Du cloud hybride aux chatbots ultra-populaires, l’IA s’invite partout — mais chaque avancée technique impose de nouvelles règles du jeu. En catalysant la transformation des organisations, l’IA redéfinit les modèles opérationnels, juridiques et environnementaux auxquels doivent répondre entreprises et institutions.

Si l’intelligence artificielle (IA) n’est pas une nouveauté, son intégration dans notre quotidien s’est considérablement accélérée grâce à l’IA générative et à la large adoption d’outils tels que ChatGPT. Depuis son lancement, la plateforme connaît une dynamique de croissance exceptionnelle. Elle compte plus de 123 millions d’utilisateurs uniques par jour en 2025 et détient 59,2 % de part de marché dans le secteur des chatbots.

En moins de trois ans, l’IA a redéfini notre quotidien, accélérant des transformations qui auraient pris des décennies. Cette adoption rapide soulève une question cruciale : comment tirer parti de l’IA de manière responsable et efficace ? Et surtout, comment éviter qu’elle ne devienne un facteur de risque, d’injustice ou de dérive ?

L’intelligence artificielle : un tournant technologique

L’intelligence artificielle (IA) est bien plus qu’un simple outil technologique. Elle marque une nouvelle ère dans l’histoire du numérique, comparable à celle qu’ont représentée les réseaux sociaux ou l’avènement d’Internet. Longtemps cantonnée à des sphères scientifiques ou spécialisées, l’IA s’est aujourd’hui imposée à tous grâce à l’IA générative, massivement adoptée en un temps record. Selon un rapport de McKinsey, jusqu’à 70 % des entreprises mondiales ont déjà intégré au moins une technologie d’IA dans leurs processus métiers. En France, 54 % des dirigeants considèrent l’IA comme une priorité stratégique à trois ans.

Avec cette démocratisation, un double mouvement s’est enclenché. D’une part, les utilisateurs, désormais habitués à ces outils dans leur sphère personnelle, attendent de retrouver les mêmes capacités et la même fluidité dans leur environnement professionnel. D’autre part, les entreprises sont contraintes de réfléchir à la manière d’intégrer ces technologies dans leurs processus internes, tout en garantissant éthique, performance et transparence.

Des promesses concrètes… et des responsabilités nouvelles

L’IA est désormais perçue comme un levier potentiel de productivité, d’optimisation opérationnelle, voire de transformation des métiers. Dans le secteur public, elle promet d’alléger les tâches fastidieuses pour permettre aux agents de se recentrer sur leur cœur de mission. Dans le secteur privé, elle ouvre des perspectives en matière d’innovation, de différenciation concurrentielle, et de nouveaux services à forte valeur ajoutée.

Mais cette promesse s’accompagne de responsabilités fortes. Intégrer l’IA dans l’entreprise suppose de répondre à quatre défis majeurs :

1 – Le défi technique et organisationnel

Aujourd’hui, plus de 80 % des organisations françaises évoluent dans des environnements hybrides (cloud privé + cloud public). Or, les projets d’IA sont très gourmands en ressources de calcul, ce qui pousse de nombreuses entreprises à se tourner vers les hyperscalers (AWS, Azure, GCP) pour externaliser la puissance nécessaire.

Cela pose plusieurs enjeux :

* La maîtrise des données : données sensibles stockées hors du périmètre souverain.

* Le Shadow IT : des métiers qui initient des projets sans concertation avec la DSI, créant un morcellement technologique et un risque en matière de sécurité.

* La gouvernance : comment reprendre la main sur les projets, les centraliser, les mutualiser, pour assurer conformité, sécurité, ROI et cohérence ?

