Des spécifications fonctionnelles mal définies ou plutôt transmises tardivement, une organisation du projet défaillance, une opposition républicaine, autant d’ingrédients qui ont abouti à un échec retentissant.
Le 1er octobre dernier, les Américains étaient invités à aller sur le site Web fédéral Healthcare.gov pour les 36 Etats couverts (en fait les Américaines parlent d’Exchange qui correspond plus à une sorte de place de marché sur laquelle ils peuvent comparer les prix des compagnies d’assurances et aller jusqu’à la signature du contrat) ou sur les sites des 14 Etats qui ont choisi de mettre en place leur propre Exchange pour contracter une Assurance maladie. Mais le site fédéral Healthcare.gov a révélé de nombreux bugs qui ont déclenché un nouvel épisode, cette fois sous couvert technique, de l’affrontement entre les Républicains, hostiles depuis le début, et Barack Obama qui avait fait de l’Affordable Care Act la grande réforme de ses deux mandats.
Adresse de Barack Obama
Ce n’est pas le seul projet informatique qui aura connu des problèmes. En France, on se souvient par exemple du site pour déclarer ses revenus qui avait été victime de son succès les premières années et qui ne pouvait répondre à la demande. Ou encore le projet Chorus, le projet pharaonique de gestion de la comptabilité publique qui (Chorus off line et borderline) qui donnait un concentré des dysfonctionnements des projets informatiques. Mais à la différence de ces projets, le site Healthcare est le porte étendard d’un affrontement politique entre démocrates et républicains depuis qu’Obama a mis sur les rails cette grande réforme. Depuis que cette loi a été votée (H.R. 3962 : Health Care for America Act) en novembre 2009, les républicains y sont revenus une quarantaine de fois pour détricoter cette loi, en partie ou en totalité.
Ces bugs qui se transforment en véritable affaire d’état font la Une des médias depuis plusieurs jours et ont obligé Barack Obama à en faire le sujet de sa dernière intervention hebdomadaire télévisée et à se transformer un peu en agent commercial pour vendre sa réforme. D’ailleurs, n’avait-il pas déclaré un peu imprudemment « qu’il serait aussi facile de contracter une police d’assurance que d’acheter un billet d’avion sur le site Kayak ou un TV sur Amazon ». Il faut rappeler que le site Web n’est pas le seul canal pour souscrire une assurance, les Américains peuvent utiliser les bons vieux outils que sont le téléphone, le courrier ou la visite dans une agence.
La semaine dernière, les deux principaux sous-traitants, CGI [1] et QSSI (Quality Software Services, Inc), ont témoignés sous serment devant la commission de la Chambre des Représentants House Committee Energy & Commerce pendant plus de 4 heures (voir ci-dessous l’audition) et tenter de faire la lumière sur la conduite d’un projet qui aura à ce jour coûté plus de 500 M$ dont 293 M$ pour CGI Federal (la division secteur public de CGI) et 85 M$ pour QSSI. CGI était responsable du développement général du site alors que QSSI était en charge du module permettant de vérifier les informations données par les utilisateurs (en particulier en matière de ressources) et d’assurer les inscriptions.
Questions précises lors de l’audition
Mais rien que l’organisation de ce projet était, par nature, une véritable usine à gaz avec, entre autres, une cinquantaine de contractants et de sous-traitants, 5 Agences gouvernementales et des centaines de compagnies d’assurances. Un des problèmes identifié est que l’Administration américaine, en l’occurrence le Centers for Medicare and Medicaid Services (qui gère déjà les programmes Medicare et Medicaid) sous le contrôle du ministère de la santé (Department of Health and Human Services), a voulu garder le contrôle de la coordination du projet et n’en aura pas assumé pleinement la responsabilité.
Comment en arriver là alors que le gouvernement avait largement le temps de développer ce site? En fait, pendant la campagne électorale de 2012, aucune spécification n’a été fournie aux deux principaux intégrateurs et il a fallu attendre la réélection de Barack Obama pour que son administration reprenne à retravailler sur ce projet. De leur côté, les compagnies d’assurance n’ont pas fourni les informations nécessaires pour calculer le montant des cotisations. Bref, le cahier des charges était totalement incomplet.
Pour en arriver le jour du lancement à un site mal ficelé et ne répondant pas attentes des 20 millions de visiteurs même si 700 000 Américains ont pu souscrire une police. Lors de l’audition, les deux SSII ont avoué qu’ils n’avaient eu que 2 semaines pour effectuer les tests d’intégration alors qu’ils indiquaient que 4 à 6 mois auraient été nécessaires. Et il semblerait que l’Exécutif n’ait pas été informé de tous ces problèmes et n’aurait donc pas eu les moyens de modifier quoi que ce soit.
Pour sortir de cette débâcle, la première mesure prise a été de nommer un chef de projet, en l’occurrence Jeff Zients qui possède une expérience dans les secteurs public et privé. Il a travaillé notamment dans les cabinets Mercer et Bain. Jeff Zients a pour mission de résoudre les différents problèmes techniques du site Web et indiqué que cela était possible avant la fin novembre. Ce qui, étant donné les différentes deadlines – en particulier tous les Américains sans assurance devront avoir signé une police avant la fin mars 2014 sous peine d’être pénalisé financièrement.
Le bilan qui reste à faire de cet échec monumental montre une fois de plus que bien souvent les problèmes de ce type de projet ne viennent pas des technologies mais d’une mauvaise gouvernance générale. La réponse qui y sera apportée ne sera pas sans conséquence sur les élections des midterms de novembre prochain. Comme l’indiquait le journaliste Marks Shield sur la chaine publique PBS : « si le site est remis sur pied et que des milliers d’Américains peuvent bénéficier d’une assurance santé d’ici là, la situation sera politiquement favorable pour les démocrates, si les problèmes perdurent, elle sera alors calamiteuse et pèsera lourd sur la deuxième partie de mandat ». On le voit, la politique s’est largement invité dans ce projet informatique.
[1] CGI est une SSII canadienne qui a racheté Logica en mai 2012 et fait partie du Top10 du secteur des services informatique.
Audition complète devant la Commission du Congrès