Face aux révolutions technologiques successives, de l’ordinateur personnel à l’IA, les entreprises doivent jongler entre innovation disruptive et « commoditisation » : L’approche DevOps offre une solution pour transformer ces défis en opportunités de croissance.
L’un des plus grands défis auxquels sont confrontées les entreprises de tous les secteurs est de conserver leur avantage concurrentiel tout en continuant à offrir de la valeur ajoutée et des innovations à leurs clients. Ce défi est encore plus prononcé pour les leaders du marché, car leurs concurrents élaborent sans cesse de nouvelles stratégies pour ravir leur position. Outre les menaces les plus évidentes, deux menaces silencieuses pèsent particulièrement sur les entreprises : la disruption technologique et la banalisation de l’innovation. Négliger ces menaces est une cause fréquente d’échec commercial.
Comprendre l’innovation : durable ou disruptive
Il existe deux types d’innovation : l’innovation durable et l’innovation disruptive. L’innovation durable consiste en des améliorations progressives apportées à des produits ou services existants afin de répondre aux besoins des clients et des marchés existants. Les entreprises bien établies excellent généralement dans l’innovation durable, car elles disposent déjà de procédures, de ressources et d’une clientèle qu’elles doivent préserver et développer.
Les innovations de rupture ont, quant à elles, le potentiel de créer des marchés entièrement nouveaux ou de révolutionner les marchés existants en introduisant de nouvelles façons de faire les choses, plus pratiques, améliorées, simplifiées ou rentables. Ces innovations apparaissent souvent discrètement : au départ, elles peuvent ne pas répondre aux besoins des clients traditionnels ni être aussi rentables que les solutions existantes. Cependant, ignorer ces innovations peut avoir des conséquences commerciales importantes à long terme, à mesure que les clients découvrent leur valeur.
La commoditisation survient lorsqu’une innovation (que ce soit un produit, un service ou une technologie) devient largement disponible et standardisée, réduisant ainsi la différenciation des produits entre les concurrents. Les produits deviennent souvent interchangeables, le prix devenant le principal critère de comparaison. Cette évolution peut nuire à la capacité d’une entreprise à se démarquer de ses concurrents et, par conséquent, affaiblir sa position sur le marché.
Cinq innovations disruptives majeures
Depuis les années 1980, chaque décennie a été marquée par des innovations disruptives qui ont transformé nos vies et fait de nombreuses technologies des produits de consommation courante.
Les années 1980 : l’émergence de l’ordinateur personnel, qui marque le début de l’ère de l’autonomisation individuelle. Le PC a révolutionné le marché du matériel informatique et a transformé des composants tels que les processeurs, le stockage et la mémoire en produits de consommation courante grâce à des interfaces standardisées et à une concurrence accrue entre les fabricants d’équipements d’origine. Cela a entraîné une baisse des prix et une plus grande accessibilité pour les consommateurs. De plus, l’ordinateur personnel a fourni une plate-forme standardisée sur laquelle les ingénieurs logiciels ont pu développer des applications.
La décennie des années 1990 : l’essor d’Internet a marqué une nouvelle ère de démocratisation de l’information. À mesure que les ordinateurs personnels sont devenus plus abordables et se sont généralisés, la demande de connexion à Internet a explosé, entraînant la banalisation des services Internet. Les fournisseurs se sont fait concurrence en proposant des débits plus rapides et des prix plus bas, rendant Internet plus accessible au grand public.
Les années 2000 : l’introduction des smartphones a banalisé les applications mobiles en offrant aux développeurs une plateforme standardisée pour créer et fournir des applications. Cette évolution a ouvert la voie aux applications Over-the-Top (OTT), qui ont banalisé des services tels que les appels vocaux et la messagerie texte. Le « moment iPhone » a transformé la communication mobile, en mettant l’accent sur l’expérience utilisateur et la fourniture de contenus personnalisés.
La décennie 2010 : le cloud computing a démocratisé la puissance informatique et entraîné une transition significative vers les modèles commerciaux en SaaS (“Software-as-a-Service”), qui ont changé radicalement la manière dont les entreprises fournissent et consomment les logiciels. Désormais elles sont facturées en fonction de l’utilisation d’une solution ou d’un service, et plus avec un abonnement fixe, quel qu’en soit l’usage, comme c’était le cas auparavant. Cette transformation a fait de l’informatique un produit de base, les services cloud offrant des alternatives évolutives, flexibles et rentables aux solutions traditionnelles sur site.
Et les années 2020 : La décennie de l’intelligence artificielle démocratise l’intelligence et le bon sens. L’essor de l’AI Générative a rapidement banalisé les chatbots et les modèles linguistiques open source à grande échelle (LLM). L’IA évolue désormais au-delà de l’information et de la suggestion, pour devenir des agents IA capables d’agir. Ces agents IA spécialisés par fonction peuvent accéder à des outils et des bases de données, effectuer des tâches et exploiter la mémoire et la réflexion, ce qui permet d’atteindre des niveaux d’automatisation sans précédent et de réduire le besoin d’intervention humaine. Cependant, l’adoption généralisée de l’IA a également soulevé des préoccupations en matière de normalisation et de sécurité, rendant indispensable la mise en place de réglementations pour protéger la chaîne d’approvisionnement des logiciels modernes.
