Nvidia est entrée dans l’histoire mercredi en dépassant, certes brièvement, pour la première fois dans l’histoire de Wall Street, la première valorisation boursière à passer la barre des 4 000 milliards de dollars. L’engouement des investisseurs pour l’entreprise californienne, moteur majeur de l’essor de l’IA générative, masque des réalités plus contrastées.
Fondée en 1993, Nvidia a connu une progression fulgurante, franchissant le seuil des 2 000 milliards en février 2024, puis celui des 3 000 milliards dès juin suivant. Même si le titre a finalement clôturé en hausse de seulement 1,8 %, ramenant la capitalisation à 3 970 milliards de dollars, après un bref passage au-dessus des 4000 milliards, Nvidia reste la société la plus valorisée au monde, devançant ainsi Microsoft et Apple, pourtant pionniers du club fermé des entreprises à plus de 3 000 milliards.
Cette performance spectaculaire s’explique évidemment par la domination quasi-totale de Nvidia sur le marché des puces graphiques utilisées dans les grands modèles d’IA, popularisés notamment depuis le lancement de ChatGPT fin 2022.
Mais elle masque néanmoins des risques très importants de voir l’action de la firme exploser comme une bulle de savon. Une valorisation de 4 000 milliards $ signifie que le titre NVidia se paie aujourd’hui près de 34 fois la valeur des bénéfices attendus, un ratio qui est très, très loin de la moyenne du secteur. Or tout le monde semble avoir oublié une règle apprise à l’occasion de l’explosion de la bulle Cisco en 2000 : plus une valeur s’envole en deux ans, plus la probabilité d’une forte correction grandit.
Or les menaces sur l’entreprise sont très nombreuses et sérieuses.
La première, c’est que, dans l’univers des semi-conducteurs, les cycles se retournent brutalement dès que l’offre dépasse la demande. Or 2025 marque très probablement un pic d’investissement des hyperscalers. On voit déjà Microsoft commencer à réduire ses investissements avec l’annulation de plusieurs pré-réservations d’espaces. Les géants du cloud ne peuvent continuer d’investir 80 milliards de dollars par an éternellement dans la construction de datacenters IA.
La seconde menace c’est que la rareté des GPU Nvidia et le monopole de CUDA ont fait exploser les loyers GPU mettant en péril la viabilité de bien des startups de l’IA. Il en découle une multiplication des efforts pour porter les algorithmes, bibliothèques et modèles de l’IA sur d’autres architectures que Nvidia, notamment sur les TPU de Google et les GPU d’AMD (Instinct MI) et Intel. Les chinois DeepSeek, Zhipu, Alibaba et Huawei ont montré leur capacité à adapter les techniques actuelles à des alternatives CPU, GPU et NPU moins puissantes que les puces derniers cris de Nvidia.
Le troisième danger, c’est que les coûts énergétiques intenables de l’IA encouragent désormais les hyperscalers à créer leurs propres accélérateurs maison et à utiliser de plus en plus systématiquement ces derniers avec des équipes dédiés à l’optimisation des algorithmes IA pour ces accélérateurs maison. Amazon développe intensément ses puces Inferentia (pour l’inférence), Trainium (pour l’apprentissage) et Graviton. Google vient de lancer la dernière génétation « Ironwood » de ses TPU (qui accélèrent Gemini, AlphaFold et bientôt ChatGPT). Azure dispose de ses processeurs Cobalt 100 et Maia 100 de plus en plus utilisés pour ses propres modèles et services IA. Même Meta crée désormais ses propres accélérateurs pour ses datacenters (MTIAv1 et v2).
La quatrième et dernière ombre à l’envolée de NVidia est bien évidemment géopolitique. Les restrictions américaines sur les ventes de puces « haut de gamme » à la Chine ont déjà entraîné 5,5 Mds $ de dépréciations. La Chine représente un marché crucial estimé à 50 milliards de dollars. Le PDG Jensen Huang avait averti dès mai que ces restrictions pourraient entraîner une perte de 8 milliards de dollars pour l’entreprise en 2025. Pour tenter de sauver sa présence sur ce marché, Nvidia s’apprête à lancer en septembre une puce « Blackwell Lite » modifiée, spécifiquement destinée au marché chinois, dépourvue de certaines fonctionnalités avancées pour se conformer aux exigences américaines. Jensen Huang prévoit d’ailleurs un déplacement stratégique à Pékin dans les prochains jours pour réaffirmer l’engagement de Nvidia envers ses clients chinois, qui représentaient 17,1 milliards de dollars de chiffre d’affaires l’an passé.
A cela s’ajoute des critiques de plus en plus marquées contre Nvidia dans l’univers historique du gaming où la génération des GPU RTX50xx a connu bien des déboires (indisponibilités, fonte des connecteurs, écrans noirs aléatoires, unités matérielles manquantes, pilotes défectueux, etc.). qui ont terni l’image de la marque.
Alors, bien sûr, la valorisation exceptionnelle de Nvidia illustre la confiance continue de Wall Street dans le potentiel durable de l’intelligence artificielle. Et Nvidia est devenu un standard de fait des infrastructures logicielles d’IA d’entreprise avec son omniprésente plateforme « Enterprise AI » qui sert de fondation à presque toutes les autres offres (Dell, HPE, Nutanix, etc.). Il est donc normal de voir aujourd’hui Nvidia caracoler en tête des valeurs du secteur des semi-conducteurs. Mais une telle envolée de sa valorisation présage le pire et doit au final plus inquiéter son CEO Jensen Huang que le rassurer.