La CNIL vient de rendre un avis concernant l’analyse du comportement des consommateurs à l’intérieur des magasins. Certains s’en offusquent, décrivant une fois de plus la CNIL comme une autorité freinant en l’occurrence l’utilisation des possibilités de la technologie pour dynamiser le commerce.
Il est vrai que les capacités des smartphones actuels, des applications téléchargées, et des logiciels d’optimisation des CRM et de profilage n’ont jamais été aussi grandes, et qu’elles permettent de développer non seulement le comptage et l’analyse de masse mais aussi de nouveaux modes de communication des marchands vers leurs prospects et clients.
Pourquoi donc cette surprise outragée voire cette déception de professionnels du marketing ou du logiciel ? Qui a raison ou tort ? S’agit-il d’un malentendu, d’un conflit de génération, ou de lois imparfaites ?
Disons-le tout net : les annonceurs et les marchands ont raison de vouloir dynamiser leurs ventes dans un contexte difficile et concurrentiel. Ils cherchent à faire gagner du temps à leurs clients et leur faire découvrir de nouvelles offres en optimisant leurs magasins et en ciblant toujours davantage leurs offres.
Pourtant, ceux qui en sont restés au mailing classique ou même à la publicité poussée à tout crin en exploitant à l’extrême les nouveaux outils technologiques devront rapidement évoluer.
En effet, le temps de la réclame subie sera bientôt révolu, de même que l’infantilisation du consommateur. Plutôt que de voir le smartphone et l’Internet mobile comme un nouveau canal pour pousser des messages ciblés, il sera beaucoup plus productif de les utiliser pour développer le marketing de la permission et du désir. Depuis les premières publications de l’américain Seith Godin il y a 15 ans, relayées notamment par le publicitaire français Gabriel Szapiro, il a été démontré que le commerce et la fidélité se développent beaucoup mieux lorsque le consommateur est en capacité de faire connaître ses préférences. Certes, les annonceurs proposent des rubriques parmi lesquelles on peut choisir ses pôles d’intérêt, mais c’est devenu très insuffisant.
En effet, la CNIL enregistre depuis longtemps, presque impuissante, les nombreuses dérives actuelles dans le recueil des permissions (opt-in), avec des professionnels qui se revendent des fichiers, d’autres qui les croisent avec des cookies voire avec la géolocalisation pour dresser de chacun d’entre nous des profils qui pourraient être mal utilisés entre des mains peu scrupuleuses. Mais la CNIL a surtout le mérite de voir trois crans plus loin et d’anticiper les nouvelles dérives qui s’annoncent grâce aux progrès des techniques matérielles et logicielles, alors que les fondamentaux de la loi Informatiques & libertés de janvier 1978 n’ont jamais été aussi fondés, valides et pérennes, dans une société soucieuse des libertés.
Le recueil d’un consentement explicite et éclairé de la part du citoyen accessoirement consommateur en est un pilier que nous devrions tous sacraliser, et pas seulement parce que c’est notre loi commune.
En effet, il est devenu notoire que l’Europe, après avoir excellé en télécoms, a perdu toutes les batailles de l’Internet, des terminaux mobiles, et de nombreuses applications qui sont désormais conçues et proposées en grande majorité par les Etats-Unis, voire les coréens et les chinois pour les matériels (pour instant). Face à nos atermoiements et au libéralisme débridé des autres continents, la colonisation numérique de l’Europe est bien avancée. Et si nous ne réagissons pas, nous en serons réduits à protester, en vain.
Il faut donc se réjouir de ce que la CNIL, ses consœurs des pays voisins et de multiples consciences des mondes de la technologie, de la politique, de la sociologie et des médias se soient mobilisés et que la riposte soit déjà en marche. Ainsi, le projet de règlement sur la protection des données adopté par le parlement européen le 12 mars 2014 va bien au-delà de nos lois des années 1978-2004, prévoyant des sanctions très dissuasives pour les contrevenants de tous pays (jusqu’à 5% du chiffre d’affaires mondial ou 100 millions d’euros) et exigeant la mise en place d’un droit à l’oubli, entre bien d’autres règles. La conformation à ce règlement va bouleverser la donne de tous les fournisseurs de services, de logiciels, de traitement de données, etc. C’est vrai pour nos concurrents étrangers mais cela l’est également pour nous-mêmes les européens.
Tous les professionnels concernés, pourvoyeurs de technologie, d’applications logicielles, agences de marketing ou annonceurs ou distributeurs doivent donc s’en imprégner et s’adapter.
Cela signifie-t-il qu’il faut tout arrêter et revenir à des pratiques marketing ancestrales en se privant de toute utilisation de la technique ? Certes pas et ce n’est d’ailleurs pas ce que dit la CNIL, qui ne fait que transcrire les conséquences de nos principes.
En fait, nous sommes à la croisée des chemins entre les méthodes anciennes de la relation client, dont l’efficience était limitée, et celles qui seront permises par les fulgurants progrès de la technique y compris du « big data », d’ailleurs désigné comme l’un des grands chantiers de la nouvelle France industrielle.
En effet, les américains eux-mêmes reconnaissent que la France fourmille de talents et d’idées pour innover en matière d’applications et de logiciels. Il ne tient qu’à nous d’y ajouter un autre talent, celui du respect exemplaire des libertés dans le traitement des données personnelles, le fameux « privacy by design ».
Revenons-donc au casus belli du traitement plus ou moins anonyme des signaux des smartphones émis dans les magasins. Les acteurs du commerce et leurs fournisseurs de solutions ne sont pas des inconscients irresponsables, mais on ne leur propose pas encore de solution conciliant la puissance technique, l’intelligence marketing et le respect des libertés.
Or, c’est en s’appuyant sur ce constat que des acteurs et spécialistes de la géolocalisation, sensibles à la protection des données personnelles, ont réfléchi, en concertation avec la CNIL, à une nouvelle approche centrée sur la demande de permissions explicites.
C’est dans cette optique qu’a été développé et déposé le procédé français PermiLoc. Procédé qui donne la possibilité au consommateur de recevoir, en fonction de ses besoins, des informations géolocalisées réellement désirées, commerciales ou utilitaires, dans les lieux et créneaux horaires de son choix, et de modifier à tout moment ses préférences. Avec les applications utilisant ce procédé, les annonceurs et magasins n’auront plus besoin de recueillir des données de leurs prospects anonymes.
Et s’ils veulent s’adresser à leurs clients actuels non anonymes et les fidéliser, la technique leur permettra effectivement des profilages et personnalisations fins et puissants, pour peu qu’ils en aient demandé explicitement l’autorisation à leurs clients après les avoir convaincus des nouveaux avantages exprimés en gain de temps, de pertinence et de fidélité.
Ce changement de paradigme va permettre à tous les acteurs du marché : annonceurs, fournisseurs de technologie, responsables ou contrôleurs de traitement des données, de travailler ensemble avec lucidité pour rétablir ou tout du moins conserver la confiance des consommateurs.
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Stéphane Schmoll est directeur général de Deveryware