RPA et IA générative s’allient pour transformer le legacy, accélérer les workflows et renforcer la souveraineté numérique des entreprises. Une révolution logicielle et organisationnelle que Guy Hervier décrypte avec son invité de la semaine, Camille Journet, Directeur Général de Pegasystems France.
Pegasystems est un acteur historique du logiciel d’entreprise, reconnu pour ses plateformes d’automatisation et de gestion des processus métier. L’éditeur a ainsi été l’un des pionniers de la vague « Robotic Process Automation (RPA) » pour automatiser des tâches répétitives et connecter des systèmes hétérogènes, souvent hérités, sans nécessiter de refonte immédiate. Cette approche visait à aider les organisations à gagner en efficacité tout en prolongeant la valeur de leurs infrastructures existantes.
À ses débuts, la RPA a fait miroiter des gains rapides : automatiser des tâches répétitives sans toucher aux applications historiques, réduire les erreurs et libérer du temps aux équipes. La réalité a vite rappelé ses limites : robots fragiles face aux changements d’écrans, coûts de maintenance qui grimpent, dettes de scripts difficiles à gouverner, et difficulté à passer d’automatisations locales à des processus réellement transverses et conformes. Ces écueils – techniques, organisationnels et de sécurité – ont obligé la RPA à se réinventer ces deux dernières années, en s’inscrivant dans des plateformes d’orchestration, de case management, de décision et d’intégration par API plutôt que dans des “macros” géantes sur interfaces graphiques.
Avec l’essor de l’intelligence artificielle, et plus récemment de l’IA générative, les fondations mêmes de la RPA ont été ébranlées. Pegasystems a fait évoluer sa vision profitant du potentiel de la GenAI : sa solution n’est plus seulement un moteur au moment de l’exécution, mais aussi un copilote de conception et de modernisation. Ses outils intègrent désormais des capacités d’analyse, de conception et d’orchestration intelligentes, capables de repenser des workflows entiers, de détecter des goulots d’étranglement et de proposer des optimisations en temps réel. L’IA générative permet notamment d’accélérer la phase critique de découverte et de modélisation des processus, réduisant considérablement le temps et les ressources nécessaires à la modernisation des systèmes.
Dans un contexte où la dette technique freine l’innovation et où les entreprises doivent composer avec des systèmes parfois âgés de plusieurs décennies, cette combinaison RPA + IA ouvre la voie à une transformation plus rapide et plus maîtrisée. Pour en parler, Guy Hervier a invité, sur son plateau de « L’invité de la semaine », Camille Journet, Directeur Général de Pegasystems France.
Ensemble, ils reviennent sur les mutations profondes de l’éditeur, né en 1983 autour de la vision de son fondateur Alan Trefler, toujours à sa tête. « On ne veut pas se limiter à être un CRM ou un BPM comme les autres, explique Camille Journet. L’idée, c’est d’avoir une plateforme vraiment dopée à l’IA, capable de gérer des workflows complexes, avec des boucles, des retours, et pas seulement des processus linéaires. »
L’entretien éclaire aussi l’ambition de Pega d’élargir sa base de clientèle. Longtemps réservé aux très grandes entreprises, l’éditeur vise désormais « 10 000 clients dans le monde au lieu de quelques milliers, grâce à l’apport de l’IA qui simplifie et accélère la mise en production des applications ». Cet élargissement s’appuie notamment sur Blueprint, un outil en libre accès permettant de concevoir en langage naturel des applications de workflow. « On a réduit le cycle entre l’idéation et la mise en production à seulement 40 jours chez certains clients », souligne Camille Journet.
Autre point clé de la stratégie : maîtriser les limites des modèles génératifs. « L’IA générative est formidable dans la phase de création, mais inacceptable pour prendre seule des décisions critiques. Notre rôle est de l’orchestrer, de la contraindre dans des workflows, pour éviter les hallucinations et garantir la précision. »
Au passage Camille Journet salue clairement la montée en puissance de Mistral AI et son rôle pour la souveraineté européenne. Il voit positivement l’entrée d’ASML à son capital et le statut de « décacorne », y voyant « un champion européen » dont « la technologie est hyper intéressante » et qui noue « des grands partenariats ». Il nuance toutefois en rappelant l’écart d’échelle avec les États-Unis : « Anthropic a levé 13 milliards […] pour une valorisation de 180 milliards », signe qu’« il y a encore du chemin » pour l’Europe, même si « ça va dans la bonne direction ».
De quoi faire dériver l’entretien sur la question sensible de la souveraineté numérique et du cloud. Pegasystems s’appuie aujourd’hui sur AWS et Google, mais travaille déjà « avec certains clients sur des déploiements en cloud privé chez OVH ». Pour Camille Journet, « l’essentiel est de donner le choix, du full SaaS à l’on-premise, en passant par l’hybride, avec toujours la maîtrise des données et des clés de chiffrement par le client ».
L’avenir de Pegasystems se joue donc sur trois axes : l’expansion vers de nouvelles entreprises, la fiabilisation de l’IA générative via sa démarche de « Predictable AI », et l’accélération de la transformation des systèmes hérités grâce à ses partenariats, notamment avec AWS. « Tous les DSI ont la même question : comment moderniser des applications qui datent parfois de 20 ans ? Avec l’IA et nos outils, on peut enfin passer à l’échelle et transformer durablement le legacy. »