Dans le vocabulaire des entreprises, données et documents sont à la fois des mots complémentaires, imbriqués et opposés. Cette confusion résulte d’héritages culturels qu’il faut pouvoir dépasser pour profiter pleinement du potentiel des nouvelles technologies documentaires numériques, et notamment des possibilités de document cross-plateforme offertes par HTML 5.
Le vaste mouvement de transformation numérique des processus documentaires des entreprises est souvent entravé par une confusion majeure entre la donnée et le document. A y regarder de plus près, cette confusion est essentiellement liée à l’image que nous nous en faisons et aux associations d’idées toutes faites qui gravitent aussi bien autour de la donnée que du document. Dans un premier temps, comprendre ce qui distingue la donnée du document exige en effet de rompre avec le passé.
Depuis les débuts de l’informatique, la donnée, d’abord sous forme de fiche perforée, puis de code binaire sur une bande magnétique, un disque dur … sert d’unité de base. Un chiffre est une donnée, au même titre qu’un nom, une adresse … Le point commun de toutes ces données est qu’elles constituent des éléments d’information épars, dispersés, qui ne font sens que lorsqu’ils sont regroupés entre eux, c’est à dire présentés. Le document lui, hérite d’un tout autre univers de définition, également lié à ses origines imprimées. Le mot « document » évoque encore pour la majorité d’entre nous une feuille imprimée, souvent au format A4, dans laquelle des données sont présentées de façon structurée, c’est à dire intelligibles pour le lecteur humain que nous sommes.
Dans la théorie cependant, la définition stricte d’un document n’impose aucun format. Elle pourrait être réécrite en considérant qu’il s’agit d’un ensemble structuré d’informations qu’il a pour vocation de mettre en perspective les unes par rapport aux autres, et ce pour un usage précis, à un moment déterminé dans le temps. En dehors de toutes considérations de format, le document remplit en définitive une fonction par rapport à la donnée, celle de figer celle-ci dans le temps, d’opérer un arrêt sur image.
La donnée, et c’est encore un héritage de son passé de concept informatique, est en effet toujours considérée comme mouvante. Et ce soupçon d’instabilité génère une certaine crainte. En témoignent les nombreux films réalisés sur ce thème dans les années 80 et 90, où le personnage principal se voyait littéralement effacé d’un simple clic. Encore aujourd’hui sur le web, il reste toujours possible de remplacer un chiffre ou un nom par un autre dans la base de données qui alimente un blog. Rien, sinon un document authentifié dans le temps par un quelconque procédé d’impression, – et l’imprimé numérique au format PDF est à ranger dans cette catégorie -, ne viendra attester que la donnée précédente a réellement existé.
Ce procédé n’a rien d’un archaïsme appelé à disparaître avec la digitalisation des usages. Il est directement lié à la manière dont fonctionne le cerveau humain pour rechercher, sélectionner, puis interpréter l’information, c’est-à-dire la rattacher à des souvenirs antérieurs. Le solde actualisé d’un compte bancaire, même reçu par SMS, n’a de sens que parce qu’il peut immédiatement être rattaché à d’autres informations mémorisées comme le solde précédent, le salaire reçu en début de mois, etc. Dans cette perspective, et malgré sa brièveté, ce SMS constitue bel et bien un document, c’est-à-dire un ensemble intelligible de données authentifié dans le temps par l’horodatage du serveur d’émission ou du téléphone portable.
La généralisation de l’usage des SMS pour la notification de situations de comptes ou de seuils de consommation prouve, s’il en était encore besoin, que l’association d’idées entre document et un format fixe, comme le format A4 imprimé ou PDF, n’est plus aussi automatique, au moins dans l’esprit des usagers.
C’est en définitive au sein des entreprises elles-mêmes, dans le cadre des processus documentaires, que l’association d’idées entre le document et ses formats de diffusion doit être remise en cause. Cette révolution culturelle permettrait de dépasser les limites actuelles de la communication client multicanale, qui exige de maintenir autant de modèles de documents qu’il existe de canaux de diffusion. Car cette multiplication des formats, avec le recul, est loin d’avoir produit l’effet de simplification attendu. Non seulement la gestion des modèles est devenue plus complexe au fil de l’évolution des technologies et des besoins documentaires, mais le format imprimé (A4 ou PDF) reste la référence pour les documents les plus complexes et les plus sensibles. Et ce format continue d’imposer au lecteur un inconfort de consultation qui n’est plus compatible avec l’évolution des usages et la mobilité.
Les technologies, et notamment le format multi-plateformes HTML5, permettent pourtant aujourd’hui de faire beaucoup mieux, ou plus exactement beaucoup plus simple. HTML 5 permet de générer un document unique, à partir d’un modèle versatile, conçu pour s’adapter dynamiquement aux différents supports de présentation. Le document, en tant qu’ensemble d’information intelligible et authentifié dans le temps, y retrouve intégralement sa vocation d’origine, celle d’être la référence fiable sur laquelle peut s’appuyer l’interprétation du destinataire.
La seule différence est que celui-ci a désormais le choix du support de présentation, et que la mise en forme de l’information peut s’adapter dynamiquement à la situation dans laquelle le document est consulté, facilitant ainsi sa lecture et optimisant la valeur ajoutée des données qu’il contient. De plus, dans une phase hybride de transition entre le monde papier et l’ère numérique, une phase qui devrait perdurer encore cinq à dix ans selon les spécialistes, cette possibilité de choix entre le support papier et le digital permet d’éviter toute attitude discriminante vis-à-vis des citoyens, dont l’accès au numérique est rendu extrêmement compliqué voire impossible, car effrayant, financièrement inaccessible ou inadapté.
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Philippe Filippi est DG de Compart France