Des résultats stratosphériques, des bénéfices records, des licenciements à la pelle, des investissements IA démesurés… En publiant les résultats du second trimestre calendaire, qui sont en réalité les résultats de son quatrième trimestre fiscal, et donc en clôturant son année fiscale 2025, Microsoft éclaire les contradictions de notre temps… Pendant que Wall Street salue des résultats historiques…
Anthologique ! Microsoft a clôturé son exercice 2025 sur un sprint final spectaculaire : 76,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires trimestriel (+18 %) et 27,2 milliards de bénéfice net trimestriel (+24 %) sur les trois mois d’avril à juin, portés par un bond de 39% d’Azure et des activités cloud qui pèsent désormais globalement 46,7 milliards sur le seul trimestre.
Le géant de Redmond engrange ainsi sur l’année 281,7 milliards de revenus et 101,8 milliards de profits, un double record historique, tout en investissant massivement dans l’IA et… en supprimant plus de 15 000 postes. Un paradoxe que Satya Nadella tente de rationaliser dans un long mémo interne sur lequel nous revenons plus bas, rappelant que « le succès n’a pas de valeur de franchise » et que l’entreprise doit « désapprendre pour mieux réapprendre ».
Un quatrième trimestre historique
Cette vitalité trimestrielle, hors normes, alors que les tensions géopolitiques et incertitudes économiques affectent toutes les entreprises de la planète à l’exception des GAFAM, surperforme de plus de 8% les attentes pourtant très hautes de Wall Street, grâce à la vigueur de l’activité cloud et l’IA.
De quoi forcément réjouir Satya Nadella : « Le cloud et l’IA sont les moteurs de la transformation des entreprises dans tous les secteurs. Nous innovons sur l’ensemble de la pile technologique pour aider nos clients à s’adapter et à croître dans cette nouvelle ère. ».
Il n’est pas le seul. Les investisseurs savourent cette réussite : l’action bondit de 7 % dans les échanges post-marché, ajoutant près de 288 milliards de capitalisation et propulsant le titre au-dessus de la barre des 4 000 milliards permettant au titre Microsoft de rejoindre NVidia comme seules capitalisations ayant jamais franchi ce seuil.
Et Microsoft de publier les résultats d’Azure pour la première fois !
Jusqu’ici, le groupe n’avait jamais publié dans le détail les résultats de son Cloud Azure, se contenant de pourcentage de croissance et noyant les chiffres réels dans les totaux de sa division « Intelligent Cloud » combinant Azure et les ventes des logiciels serveurs.
Mais face au feu d’artifice de ce dernier trimestre, le groupe a enfin bien voulu faire preuve de transparence. Azure est bien une incroyable machine à cash. Non seulement l’activité affiche une surprenante croissance trimestrielle, +39%, ce qui est très supérieur à ses concurrents, mais surtout Azure a généré à lui seul 75 milliards de dollars sur l’année 2025.
Alors, oui, Azure est encore loin de dépasser AWS qui affichait 107,6 milliards de dollars de revenus en 2024 et dont Wall Street estime les revenus 2025 à environ 117 milliards. Mais le Cloud de Microsoft, porté par l’IA et son partenariat OpenAI, est aujourd’hui sur des courbes de croissance plus dynamiques qu’AWS.
La fameuse pseudo-division « Intelligent Cloud » pèse 29,9 milliards ce trimestre (+26 %) et 106,3 milliards sur l’exercice 2025. Dit autrement, l’ensemble des logiciels serveurs « On’Prem » de Microsoft (Windows Server, SQL Server, Exchange Server, Sharepoint Server…) rapporte encore 31 milliards de dollars par an au groupe.
Zoom sur les autres piliers
La division « Productivity and Business Processes » génère 33,1 milliards de dollars (+16 %) sur le trimestre et 120,8 milliards sur l’année, dopée par la croissance de Microsoft 365, tant côté entreprises que consommateurs, et par la bonne tenue de LinkedIn (+9 %) et Dynamics 365 (+23 %).
