Il est probablement inutile de charger encore la barque — une patache plutôt qu’un Riva — des improbables duettistes de Bercy, l’austère Mosco et l’impayable Montebourg, parfaits dans leur numéro du « pas particulièrement impliqué » commentant le « vous ne savez pas ce que vous faites ». Elle n’est que la conséquence ironique du labyrinthe doctrinal sur l’entreprise dans lequel nous nous sommes collectivement fourvoyés.
La farce pateline et navale met en scène Marissa Mayer, jeune mère de famille fraîchement exfiltrée de Google à la tête d’un Yahoo! malmené par l’hégémonie de son concurrent. De retour de son congé maternité, celle qui veut opportunément imposer aux employés de Yahoo! de travailler au bureau et plus de chez eux — double surprise dans la Silicon Valley, Olympe de la mâle branchitude 2.0 — elle a certainement reçu de son Board mise en demeure de fixer le cap, du bugalet en l’occurrence plutôt que d’une barque, pour redresser le titre en Bourse et conter le rival de toujours, Google.
De ce côté-ci de l’océan, rappelons que le paquebot Google avait habilement négocié son débarquement à bon port avec le capitaine de pédalo lui-même. Et en grande pompe ! C’est la grande affaire de l’accord historique de février dernier entre le géant de Mountain View et les éditeurs de presse français sous les auspices triomphants de Moi Président lui-même. Le moteur de recherche soldait à bon compte — 60 millions d’euros, quelle infinitésimale part de ses revenus publicitaires ? — la gesticulation burlesque du gouvernement sur un projet de « Taxe Google ». Comme le tweetait Fleur Pellerin : « Heureuse de l’accord historique Google-Presse. Un bel exemple d’intégration constructive ds l’écosystème local » ; elle est en revanche bien avare de mot-dièses aujourd’hui sur le cas Dailymotion.
Enfin, la douane de mer, flingues en pogne, Mosco dit « pas très au courant » et Montebourg dit « ça va pas êt’e possible » nous rejoue la scène de la péniche — évidemment interdite de site, tout particulièrement américain et honni, pour cause d’exception culturelle et de gestion de droits — mais, hélas, le talent en moins. L’homme à la marinière aurait invoqué le « patriotisme économique » et le droit imprescriptible — dès 27 % de détention de capital — de l’Etat à s’affranchir de tout gouvernement d’entreprise indépendante. Alors un crypto-villepiniste au coeur de Bercy ? Tout cela fait furieusement penser à juillet 2005, entre seconde conférence de presse du résident de Matignon et épisode pilote de la série haletante « France Numérique 2012 ». Maître Folace, notaire, nous avertissait pourtant avec une prémonitoire lucidité : « C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases ».
Sur la planche, sabre aux reins, pieds et poings liés par l’encombrant actionnariat de l’Etat et par la feuille de route de l’armateur FSI actionnaire à la fois d’Orange et de Dailymotion, acquéreur de 40 % du capital en janvier 2011, puis 100 % en 2012, le président d’Orange — par ailleurs inquiété, alors haut fonctionnaire avant son parachutage chez l’opérateur de télécommunications, avec Mme Lagarde, s’étant pris les pieds dans le Tapie au Crédit Lyonnais. Pourquoi donc se retrouve-t-il ainsi dans cette position pour le moins précaire ? Des méchantes langues, sans doute, signalent que le capitaine aurait mandaté deux banques d’investissement, l’américaine Raine, fondée récemment par des vétérans de Goldman Sachs et d’UBS et financée par le tout Hollywood, et surtout horresco referens Messier Maris et Associés, la banque d’affaires créée par Jean-Marie Messier, corsaire devenu pirate, fortune de mer abhorrée par le VRP d’Armor-Lux.
Comme à Lépante donc, dernière grande bataille de galères mais n’entraînant finalement pas de grands bouleversements. Yahoo! vire de bord, Dailymotion rentre au port, voilà l’affaire. Joli petit sujet de marine à 500 000 pour la collection hollandaise (sic) M. Guéant, non ?
Ce matin dans les pages de la presse matinale, Stéphane Richard, malgré quelque amertume brièvement exprimée sous le ciré, annonce « reprendre sereinement le processus de recherche d’un partenaire ». « En revanche » ajoute-t-il, « je serai intraitable sur le respect de la gouvernance », à défaut d’avoir main au gouvernail… L’ancre est levée.
Il fut une époque où « barreur de petit temps » était l’une des (courtoises) amabilités que s’échangeaient les caciques du parti.
Ce qui nous amène à « l’art aléatoire de la godille » comme le titrait élégamment hier un grand quotidien du soir à propos des relations entre le gouvernement et les entreprises. Dans l’empressement à vouloir lever les malentendus avec le monde de l’entreprise, c’est-à-dire quand même 6 mois après le désormais célèbre épisode des « pigeons », et opportunément à l’heure où le MEDEF bat la campagne, Moi Président réunissait 300 entrepreneurs pour une kermesse paroissiale dans la salle des fêtes de l’Elysée.
À ce propos, mettons fin tout Net à un début de controverse : il n’y a pas d’affaire Chamboredon ! Intronisé naguère par le New York Times « roi des pigeons » — c’est très bon pour les levées de fonds ça ! — et invité vedette sur Dailymotion, il aurait été, au sortir de ces Assises de l’entrepreneuriat du 29 avril, rassuré par les promesses d’ajustement de la fiscalité des plus-values et convaincu de la bonne volonté gouvernementale. Alors félon ou fanfaron, le #geonpi ? Ouf : oral de rattrapage sur Dailymotion, jeudi matin sur BFM Business : « Que ce soit un ministre qui intervienne là-dedans, c’est épouvantable en terme de message envoyé à l’extérieur de la France. Les investisseurs étrangers ne vont plus venir en France, et vont se dire qu’ils ne sont pas libres d’investir ». Faut dire, ça dépend lesquels : l’histoire Dailymotion est loin d’être finie.
(Ceci dit, il est improbable que l’on ait encore recours à Dassault Systèmes, cimetière autoproclamé des éditeurs de logiciels français, à l’heure où son président s’interroge sur la délocalisation de l’entreprise.)
Las ! Le jour même les députés socialistes démentaient cette gesticulation présidentielle en déposant à l’Assemblée nationale une proposition de loi sur la reprise des sites rentables. Ici on parle de sites industriels mais, à l’évidence, la démonstration vient d’être faite qu’elle est applicable aux sites Web.
On pourrait d’ailleurs utilement concrétiser cet arrêté imprescriptible en battant nouvelle monnaie numérique, strictement non convertible en devises étrangèes comme furent le rouble et le renminbi, les Hexacoins, fonctionnant sur le principe cryptographique de Bitcoins — très en vogue actuellement — et exclusivement dédiés aux transactions au capital des sociétés françaises, ces « pépites à vocation mondiale » qu’indubitablement le monde entier nous envie. Un nouvel impôt viendrait taxer toute transaction en Hexacoins suivant les principes du rapport Colin et Collin — son surnom de Taxe Colin-Collin-Hexacoin est tout trouvé : la taxe « coin-coin » ; ce qui aurait au moins le mérite d’élever le débat du pigeon au canard. L’économie, maintenant pratiquement nationalisée de l’investissement en early stage private equity, serait irriguée en Hexacoins et le carried interest, avant abolition, servi en foie gras de canard, combinant harmonieusement choc d’intoxication alimentaire et choc de moralisation.
Voilà un message que nos amis investisseurs cosmopolites comprendraient mieux sans doute…