Internet et le e-commerce ont révolutionné ces dernières années le secteur de la grande distribution, au même titre, par exemple, que l’apparition des grandes surfaces. Au-delà de la facilité d’achat ou de la consultation d’avis d’autres consommateurs, le e-commerce a surtout bouleversé la manière de capter des informations sur le parcours d’achat d’un client, et ce, sur une base personnalisée. Par exemple, le e-commerce permet de savoir relativement facilement ce que cherche tel ou tel client, comment il est arrivé sur le site, ce qu’il achète, les produits liés qu’il acquiert, et même ce qu’il renonce à acheter. Cette reconstitution du parcours client était extrêmement difficile à réaliser lorsque le seul canal d’achat était la boutique physique et le seul élément tracé était l’achat. Au mieux, le client n’était identifié que lors de son passage en caisse, ce qui interdisait par exemple la fourniture de conseils personnalisés.
Grâce à cette meilleure appréhension du parcours client, le e-commerce a ouvert la possibilité non seulement de mieux comprendre les comportements des clients, mais aussi de réagir en temps réel en fonction de ceux-ci. Face au succès de tels programmes, les distributeurs ont eu l’idée d’appliquer ces concepts à l’ensemble des canaux de vente – boutique, centre d’appels, etc. C’est le double défi actuel de la plupart des retailers : bien appréhender les parcours clients à travers les différents canaux de vente (multi ou omni-canal), tout en bénéficiant de plus de précision, y compris dans les points de vente physiques.
L’affaire n’est pas si simple. Selon le canal choisi par le client, la connaissance obtenue par le vendeur n’est pas la même : on l’a vu, lors du passage en caisse, le client ne sera reconnu que s’il possède une carte de fidélité ou a minima s’il a déjà visité la boutique. Mais dans le deuxième cas, il sera extrêmement complexe de faire le lien avec les achats passés. De la même manière, un site web peut permettre de collecter des intentions d’achat, mais il est extrêmement difficile de corréler ces événements avec les transactions d’achats si elles ne sont pas effectuées en ligne, et dans la même session. L’enjeu est de taille, quand on sait que 78% des consommateurs effectuent désormais des recherches sur le web, avant de procéder à un achat (le fameux Web-to-store ou ROPO).
L’une des solutions consiste à intégrer des capteurs dans les différents éléments susceptibles de composer le parcours d’achat d’un client, puis à analyser et croiser ces big data pour en tirer des connaissances concrètes. Par exemple, on remarque que souvent, des internautes consultent des sites marchands pendant la semaine, afin de préparer des achats le samedi. S’il dispose par exemple d’une borne wifi en libre-service associée à une application mobile permettant de personnaliser le parcours client, le magasin pourra accompagner le parcours client jusqu’à l’achat effectif, voire l’influencer en proposant la bonne offre, au bon moment.
Certains de nos clients sont déjà largement engagés dans cette démarche, qui se fait de manière progressive. Tout commence en général par une analyse très fine des parcours client en ligne, pour collecter les informations d’intention, les croiser à un niveau agrégé avec les achats réels, au niveau d’une zone de chalandise par exemple, pour déterminer les corrélations et affiner les segmentations. Puis, dans un second temps ces informations sont croisées avec les données transactionnelles des boutiques physiques et du site web, ce qui permet de constituer un parcours client depuis l’intention jusqu’à l’achat voire même ensuite, et ce au travers de différents canaux. Dans un troisième temps, il s’agit de développer un système de recommandation en temps réel tout au long du parcours client qui a un double effet : il permet de vendre plus et de mieux fidéliser.
Le principal enjeu du futur pour les distributeurs réside en réalité dans les services à valeur ajoutée qu’ils seront capables ou pas de fournir à leurs clients, en accompagnement de leurs produits ou services. Le consommateur a appris à se méfier du numérique. Il a créé par exemple des emails spécifiques pour obtenir l’offre dont il a besoin sans toutefois dévoiler sa véritable identité, pour se protéger des sollicitations futures. A fortiori, il ne sera enclin à partager l’information sur ses intentions et son profil que s’il a confiance et s’il en perçoit les bénéfices.
Comment susciter cette confiance ? Via des services à valeur ajoutée : lorsque le consommateur y voit son intérêt, il ne se sent pas contraint ou enfermé dans des logiques commerciales qui le dépassent. Imaginons qu‘un retailer, sur la base des tickets de caisse ou du panier en cours de constitution, puisse orienter le choix des produits en fonction de critères personnels, par exemple pour proscrire ceux qui contiennent de l’huile d’arachide que je dois éviter puisque mon fils vient de déclarer une forte allergie. Je sais que mon parcours client est tracé par le retailer, mais j’en comprends les usages et j’y trouve mon compte. Amazon, avec la commande en « 1-Clic », a montré la voie. Dans d’autres secteurs, comme les taxis, de nouveaux venus ont même été plus loin, en révolutionnant le parcours client par l’utilisation des technologies numériques, depuis la recherche du service jusqu’au paiement en passant un ensemble de services innovants facilitant la vie du client comme par exemple la saisie automatisée des notes de frais.
Dans un monde où la publicité et le traçage sont de plus en plus présents, l’analyse de données réalisée dans un seul objectif de transformation commerciale est à terme vouée à l’échec car fondée sur un déséquilibre entre le bénéfice client et le bénéfice fournisseur. Jusqu’à présent, la personnalisation dans le retail a tendance à se limiter au marketing et se mesure en taux de transformation, hormis chez les distributeurs, de plus en plus nombreux, qui ont misé fortement sur la fidélisation. Le multicanal n’est pas une invention des distributeurs, mais une réaction aux désirs des consommateurs. Pensez-y même Amazon, le pure player Internet par excellence, commence à ouvrir des magasins physiques. Pourquoi ? Parce qu’il a bien compris qu’un élément essentiel manquait à son offre pour compléter la connaissance du parcours de ses clients, tout en répondant mieux à leurs souhaits.
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Jean-Michel Franco est directeur marketing chez Talend