Enfin, la division More Personal Computing (Windows, Surface, Xbox, publicité) engrange ce trimestre 13,5 milliards (+9 %, pour un total annuel de 54 milliards de dollars), portée par la publicité sur Bing (+21%), le gaming (et plus particulièrement les ventes de jeux et le XBox Game Pass) avec une croissance de +13% et une légère reprise des ventes Windows alignée sur le rebond des ventes PC au premier et deuxième trimestre 2025. En effet, la division Windows (dans laquelle la division Surface est désormais fondue) affiche une croissance de 3% sur ce trimestre par rapport à l’an dernier. Mais le groupe continue de n’afficher aucune transparence quant aux résultats de sa division Surface.
Microsoft se garde bien de publier les résultats de sa récente filiale « Microsoft AI ». Le succès d’Azure et sa croissance sont évidemment portés par l’IA. Mais, malgré ces performances, Microsoft a encore consacré 24 milliards de dollars de CAPEX au seul quatrième trimestre, pour étendre ses centres de données IA, ce qui monte les investissements IA du groupe sur son année fiscale 2025 à près de 85 milliards de dollars (dont 72 milliards de dollars en cash). Et l’effort va se poursuivre, Microsoft anticipant 30 milliards dès le premier trimestre fiscal 2026. On notera également au passage que Microsoft a investi 32 milliards de dollars sur son exercice 2025 à la R&D.
Il fut un temps où les trois méta-divisions de Microsoft étaient relativement équilibrées. Ce n’est clairement plus le cas désormais.
L’énigme des licenciements expliquée par Satya Nadella
Derrière cette euphorie financière, une ombre plane : les licenciements. En 2025, Microsoft a supprimé plus de 15 000 postes, dont 9 000 rien qu’en juillet. Une décision qui interroge forcément, alors que les résultats sont au zénith. Satya Nadella a pris la plume pour s’adresser aux employés : « Avant toute chose, je veux parler de ce qui pèse lourdement sur moi, et sur beaucoup d’entre vous : les récentes suppressions de postes. Ces décisions sont parmi les plus difficiles à prendre. Elles affectent des personnes avec qui nous avons travaillé, appris, partagé des moments, nos collègues, nos coéquipiers, nos amis. »
Dans ce message empreint de gravité, il poursuit : « Je tiens à exprimer ma sincère gratitude à ceux qui nous quittent. Leurs contributions ont façonné ce que nous sommes aujourd’hui. Et pour cela, je suis profondément reconnaissant. »
Certes… Mais comment justifier de telles coupes alors que Microsoft affiche des bénéfices records ? Nadella évoque « l’énigme du succès dans une industrie qui n’a pas de valeur de franchise ». Il insiste sur la transformation du groupe, passé d’une « usine logicielle à un moteur d’intelligence », et sur les 84,6 milliards de dollars investis cette année dans l’IA. L’objectif : rationaliser l’organisation, éliminer les couches intermédiaires de management et accélérer la prise de décision. Et il rappelle que « le progrès n’est pas linéaire. Il est dynamique, parfois dissonant, et toujours exigeant ». Au passage, le CEO de Microsoft rappelle que, malgré les départs, l’effectif global reste proche de 228 000 personnes et que Microsoft recrute activement des experts IA.
En somme, Microsoft surperforme, mais se réinvente. Dans cette course effrénée vers l’intelligence artificielle, le groupe sacrifie des postes pour mieux se positionner. Nadella conclut : « Nous devons être lucides sur ce que signifie réussir dans un monde où l’innovation est constante et où la seule constante est le changement. »
Ou, peut-être, finalement se dire que, dans un monde où les tensions géopolitiques n’ont jamais été aussi fortes, où l’IA se prépare à mettre au chômage rapidement plus de 20% de la population, où les dérèglements climatiques sont devenus ingérables, où les crises se multiplient partout, où les TPE et PME françaises sont au plus mal, où la pauvreté progresse à nouveau en Occident, tous ces chiffres exorbitants n’ont en réalité plus aucun sens.