Le travail indépendant connaît, depuis maintenant dix ans, un essor inédit en France : selon une étude récente du Boston Consulting Group[1], le nombre de freelance y a augmenté de 85 % entre 2004 et 2013. Le secteur le plus touché par cette transformation est celui du numérique, dans lequel travaillent plus de la moitié des indépendants. De plus en plus d’entreprises privilégient aujourd’hui les plates-formes de recrutement de freelances au détriment des sociétés de service. Les métiers des SSII sont-ils en voie d’uberisation, ce mouvement qui transforme des pans entiers de l’économie en autonomisant les travailleurs par le biais des technologies numériques ? Quelles sont les causes de cette individualisation du travail et quels en sont les risques ?
L’informatique : l’enfant terrible des entreprises
L’intégration des activités informatiques aux organigrammes des entreprises est, depuis leur apparition, problématique. L’évolution toujours plus rapide des technologies et des méthodes de travail a une fâcheuse tendance à bouleverser régulièrement les grilles établies. Les SSII sont apparues comme un moyen efficace de remédier à ces difficultés : l’apparition d’un nouveau langage, l’adoption d’une nouvelle méthode de développement font partie du quotidien de ces entreprises. Ce format a ainsi largement séduit les sociétés hexagonales et plusieurs champions nationaux sont nés en même temps qu’un grand nombre de PME.
La carrière et le court terme
Mais du point de vue de leurs employés, deux postures coexistent chez ces acteurs du numérique : celle des salariés traditionnels qui veulent y faire carrière et celle des « mercenaires » qui les voient comme des agences d’intérim, ceux-ci enchaînent les emplois à court terme et se vendent au plus offrant en faisant valoir leur maîtrise des technologies les plus récentes ou rares. Ce sont eux qui grossissent aujourd’hui les rangs des freelances et font les beaux jours des plates-formes de recrutement spécialisées.
Du côté des sociétés clientes, il y a peu de différences entre l’emploi d’un indépendant et le recours au système traditionnel de régie des SSII : dans les deux cas un profil précis est employé pendant un temps délimité correspondant à la durée d’un projet particulier. C’est la banalisation de ce type de collaboration qui a mené à l’extension de l’auto-entrepreneuriat, dès lors qu’ils pouvaient trouver eux-mêmes des clients, les informaticiens n’ont plus eu intérêt à passer par l’intermédiaire de sociétés de service.
Mais la réelle valeur ajoutée des SSII réside aujourd’hui dans les prestations forfaitisées : dans ce cas de figure, elle n’est plus simplement un apporteur de ressources humaines mais un véritable sous-traitant qui peut aller jusqu’à reprendre une partie des applications d’un client pour les développer intégralement de façon externalisée. Ce type de service ne peut s’inscrire que dans une relation de long terme. Afin de prendre en compte les évolutions stratégiques d’un client, ses attentes et sa culture, il est nécessaire de le connaître de façon approfondie. La tendance actuelle à la construction d’applications par nombreuses itérations successives plaide en faveur de ce fonctionnement : les sociétés clientes ont besoin d’un suivi de proximité et de long terme, que ne peuvent assurer les freelances susceptibles à tout moment d’être mobilisés par une autre offre plus rémunératrice.
Il est désormais nécessaire de prendre en compte le fait que la réussite des projets informatiques ne dépend pas uniquement du coût du travail et de sa fluidité mais aussi de la qualité des relations entre un client et un prestataire. Or cette nécessité et la tendance actuelle à l’uberisation sont antinomiques : on ne confie pas un projet de long terme et de confiance à un « mercenaire »
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Michel Koutchouk est Président Directeur Général d’Infotel
[1] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/154000646.pdf