore faut-il savoir quel fondement juridique invoquer.

Les sociétés Vente-privee.com créée en 2001 et Showroomprivé.com créée en 2006 s’affrontent sur ce point de droit depuis maintenant quatre ans. Le conflit entre ces deux leaders du marché de ventes évènementielles est même remonté jusqu’à la Cour de cassation qui a rendu une décision ce mardi 22 novembre.

Un contentieux « e-commerce » en apparence classique

La société Vente-privée.com a constaté en 2012 qu’en introduisant sa marque « vente-privée.com » dans l’outil de recherche Google, des liens publicitaires dits « premium » pointaient vers le site Showroomprive.com. Elle a alors sollicité auprès du juge des requêtes des mesures d’instruction dites in futurum, justifiées par la nécessité de récolter des preuves dans l’éventualité d’un procès futur.

Cette demande a été accueillie sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, traditionnellement invoqué dans le contentieux de la concurrence déloyale et parasitaire. Un huissier de justice a été autorisé à se rendre dans les locaux de la société Showroomprive.com pour obtenir des informations sur sa politique de réservation de mots-clés AdWords. Ce différend en apparence classique s’est alors transformé en véritable duel judiciaire entre les deux géants du commerce électronique.

Un enjeu d’admissibilité en justice des preuves récoltées

Pour éviter tout risque de dépérissement des preuves, le principe du contradictoire a été écarté. Concrètement, la société Showroomprive.com n’a pas été prévenue que de telles investigations allaient être menées. Elle a donc formé appel en se plaçant  sur le plan processuel. En effet, elle a affirmé que les investigations menées sur autorisation du juge revenaient en réalité à une saisie-contrefaçon, que la société Vente-privée.com n’avait pas invoqué le bon fondement juridique.

La Cour d’appel de Paris a débouté la société Showroomprive.com le 17 février 2015 « en considérant que la mesure sollicitée ne s’analysait pas en une saisie-contrefaçon déguisée mais en une demande d’informations préalable ». Ce raisonnement favorable à la société Vente-privée.com a été validé par la Cour de cassation. L’enjeu était considérable, puisque les preuves récoltées à la suite d’une saisie-contrefaçon déguisée ne sont ensuite pas légalement admissibles. Il est aujourd’hui confirmé qu’elles pourront être utilisées contre les exploitants du site Showroomprive.com pour démontrer d’éventuelles mauvaises pratiques et obtenir réparation.

En conclusion, la Cour semble sous-entendre que la politique de réservation de mots de la société Showroomprive.com entrerait tant dans le champ de la responsabilité civile délictuelle que de la contrefaçon. En déduire qu’il s’agit simplement d’un acte de concurrence déloyale et parasitaire, sans constituer une contrefaçon de marque serait même tentant. Il s’agit en tous cas d’un nouvel échec pour Showroomprive.com qui avait tenté sans succès de faire annuler la marque Vente-privee.com et s’était fait condamner au paiement de dommages-intérêts dans le cadre d’un autre procès entre ces deux sociétés.

___________
Antoine Chéron, avocat spécialisé en propriété intellectuelle et NTIC, fondateur du cabinet ACBM