Face à une dépendance technologique évaluée à 264 milliards d’euros, le Cigref défend une approche européenne coordonnée pour retrouver une autonomie stratégique. Entre l’affaire VMware et les hausses tarifaires des géants américains, les entreprises françaises prennent conscience de l’urgence d’agir. Emmanuel Sardet, Président du Cigref, est notre Grand Témoin cette semaine…

« Dans les six derniers mois, il s’est passé plus de choses que dans les vingt dernières années. » Cette phrase d’Emmanuel Sardet, Président du Cigref et directeur des technologies et opérations du Crédit Agricole, résume parfaitement l’accélération brutale des enjeux de souveraineté numérique. L’affaire VMware/Broadcom n’est que la partie émergée d’un iceberg bien plus massif : selon une étude du cabinet Asterès commandée par le Cigref, la dépendance technologique des entreprises françaises aux acteurs américains représente 264 milliards d’euros.

Face à ce constat alarmant, l’objectif affiché est ambitieux mais réaliste selon Emmanuel Sardet : atteindre 15% d’achats de solutions européennes d’ici 2035. « Mes administrateurs, grandes entreprises ou grandes administrations, ont tous dit 15% dans notre masse d’achats informatique, que je dépense 500 millions ou que je dépense 7 milliards, à 10 ans 15%, c’est faisable« , affirme-t-il. Un objectif qui pourrait créer 500 000 emplois en Europe.

La création récente du comité stratégique de filière « logiciels et services numériques de confiance » marque une étape importante. Pour Emmanuel Sardet, ce comité répond à deux enjeux distincts : l’autonomie stratégique pour les entreprises et la souveraineté pour les États. « Les entreprises comme les administrations veulent retrouver une part de manœuvrabilité. »

L’acquisition de VMware par Broadcom a servi de révélateur. « Force est de constater que cette stratégie-là, elle est gagnante d’un point de vue financier pour ces entreprises-là« , reconnaît Emmanuel Sardet, avant d’ajouter : « Ça ne veut pas dire qu’on doit être d’accord et qu’on doit approuver ces pratiques-là. » Les hausses tarifaires moyennes de 30% proposées par les géants américains ne sont plus acceptables. « On s’aperçoit aujourd’hui qu’on a beaucoup plus de points de faiblesse qu’on ne l’avait il y a 10 ans ou même il y a 5 ans. »

Face à ces défis, la réponse ne peut plus être dans la simple optimisation des coûts. « On diminue le risque et on apporte des économies par la transformation, et pas simplement par l’optimisation« , martèle le président du Cigref. Un message difficile à faire passer auprès des directions générales.

Pour le Cigref, la solution ne peut être que européenne. L’association pousse pour l’adoption de l’EUCS H+, la certification européenne de cloud avec immunité aux lois extraterritoriales. Il faut une vrai accès rapide et homogène au marché européen ce qui ne pourra se faire si chacun des 27 pays de l’UE a ses propres règles et si on multiplie les labesl : « Si on veut favoriser notre marché européen et nos acteurs européens, il faut faire l’inverse ». Cette ambition européenne se traduit concrètement : le Cigref consacre désormais la moitié de ses actions d’influence au niveau européen, avec des rencontres régulières à Bruxelles et une coordination renforcée avec ses homologues allemands, belges et néerlandais.

Malgré les échecs passés de l’Europe technologique, le président du Cigref reste optimiste. Il mise notamment sur des « gros porteurs » comme l’identité numérique européenne : « On pousse, nous, au CIGREF très fort pour que l’écosystème se mobilise autour de ces gros porteurs. » Entre prise de conscience et passage à l’action, les entreprises françaises sont à un tournant. L’objectif de 15% n’est qu’une première étape : « Si l’écosystème se développe à la fois du côté offre et du côté demande […] il est bien évident que le seuil de 15% évoqué sera dépassé. » À condition que tous les acteurs jouent collectif au niveau européen.

 

 

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