La courbe de « commoditisation » de l’innovation
Plusieurs tendances se dégagent lorsque l’on observe les principales caractéristiques des innovations disruptives au fil du temps. Ce phénomène peut être compris à travers la « courbe de commoditisation de l’innovation » (comprenez la courbe de banalisation de l’innovation auprès du plus grand nombre) :
1 – Le point de départ : une nouvelle innovation (un produit ou un service) est introduite sur le marché avec le potentiel de changer ou d’améliorer considérablement la façon dont les choses sont faites. Cette nouvelle innovation peut ne pas répondre dès le départ aux besoins des clients grand public, ni être aussi rentable que les offres existantes sur le marché.
2 – L’engouement s’intensifie. Les pics de demande font augmenter les prix en raison du manque d’options de substitution sur le marché. La forte demande et la rentabilité attirent de nouveaux entrants sur le marché.
3 – Le prix maximal : à mesure que le marché arrive à maturité, les prix atteignent leur niveau maximal. Un nombre limité de fournisseurs sont en mesure de proposer cette innovation, ce qui leur permet de maintenir des prix élevés.
4 – De nouveaux fournisseurs font leur apparition, proposant des fonctionnalités similaires et imitant le produit initial. Les fournisseurs proposent généralement des produits similaires en termes d’apparence et de convivialité, et les associent à des services à valeur ajoutée (SVA) afin de se différencier.
5 – La “guerre” de l’innovation : les fournisseurs se disputent les nouveaux clients et les parts de marché en innovant en permanence. La croissance du marché est alimentée par l’afflux de nouveaux clients.
6 – La normalisation des fonctionnalités : les fonctionnalités de base se généralisent et les nouvelles fonctionnalités sont perçues comme moins utiles ou moins révolutionnaires. La concurrence s’intensifie, entraînant une guerre des prix et une focalisation sur les remises ou les offres groupées afin de conquérir le marché.
7 – L’apparition d’alternatives low-cost et open source : le marché arrive à saturation et les prix baissent au fil du temps. Certains fournisseurs adoptent des modèles commerciaux open core, offrant gratuitement les fonctionnalités de base tout en monétisant les services à valeur ajoutée et l’assistance.
8 – Apparition d’une nouvelle innovation disruptive : une nouvelle innovation disruptive réinitialise la courbe de commoditisation, supplantant l’innovation précédente.
Faire face au dilemme de l’innovateur
Comme nous l’avons vu, l’innovation est un cycle continu d’amélioration, qui consiste parfois à apporter des améliorations mineures et parfois à redéfinir le statu quo. Dans ce monde en constante évolution, les entreprises sont confrontées à la décision difficile d’investir ou non dans des innovations potentiellement disruptives, même au risque de cannibaliser leurs activités actuelles qui sont couronnées de succès. Ce dilemme, introduit pour la première fois par Clayton Christensen en 1997, met en évidence la difficulté des entreprises établies à reconnaître rapidement le potentiel des innovations disruptives. Elles ont souvent tendance à négliger ces innovations, les jugeant non pertinentes, et se concentrent principalement sur leurs clients et leurs marchés actuels. Lorsque l’innovation disruptive s’impose, il est parfois trop tard pour rattraper le retard.
Ce dilemme de l’innovateur souligne l’importance cruciale non seulement de se concentrer sur le maintien de l’innovation, mais aussi d’adopter une approche stratégique pour identifier, évaluer et investir dès le début dans les innovations disruptives. Il met l’accent sur la nécessité de faire preuve de flexibilité, d’agilité et d’une volonté de bouleverser son modèle économique pour rester pertinent dans un environnement de marché en rapide évolution.
L’état d’esprit DevOps : une clé pour naviguer entre disruption et commoditisation
L’IA est l’une des forces les plus disruptives de cette décennie. À court et moyen terme, elle sert de catalyseur pour soutenir l’innovation, améliorer les interactions et l’expérience utilisateur. Cependant, à long terme, l’IA jouera un rôle plus disruptif, transformant les industries et modifiant les rôles et les responsabilités entre les humains et les machines.
C’est là que l’état d’esprit, l’approche intellectuelle – en anglais le “mindset” – DevOps devient crucial. Le DevOps consiste à favoriser une culture d’agilité, de collaboration et d’amélioration continue, des valeurs essentielles pour prospérer dans un contexte de disruption et de « commoditisation ». Les pratiques DevOps permettent aux organisations de réagir rapidement à l’évolution des conditions du marché et aux besoins des clients. En intégrant l’agilité dans leurs opérations, les entreprises peuvent rester adaptables et résilientes face aux innovations disruptives.
De plus, l’état d’esprit DevOps favorise la suppression des silos et l’alignement de toutes les équipes (développement, opérations, sécurité, science des données et fonctions commerciales) dans une approche « AllOps ». Cette approche holistique garantit que les organisations ne se contentent pas de réagir aux forces du marché, mais recherchent activement des opportunités pour se réinventer. Elle permet aux entreprises d’expérimenter, d’échouer rapidement, et d’apprendre vite, tout en offrant une valeur constante à leurs clients. Les bouleversements technologiques et la commoditisation sont des constantes dans le secteur des logiciels, mais ils ne sont pas nécessairement synonymes de catastrophe pour les entreprises.
En adoptant un état d’esprit DevOps, les entreprises peuvent transformer les bouleversements en nouveaux catalyseurs de croissance.
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Par Fred Simon cofondateur de JFrog