Ne dites plus GAFA, mais GAF. Depuis plusieurs mois, Apple prend en effet ses distances avec ses voisins de la Silicon Valley, Facebook en tête, en martelant sa différence en matière de traitement de la donnée personnelle. Tim Cook, le nouveau patron de la marque à la pomme fait ainsi sienne la promesse de Steeve Jobs : permettre à chacun de disposer de son jardin secret dans la jungle du digital. Posture de communication pour les uns, véritable conviction pour les autres, quelles que soient ses réelles motivations, Apple multiplie depuis plusieurs mois les prises de paroles sur le sujet. Et si le géant américain n’est pas exempt de critiques, force est de constater qu’il applique une politique en matière de protection de la donnée personnelle bien plus éthique et respectueuse que la plupart de ses petits camarades.
Quand Apple fait la morale aux géants de l’Internet
Omniprésent lors de sa keynote de mars dernier, le discours de la marque à la pomme sur l’utilisation de la donnée personnelle de ses utilisateurs n’a pas échappé aux commentateurs de l’événement. Ainsi, Tim Cook a répété à de multiples reprises que cette précieuse data n’était pas revendue à des fins commerciales ou de ciblage. Mais également pour la personnalisation de ses produits, requérant du machines learning et de l’IA, la donnée était stockée uniquement sur le terminal de l’utilisateur et en aucun cas sur ses serveurs.
Et pour bien faire comprendre sa différence, la marque n’hésite pas à taper sur les autres géants américains, dont Google et Facebook, rattrapés l’an dernier par de nombreux scandales autour de l’exploitation et de la sécurité des données personnelles de leurs utilisateurs. Certes, tous ont besoin de cette data pour exister et proposer des expériences personnalisées à leurs clients, mais l’usage qu’ils en font est très différent d’une firme à l’autre.
Devant le congrès américain, mais aussi en octobre à Bruxelles lors du discours d’ouverture de la Conférence Internationale de la protection des données et de la vie privée de la Commission européenne, Tim Cook a prononcé un discours à charge. Sans jamais citer ni Facebook ni Google, il a taclé ces entreprises qui font de nos data des « armes commerciales massives », tout en saluant l’adoption du RGPD. D’ailleurs, la marque n’a pas attendu que le Congrès américain lui impose, comme ce sera le cas pour les entreprises de la Silicon Valley au 1er janvier 2020, de divulguer le pourquoi du comment de la collecte des données personnelles de leurs utilisateurs.
On peut toutefois reprocher à Apple une certaine facilité. En effet, son business model repose sur la vente de ses produits et services, quand les revenus de Google et Facebook sont quasi uniquement générés par l’exploitation massive de la donnée personnelle en vue d’écouler de la façon la plus affinitaire possible leur inventaire publicitaire. On parle ici de recettes astronomiques : 89 milliards de dollars pour Facebook et 138 milliards pour Google.
« Chez Apple, le produit ce n’est pas l’utilisateur »
Cette petite phrase est récurrente dans le discours actuel d’Apple. Au CES en janvier dernier, le géant américain s’est d’ailleurs offert une affiche en face du salon en remplaçant « Las Vegas » par « iPhone » dans la célèbre réplique du film Very Bad Trip, « Ce qui se passe dans ton iPhone, reste dans ton iPhone ».
Mais derrière le discours et les bonnes intentions, qu’en est-il réellement ? Apple a besoin de la donnée pour désigner ses produits et services, même s’ils font de réels efforts pour en limiter la captation et l’anonymisent au maximum. La marque n’est d’ailleurs pas exempte de reproche ni infaillible. En Chine, elle se conforme à la réglementation nationale, autorisant indirectement le gouvernement à récupérer la donnée de ses utilisateurs chinois. Money is Money. Récemment, sa nouvelle fonctionnalité Facetime permettant des discussions de groupes a été victime d’une brèche de sécurité.
Enfin, cette stratégie n’a pas encore d’impact réel sur les ventes de ses produits. Longtemps visionnaire, Apple fait là en réalité un pari sur l’avenir et anticipe les réglementations qui ne manqueront pas de se durcir dans les prochaines années. Surtout, le géant américain est en train d’opérer un virage vers la distribution de services, avec de nombreuses annonces dans ce domaine (relifting de son AppleTV, création d’un service d’abonnement à la presse, lancement de l’Apple Arcade autour du gaming…). Mais c’est un autre domaine qui l’intéresse aujourd’hui fortement. Un domaine où la protection de la donnée personnelle est une réelle préoccupation pour les utilisateurs : la santé. Pour exister sur ce secteur, montrer patte blanche sera incontournable.
Cette stratégie de découplage est également redoutable en termes de stratégie de marketing et de communication. En prenant ses distances avec les géants de l’Internet, en les faisant passer pour des entités sans foi ni loi, Apple se positionne en chevalier blanc. Et si tout n’est pas parfait, il oblige les autres à évoluer. Car Facebook et Google ne pourront pas continuer longtemps, en toute impunité à gérer avec autant de légèreté la protection des données personnelles de leurs utilisateurs. Ces derniers sont de plus en plus sensibilisés sur leurs droits en matière de respect de leur vie privée. D’ailleurs, Facebook a annoncé mi-mars, son choix de commencer à éliminer certains critères de ciblage de ses campagnes publicitaires, notamment liés aux profils financiers des internautes. Espérons que ce ne soit qu’un début…
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Pascal Malotti est Directeur Business Development & Strategy, Valtech France