L’IA générative s’est transformée en champ de bataille idéologique. Start-up, chercheurs et critiques s’y affrontent, entre visions messianiques et alertes à la catastrophe. Derrière les slogans et les scénarios d’apocalypse, une réalité plus nuancée émerge.

Les prises de position radicales, pro et anti-IA, génèrent des revenus et augmentent le trafic au moyen de déclarations grandiloquentes concernant l’IA générative.

D’un côté du spectre se trouvent les adeptes inconditionnels, les promoteurs et les fervents défenseurs de l’IA. Nombre d’entre eux (dont notamment Sam Altman, PDG d’OpenAI ou Jensen Huang, PDG de NVIDIA) ont fait de la marchandisation de l’IA générative leur gagne-pain et se plaisent à la présenter comme un potentiel sauveur de l’humanité. Ces promoteurs de la technologie n’ont aucun problème à mentionner les risques existentiels dont elle peut s’accompagner ; néanmoins, ces mises en garde servent principalement d’arguments marketing. En mettant en exergue le danger que représente l’IA générative entre de mauvaises mains, ces promoteurs soulignent l’importance vitale des projets menés par leur entreprise. Il n’y a donc rien d’étonnant à voir ces tactiques fréquemment employées juste avant les tours de table de financement.

De l’autre côté du spectre se positionnent les cyniques et autres sceptiques, dont certains vont jusqu’à qualifier les promoteurs de solutions d’IA de « charlatans » ou « d’escrocs ». Parmi les différents types de sceptiques, il y a ceux qui sont actuellement impliqués dans des projets d’IA, comme des chercheurs ou des universitaires, les sceptiques « intérieurs », et ceux qui peuvent avoir travaillé sur l’IA par le passé, mais qui façonnent surtout leur image personnelle en remettant en cause le battage médiatique autour de l’IA générative (Gary Marcus, professeur à l’Université de New York, ou Ed Zitron, chroniqueur britannique spécialisé dans les nouvelles technologies, par exemple), qui font partie des sceptiques « extérieurs ». Le comportement des promoteurs étant relativement bien documenté, intéressons-nous plus particulièrement à l’univers bigarré des sceptiques.

Dangers pour la société et questionnements éthiques

Le scepticisme des cyniques face à l’explosion de l’IA actuelle peut prendre de multiples formes. Selon un rapport de Gartner intitulé « Hype Cycle for AI », l’IA générative a récemment chuté des sommets alimentés par des attentes irréalistes pour plonger dans le gouffre de la désillusion. Cela ne signifie pas pour autant que la technologie ne va pas continuer à avoir un impact positif sur la société, le monde de l’entreprise, l’éducation, la santé ou d’autres facettes de la vie ; toutefois, de plus en plus de chercheurs commencent à se demander si les avantages de la technologie l’emportent véritablement sur les inconvénients.

Outre la désinformation et les biais des algorithmes, de nombreux sceptiques de l’IA se disent préoccupés par l’impact environnemental de la technologie et par la quantité d’énergie consommée par les datacenters qui alimentent les modèles d’IA générative. D’autres sont inquiets à l’idée que l’IA générative puisse altérer les capacités des utilisateurs en matière de pensée critique ou entraîner des délocalisations massives, laissant ainsi des millions de travailleurs sur le carreau.

Essor extraordinaire : des conditions économiques intenables

Une autre branche tout aussi virulente de sceptiques se focalise sur la situation financière précaire à laquelle sont supposément confrontés les acteurs majeurs dans le domaine de l’IA générative. Certains prédisent même l’éclatement de la bulle de l’IA, qui mènera à une contraction de la valorisation des actions, laquelle sera suivie d’une dépression.

Risques existentiels

Un autre courant de critiques de l’IA générative se concentre sur les potentiels dangers existentiels dont elle s’accompagne, comme des guerres alimentées par l’IA, l’extinction de l’espèce humaine ou l’instabilité sociale généralisée.

Geoffrey Hinton, qui a participé au développement de la technologie des réseaux neuronaux dans les années 1980, est également convaincu que l’IA représente un risque existentiel. En avril 2025, à l’occasion d’une interview accordée à CBS News, il a déclaré que « le meilleur moyen de comprendre ce danger est d’imaginer posséder un bébé tigre très mignon. À moins d’être absolument certain que celui-ci ne tentera pas de vous tuer une fois adulte, il y a des raisons de s’inquiéter ».

Encore une fois, les promoteurs de l’IA citent volontiers les risques existentiels liés à l’IA, même s’il s’agit souvent d’un moyen de mettre en avant leurs projets sur le marché, de financer une entreprise en particulier ou de se positionner comme des experts en matière de politiques d’IA. Bien évidemment, les entreprises spécialisées dans l’IA générative cherchent souvent à gagner des marchés publics ou à obtenir des capitaux privés et il est par conséquent logique qu’ils tentent de positionner leur entreprise comme un rempart face à ces dangers existentiels.

Les centristes de l’IA : une approche plus mesurée

Le terme « centriste » est évidemment relatif. Quelqu’un qui serait perçu comme un centriste par certains peut être considéré comme un « adepte inconditionnel » ou un « critique forcené » par d’autres. Néanmoins, certaines personnes (Dario Amodei, PDG d’Anthropic, par exemple) mentionnent volontiers les effets négatifs des modèles d’IA générative actuels, même lorsque cela va à l’encontre de leurs intérêts financiers.

Malgré le fait qu’il soit pleinement engagé dans la course à l’IA, Dario Amodei adopte une attitude réaliste face aux nombreux questionnements soulevés par l’IA générative. Il se montre lucide lorsqu’il déclare que le terme « d’IAG » est avant tout un outil marketing et il fait preuve d’honnêteté quant à la trajectoire financière incertaine des entreprises d’IA , en particulier concernant l’évolution des LLM (ce que son entreprise s’efforce de faire).

Lors d’une interview récemment diffusée dans le podcast d’Alex Kantrowitz, Big Technology, Dario Amodei affirme : « Je suis de plus en plus confiant concernant les technologies sous-jacentes. Ce n’est pas certain, mais je pense que la croissance exponentielle actuelle pourrait tout à fait s’essouffler. Il y a peut-être 20 ou 25 % de chances qu’au cours de deux prochaines années, les modèles cessent de s’améliorer, pour des raisons qui nous échappent ou d’autres que nous connaissons, comme la disponibilité des données et de la puissance de calcul. »

Même si certains de ses détracteurs accusent le PDG d’Anthropic de faire partie des critiques forcenés de l’IA, ce commentaire présente l’avantage d’être aussi lucide qu’atypique.

Points clés à retenir

Dans le monde actuel, où l’IA générative a incontestablement le vent en poupe, de nombreux défenseurs et sceptiques font entendre leurs voix. Afin de faire le tri entre ces multiples prises de position, il est essentiel de s’intéresser aux motivations de celles et ceux qui s’expriment sur le sujet. Il est logique pour le PDG de l’une des plus grandes entreprises productrices de semi-conducteurs de décrire l’avènement de l’IA comme aussi transformateur que l’invention de l’électricité ; de la même manière, de nombreux critiques, lorsqu’ils remettent en cause cette technologie, peuvent être motivés par la vente de livres, l’augmentation du trafic sur leurs pages ou la construction de leur propre image de marque. Même si les potentialités (et les risques) dont s’accompagne l’IA sont bien réels, mieux vaut prendre les discours grandiloquents des promoteurs (comme des critiques) avec des pincettes.
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Par John Donegan, Enterprise Analyst, ManageEngine

 

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