Aujourd’hui, le tourisme de masse a cédé la place à un tourisme sur-mesure voire fait maison. Il est même, en pratique, parfois totalement décorrélé de l’industrie elle-même. Cette dernière doit réagir, et vite, sous peine de se voir clouée au sol.

Selon une enquête Orange-Terrafemina publiée en avril 2013, plus de deux français sur trois ont l’habitude de réserver leur séjour sur le web. 19 % y ont recours uniquement pour s’informer tandis qu’ils ne sont plus que 4 % à tout faire en agence. Définitivement, notre monde a changé. D’un côté, Kodak a disparu alors que 3600 photos sont mises en ligne chaque seconde sur Instagram. De l’autre, nous voyageons à l’aide de billets électroniques réservés et payés sur le net depuis notre téléphone portable. Trois révolutions technologiques pour expliquer cette digitalisation : les smartphones, les réseaux sociaux et le haut débit mobile. Et dans cette tourmente, l’univers du tourisme a vu son millefeuille d’intermédiaires exploser en plein vol. Tour-opérateurs, agences de voyages, transporteurs, site vitrine et autres se retrouvent désormais livrés à eux-mêmes et en direct face au consommateur final. Leur impératif : établir le contact.

Ne plus penser voyages mais voyageurs

Les règles du jeu ont été redéfinies et le modèle économique des tour-opérateurs est révolu. Aujourd’hui la place est à ceux qui sauront abandonner le rôle de producteurs/fournisseurs d’offres packagées pour se concentrer sur le client et se transformer en compagnon du vacancier. Il ne faut plus penser voyage mais voyageurs, ni raisonner destination mais service. Les gagnants seront ceux qui permettront à leurs clients de réussir leurs vacances. Désormais ce sont les consommateurs qui dictent les règles du jeu. Et, pour pouvoir se mettre aux services des voyageurs, il faut disposer d’un ensemble d’applications mobiles et de services numériques cohérents. Leur fonction première sera de présenter la partie visible d’une plateforme digitale plus globale. En clair : démultiplier les points d’entrées et les agréger en un pour une expérience utilisateur unifiée. De plus, l’authenticité est devenue le maître mot. « Il faut être le plus pertinent, le plus transparent et le plus vrai possible. Il faut également bien connaître les produits et les destinations que l’on vend pour être légitime. Pour ça il faut savoir brasser les informations, les trier et les rediriger vers les internautes.», confirmait Jean-Pierre Nadir, fondateur d’Easyvoyage.com

80% des données en ligne restent inexploitées.

Et ces informations c’est la « data » qui les donne. Elles sont là, en ligne, disponibles et en grand nombre. Pour se faire une idée, en 2003 la quantité de données produites en un an correspondait à celle produite en 2013 en … 10 minutes ! Et ces données, facilement accessibles, sont désormais manipulables à moindre coût grâce aux technologies et outils issus du Big Data. Pourtant 80% restent inexploitées. Alors, tout comme il a révolutionné le monde de la grande distribution et de la finance, le Big Data va permettre à l’industrie du tourisme, tout acteur confondu, de passer le voyageur au microscope. De le comprendre dans son intimité, dans ses rouages complexes et de l’aider, in fine, à faire du sur-mesure.

Plus concrètement, il servira à mutualiser et bâtir des éléments de promotions marketing, de CRM mais également à repenser l’offre de services. Analyser les comportements d’achats permettra effectivement d’anticiper les souhaits des consommateurs et de segmenter, par exemple, sa communication : on ne s’adresse pas de la même façon à une personne qui veut du repos et du soleil, selon qu’elle est seule, en famille ou qu’elle veut se déplacer quinze ou trois jours. A titre d’exemple, les magasins de sport réussissent, grâce au Big Data, à savoir une semaine à l’avance depuis une observation des comportements en ligne, s’ils risquent de vendre plus de vélos, de maillots de bains, etc.

Dans le cas du tourisme, pour pouvoir survivre, il va falloir faire de l’agrégation de données tout aussi bien que Trivago, Kayak, ou Google Hotel et qui sont, chacun à leur façon, des aides à faire du sur mesure. Mais il faut aller plus loin. Clairement, la place est pour les acteurs qui sauront tout mixer. De Air France à Blablacar, de Pierre & Vacances à Airbnb, de Digitik à Troc des places, etc. Tout cela en parvenant également à accompagner le voyageur pendant son séjour pour lui proposer des places pour un festival qui a lieu près de son hôtel, ou l’informer d’une météo capricieuse, etc. Bref, se mettre (enfin !) à son service.

Le tourisme est devenu mondial et global.

Mais, pour une visibilité optimale, il faudra la mise en place de collectifs. Et là, l’intervention de l’Etat est de mise. Une chose que la Tunisie a bien comprise. « Nous ne connaissons pas les touristes qui rentrent dans notre pays, confiait le ministre du tourisme tunisien Amel Karboul, lors de la journée du e-Tourisme en mai dernier. Si je veux promouvoir mon pays par le digital il faut que nous mettions ensemble toutes nos informations. ». Le gouvernement tunisien réfléchit donc à la mise en place d’un portail d’agrégation où hôtels, musées, sites d’excursions, etc. pourront mettre leur donnée clients en commun. Et il faut cette mise en commun de la donnée pour mieux adresser, mieux comprendre les touristes.

Une dynamique qui peut à court termes sembler délicate mais forcément fructueuse à long terme. Le gouvernement tunisien réfléchit également à la mise en place d’un opérateur de réseau mobile virtuel (MVNO) gratuit pour les touristes. Il servirait à récupérer les informations attitudinales de ces derniers. Il faut savoir que, toujours selon l’étude Orange, 39% des Français possesseurs de smartphone déclarent s’en servir sur leur lieu de vacances pour faire des recherches d’informations, de la géolocalisation ou de la réservation de dernière minute. Un chiffre qui passe à 69% si l’on regarde uniquement la population des cadres. Encore une source d’informations bien juteuse qu’il serait insensé de ne pas exploiter.

Autant d’exemples qui confirment que tous les éléments existent pour offrir à des voyageurs livrés à eux-mêmes une expérience enrichie, non seulement par le digital, mais avant tout par le savoir-faire de professionnels encore trop attachés à un modèle économique aujourd’hui dépassé.

 

 

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Romain Chaumais est co-fondateur d’Ysance et directeur des opérations.