Malgré l’arrivée d’un nouveau directeur général et la promesse d’un virage stratégique, Intel continue de patauger : la sortie du Dow Jones en 2024, un effondrement de plus de 60 % du cours de l’action et, en ce deuxième trimestre 2025, un nouveau plongeon dans le rouge. Entre pertes nettes massives, vagues de licenciements et feuille de route technologique toujours chahutée, le fondeur de Santa Clara peine à convaincre qu’il a trouvé la voie du rebond.
2024 a été une année noire pour le groupe Intel. La firme a été éjectée du Dow Jones à l’automne 2024, remplacé par son rival Nvidia, un camouflet symbolique rare pour une ex‑icône de la high‑tech américaine. Le titre, déjà à la peine, a plongé d’environ 60 % sur l’ensemble de l’année, victime d’un marché PC en berne, de retards technologiques à répétition et d’un sentiment croissant que la révolution IA se jouait ailleurs. Et Intel est sortie du Top 10 mondial des fabricants de semi-conducteurs. Tout ceci ayant conduit à la démission de son pourtant brillant et charismatique CEO, Pat Gelsinger, et à la nomination d’un cinquième CEO en 7 ans en la personne de Lip-Bu Tan.
Malheureusement, 2025 ne semble pas concrétiser le rebond espéré. Intel coupe dans ses coûts, licencie à tour de bras et rogne sur ses ambitions industrielles, mais l’hémorragie financière continue et la confiance des marchés demeure plus que fragile.
Des résultats du deuxième trimestre 2025 toujours dans le rouge
Intel a certes maintenu un chiffre d’affaires quasi stable à 12,9 milliards de dollars (un peu mieux que les attentes de Wall Street), mais affiche un déficit net de 2,9 milliards, soit plus qu’un doublement de la perte d’il y a un an. Le bénéfice par action ressort à –0,67 dollar en normes GAAP, grevé par 1,9 milliard de charges de restructuration et 1 milliard d’amortissements et dépréciations. La marge brute s’effondre à 27,5 %, contre 35,4 % un an plus tôt, reflet d’usines sous‑utilisées et de surinvestissements passés.
Cure d’austérité : vagues de licenciements et projets sabrés
Les licenciements annoncés depuis le printemps ont déjà coûté 1,9 milliard de dollars au trimestre, un fardeau qui devrait encore peser sur les prochains résultats. Car le nouveau CEO Lip‑Bu Tan a en effet confirmé une nouvelle réduction de 15 % des effectifs, faisant passer les rangs d’Intel de près de 100 000 à 75 000 salariés d’ici fin 2025. C’est ici le mid-management qui est en particulier ciblé, Intel cherchant à obtenir une réduction de 50% de ses niveaux de management. Ce qui porte à 34.000 postes le total des postes supprimés en 2025.
Parallèlement, le groupe annule la méga‑fab de Magdebourg en Allemagne (un coup très dur porté à l’Europe et son European Chip Act), gèle le projet de test‑assemblage en Pologne et ralentit l’extension du site d’Ohio, préférant relocaliser certaines activités d’assemblage du Costa Rica vers le Vietnam et la Malaisie.
Un virage stratégique encore flou
Le nouveau CEO mise pourtant sur la division fonderie pour séduire des clients externes avec le futur nœud 18A, mais un recentrage sévère des investissements est envisagé, chaque dollar de capex devant désormais être adossé à un client identifié.
Et pendant ce temps, les retards continuent : le Xeon « Clearwater Forest » pour serveurs est repoussé à début 2026, tandis que le Panther Lake pour notebooks PC, également gravé en 18A, reste promis pour le second semestre 2025 mais probablement pour la toute fin d’année. « Panther Lake est notre priorité absolue car il renforcera notre force dans les ordinateurs portables grand public et d’entreprise. Nous devons également poursuivre les progrès sur Nova Lake afin de combler les lacunes dans le domaine des ordinateurs de bureau haut de gamme » affirme Lip-Bu Tan.
Intel ne peut pas se permettre davantage de retard dans la mise en production de sa gravure 18A. « Nous renforçons l’orientation et la discipline financière de nos investissements dans le développement technologique. La première tâche consiste à faire monter en puissance l’Intel 18A à grande échelle. Les processeurs Intel 18A et Intel 18A-P sont des nœuds critiques pour les produits Intel et généreront des volumes de plaquettes significatifs au cours de la prochaine décennie, en commençant par Panther Lake plus tard cette année. Au fur et à mesure que nous développons nos propres produits en grand volume et que nous livrons des produits pour d’importants clients Intel 18A comme le gouvernement américain, nous serons mieux placés pour attirer des clients externes vers cette technologie » estime Lip-Bu Tan.
Mais au-delà de réussir sa montée en charge sur le 18A, Intel doit aussi préparer la prochaine frontière. « À plus long terme, nous développons Intel14A en tant que nœud de fonderie à partir de zéro, en partenariat étroit avec de grands clients externes. C’est essentiel pour concevoir un processus qui répond aux exigences spécifiques des clients et nous permet de répondre à un segment plus large du marché. À l’avenir, notre investissement dans Intel 14A sera basé sur des engagements clients confirmés. Il n’y a plus de chèques en blanc. Tout investissement doit avoir un sens économique. Nous construirons ce dont nos clients ont besoin, quand ils en ont besoin, et gagnerons leur confiance grâce à une exécution cohérente. ». Le Financial Times évoque même qu’Intel pourrait tout bonnement abandonner le prochain nœud 14A si aucun partenaire n’est prêt à en partager le coût ! De quoi marquer la fin de la division Intel Foundry ?
Par ailleurs, Intel poursuit sa restructuration en scindant son groupe Network and Edge (NEX) pour en faire une entité indépendante. Cette décision s’inscrit dans une stratégie visant à recentrer Intel sur ses activités essentielles, notamment les processeurs x86 et l’intelligence artificielle, tout en se délestant des divisions jugées non stratégiques. La division NEX, qui englobe les technologies de réseau et les infrastructures de communication, bénéficiera désormais d’une autonomie accrue pour accélérer son innovation et sa stratégie commerciale. Intel restera un investisseur principal, comme ce fut le cas avec Altera, une autre division qu’elle a partiellement cédée plus tôt cette année. Cette séparation vise à libérer NEX des lourdeurs bureaucratiques d’Intel, lui permettant de mieux répondre aux besoins du marché.
L’action a encore cédé près de 5 % dans la foulée des annonces de résultats et de suppressions d’emplois, les investisseurs doutant de la capacité du nouveau management à redresser la barre rapidement. Depuis janvier, malgré un bref rebond, le titre abandonne environ 30 % quand Nvidia vaut désormais quarante fois plus en capitalisation.
Pour le troisième trimestre, Intel vise un chiffre d’affaires compris entre 12,6 et 13,6 milliards de dollars, tablant sur un léger rebond des marges grâce aux premières économies de la restructuration. Lip-Bu Tan promet un « retour à l’urgence et à la discipline » avec un recentrage sur l’inférence des IA plutôt que la course aux super‑GPU mais aussi une volonté de redynamiser l’écosystème x86 notamment sur les serveurs où Intel reconnait que la suppression de l’Hyper‑Threading n’a pas joué en sa faveur et va donc le réintroduire.
Reste que la concurrence d’AMD dans le PC, de TSMC sur la fonderie et de Nvidia dans les accélérateurs IA laisse peu de répit : si le pari 18A échoue, Intel risque de voir sa fenêtre de rattrapage se refermer définitivement.