L’information n’a pas encore été officialisée mais s’est répandue comme une trainée de poudre cette semaine. Le Français Yann LeCun, à la tête de l’IA chez Meta depuis plus d’une décennie, s’apprête à quitter le groupe. Il l’aurait annoncé cette semaine à ses équipes. Destination, une nouvelle startup pour mettre en pratique ses nouvelles théories sur l’IA et les World Models.

Une campagne de recrutement à prix d’or pour enrichir les talents de la division Meta AI (l’autre division IA de Meta parallèle au laboratoire de recherche en Ia FAIR dirigé par Yann LeCun), des divergences de points de vue sur les « urgences » avec Mark Zuckerberg, des licenciements récemment annoncés chez Meta et notamment dans la division FAIR, un soutien un peu trop marqué et enthousiaste à Trump de la par de Mark Zuckerberg… Tous les signes convergeaient vers un départ de Yann LeCun. L’un des “pères” du deep learning, co-lauréat du Turing Award et fondateur de FAIR, quitte la scène au moment précis où Meta recompose en profondeur sa stratégie IA.

Yann LeCun, formé en France avant de faire carrière entre les Bell Labs, AT&T et NYU, s’est imposé comme l’une des figures centrales de l’IA moderne avec ses travaux sur les réseaux de neurones convolutionnels, la vision par ordinateur et l’apprentissage auto-supervisé. Ses recherches sur LeNet ont ouvert la voie aux applications industrielles de la reconnaissance de formes, avant qu’il ne devienne un porte-voix incontournable du deep learning, jusqu’à recevoir en 2018 le prix Turing aux côtés de Geoffrey Hinton et Yoshua Bengio.

Chez Meta, son apport tient autant à la science qu’à l’architecture organisationnelle. Recruté fin 2013 pour créer FAIR, il conçoit un labo de recherche fondamental inspiré de l’esprit Bell Labs, avec une forte culture de publication et d’open source. Sous sa houlette, FAIR attire des talents de premier plan, contribue à des briques fondamentales (PyTorch, vision, auto-supervision) et participe à l’émergence de Llama, future base de nombreux stacks d’IA générative en open source. Yann LeCun y impose surtout une ligne claire : privilégier l’open research, publier largement, et résister à la tentation de transformer le lab en simple appendice produit.

Trajectoires divergentes

Le paradoxe est que c’est justement au moment où Meta souhaite capitaliser à plein sur ses investissements IA que cette vision se heurte à la nouvelle donne stratégique. Le groupe a lancé ces derniers mois une réorganisation en profondeur de ses équipes IA : recentrage autour de programmes très orientés “superintelligence”, rapprochement de la recherche et du produit, rationalisation des effectifs, montée en puissance des enjeux de rentabilité et de différenciation face à OpenAI, Google et Anthropic. L’ambition reste intacte, mais le logiciel managérial a changé : priorité à l’industrialisation de Llama (dont le développement est entre les mains de Meta AI et non de FAIR depuis la version 3, LLama 4 ayant d’ailleurs déçu Mark Zuckerberg et contribué à déclencher la réorganisation de l’IA dans le groupe), aux assistants maison intégrés à l’écosystème Meta, à l’exploitation maximale d’une infrastructure IA qui pèse des dizaines de milliards de dollars d’investissements.

Dans ce cadre, la promesse initiale d’un lab de recherche fondamentale relativement autonome s’effrite. La politique d’ouverture de Meta, très visible autour de Llama, devient plus sélective au fur et à mesure que les modèles montent en capacité. La tension entre une recherche “long terme” et la course aux métriques produit se fait de plus en plus palpable dans le groupe depuis un an.
Vu de l’extérieur, le départ de LeCun est donc moins un coup de tête qu’un symptôme : celui du basculement d’un modèle “open research + open source” vers une logique où la recherche doit se plier beaucoup plus directement aux impératifs business.

De nouveaux combats en perspective

Bien sûr, les chevaux de bataille de Yann LeCun éclairent aussi cette trajectoire. L’homme critique depuis deux ans l’hypercentrage de l’industrie sur les LLM géants, qu’il juge utiles mais insuffisants pour approcher une intelligence générale. Selon lui, ces modèles manipulent le langage sans véritable “compréhension” du monde, peinent à raisonner, planifier, apprendre de manière efficiente. D’où son obsession actuelle pour les “world models”, des architectures capables de construire une représentation interne de l’environnement, de simuler des scénarios et de relier perception, action et conséquences. C’est l’un des axes clés de ses travaux récents, avec ses propositions de JEPA et de modèles prédictifs auto-supervisés.

Autre combat récurrent : la défense de l’open source et de l’open science en IA. Yann LeCun plaide pour des modèles fondamentaux ouverts, auditables et adaptables par les États, les chercheurs et les entreprises, et s’est montré particulièrement critique envers les régulations et initiatives qui risquent, à ses yeux, de verrouiller l’IA avancée entre les mains de quelques acteurs privés. À cela s’ajoute sa position très tranchée contre les scénarios “catastrophes” qui décrivent une IA potentiellement dangereuse pour l’humanité : il insiste au contraire sur la nécessité d’encadrer les usages concrets sans freiner la recherche.

Et la suite logique de ce corpus de convictions semble désormais se dessiner. Yann LeCun prépare, selon plusieurs sources, la création d’une start-up centrée sur ces fameux “world models” et sur une IA capable d’apprendre directement du monde physique, des vidéos, de données sensorielles, d’environnements simulés. Autrement dit, un véhicule entrepreneurial pour démontrer, en dehors des contraintes d’un hyperscaler coté, que ses intuitions peuvent se traduire en systèmes compétitifs, opérationnels et déployables dans des cas d’usage concrets, y compris en entreprise. Autant dire que l’on est très curieux de voir comment l’aventure va se poursuivre…

 

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