2 – Le défi environnemental de l’IA

L’impact environnemental de l’intelligence artificielle (IA) est une réalité croissante, souvent sous-estimée car son empreinte carbone est principalement immatérielle. Les centres de données, nécessaires à son fonctionnement, consomment une quantité considérable d’électricité, au point que l’ensemble du secteur aérien pourrait bientôt être dépassé. À titre d’exemple, une requête sur ChatGPT consommerait 10 fois plus d’énergie qu’une recherche classique sur Google, soulignant l’importance de considérer l’impact énergétique de l’IA au cœur des débats.

Face à cette réalité, chaque usage de l’IA doit être évalué à l’aune de sa valeur réelle : optimiser l’IA pour réduire son impact, ou au contraire, alimenter une fuite en avant technologique ?

Les choix d’infrastructure, la conception des modèles, la mutualisation des ressources et la sobriété numérique doivent désormais être des éléments intégrants de toute stratégie IA. D’ici 2030, les Data centers pourraient représenter une empreinte carbone équivalente au trafic aérien mondial. Cette réalité alarmante impose une sobriété numérique impérative.

Les chiffres rapportés par l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie) nous interpellent. On apprend, par exemple, que les centres de données utilisés, entre autres, pour calculer les demandes IA consomment aujourd’hui 1 % de la consommation d’électricité mondiale. À une échelle plus locale, cela représente par exemple 20 % de la demande en électricité de l’Irlande ou encore 25 % de celle de l’État de Virginie aux États-Unis, selon les données de l’OCDE.

Les entreprises doivent intégrer cet enjeu crucial dans leurs décisions : mesure de l’impact carbone par projet, choix d’infrastructures éco-efficaces, usage d’énergies renouvelables et rationalisation des modèles déployés.

3 – Le défi éthique et juridique

L’IA soulève des questions cruciales :

* Respect de la vie privée et conformité au RGPD.

* Propriété intellectuelle : à qui appartiennent les contenus générés ?

* Biais algorithmiques : l’IA reproduit et parfois amplifie les biais humains, qu’ils soient discriminatoires, genrés, culturels, etc.

L’entreprise doit donc être capable de cadrer ses usages, de filtrer les données qu’elle transmet aux modèles, de documenter les décisions automatisées, et de se doter d’une charte éthique de l’IA claire et opérationnelle.

L’enjeu pour les organisations n’est pas simplement d’adopter l’IA, mais d’apprendre à l’utiliser à bon escient. Cela implique de ne pas céder à l’effet de mode, mais de construire une stratégie alignée avec la vision de l’entreprise, son système de valeurs, ses obligations réglementaires et ses ambitions de durabilité.

En somme, intégrer l’IA, c’est ouvrir la voie à de formidables opportunités mais aussi à de profondes responsabilités. La transparence, l’éthique, la souveraineté des données et la gouvernance doivent être les piliers d’une IA véritablement au service de l’entreprise et de la société.

4 – Une responsabilité collective

L’enjeu de fond n’est pas seulement technologique ou réglementaire : il est sociétal.
Il ne s’agit pas seulement de savoir ce que l’IA peut faire, mais aussi de définir ce qu’on veut qu’elle fasse ou pas.

Et c’est là qu’intervient la notion de gouvernance de l’IA, d’intelligence collective autour de la machine, pour poser les bonnes limites, anticiper les dérives, et veiller à l’équilibre entre progrès et protection des valeurs humaines.

Adopter l’IA, oui. L’encadrer, impérativement ! L’IA est une opportunité, c’est indéniable. Mais elle ne doit jamais être une fin en soi. Elle doit répondre à un besoin, s’inscrire dans une vision, respecter un cadre. Refuser cette vigilance, c’est prendre le risque d’un effet boomerang : perte de contrôle, rejet des collaborateurs, dérives juridiques ou réputationnelles. L’heure n’est pas à l’enthousiasme béat. Elle est à la lucidité. Et à l’exigence. Parce qu’une entreprise qui choisit d’intégrer l’IA fait, en réalité, un choix de société.
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Par Yoann Delanos, Responsable AVV IDF et leader de la practice DATA/IA, SCC France

 

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