Un faux piratage pour un vrai recrutement : l’Armée de Terre a retourné les codes du hacking pour parler aux geeks du cyberespace. Une opération de comm’ qui brouille les pistes entre jeu, enquête et communication de rupture. Ou quand l’Armée de Terre parle enfin le langage des hackers pour recruter ses futurs soldats du cyberespace.
Qui n’ose rien, n’a rien… C’est une campagne de recrutement que peu d’entreprises auraient osée et qu’on n’attendait certainement pas d’une organisation comme l’Armée de Terre !
Le week-end du 28 septembre, les internautes ont cru assister à une cyberattaque d’envergure : les comptes officiels « Armée de Terre Recrute » sur Instagram, TikTok, X et YouTube semblaient piratés, leurs visuels détournés, leurs publications effacées ou remplacées par des messages inquiétants. Mais les plus attentifs ont vite remarqué quelques incohérences, des indices disséminés ici et là — un filigrane « exercice », des adresses IP étranges, des codes qui ne renvoyaient nulle part.
Bref, tout sentait le canular savamment préparé. Et pour cause : l’armée venait en réalité de lancer une opération de communication d’un genre nouveau, à mi-chemin entre le hoax, le jeu d’enquête en ligne et la campagne de recrutement immersive. Une campagne qu’elle a aussi étendue ensuite aux journalistes pour les inviter à se joindre « à la traque » et les sensibiliser à leur campagne. C’est gonflé… mais ça sort singulièrement des sentiers battus et ça marche.
Derrière cette fausse attaque se cache un slogan : « Faire de sa ligne de code sa ligne de front ». L’idée : attirer l’attention des jeunes passionnés d’informatique, de cybersécurité et de data, souvent happés par les sirènes du privé, pour leur montrer que les compétences numériques sont aujourd’hui aussi stratégiques que le pilotage d’un char ou le commandement d’un bataillon. En un mot, l’armée de Terre cherche à recruter ses nouveaux soldats du cyber.
Les soldats de la Cyber-guerre et de la Cyber-défense
Car la cyberdéfense est devenue l’un des piliers de la stratégie militaire française. Dans un monde où les lignes de front ne se tracent plus seulement sur des cartes mais aussi dans les réseaux et les data centers, la maîtrise du cyberespace est désormais un enjeu de souveraineté au même titre que la dissuasion nucléaire ou le contrôle de l’espace aérien. Les armées françaises ont pleinement intégré cette réalité : le numérique est à la fois un champ d’opérations, un outil de supériorité stratégique et une cible à protéger. Depuis la création du Commandement de la Cyberdéfense (ComCyber) en 2017, la France s’est dotée d’une structure dédiée à la protection et à la conduite d’opérations dans le cyberespace. Placé sous l’autorité directe du chef d’état-major des armées, le ComCyber supervise l’ensemble des forces numériques de la Défense : il coordonne les actions défensives, les missions de renseignement technique et les capacités offensives, dans le respect du droit international et sous contrôle politique. Aujourd’hui, chaque armée – Terre, Air, Mer – possède désormais sa propre composante cyber.
La doctrine française repose sur un triptyque clair : protéger, détecter, riposter. Il s’agit autant de prévenir les intrusions sur les réseaux de commandement que d’être capable de neutraliser une menace avant qu’elle ne devienne un acte de guerre. Cette approche intégrée a été confirmée dans la Loi de programmation militaire 2024-2030, qui prévoit un renforcement significatif des moyens humains et technologiques consacrés au cyber, avec plusieurs milliers de spécialistes formés et recrutés d’ici 2030. De la simulation à la cryptographie, du renseignement électronique à la lutte informatique offensive, la « cyber » irrigue désormais toutes les missions des armées. Elle est la condition de leur efficacité opérationnelle et la garantie que la France puisse défendre ses intérêts, sur terre comme dans le cloud.
Séduire des profils qui ignorent l’armée par défaut
Alors l’Armée de Terre doit recruter… Et recruter, c’est d’abord séduire et donc moderniser son image pour séduire des jeunes profils cyber à priori peu enclins aux uniformes et souvent très peu à l’écoute de ce que l’armée peut leur offrir en matière de batailles invisibles menées derrière les écrans.
Consciente de son déficit d’image, le département communication des armées a donc joué « hors cadre ». Pendant plusieurs jours, les curieux ont été invités à suivre la piste, à décrypter les indices, à résoudre des énigmes disséminées sur les réseaux et dans des sites satellites. Ceux qui parviendront à tirer les bons fils pourront être repérés et, pour les plus perspicaces, invités à découvrir les coulisses du 54ᵉ régiment des transmissions, unité clé des opérations de guerre électronique et de renseignement.
Le général Arnaud Goujon, sous-directeur des ressources humaines de l’armée de Terre, a assumé le ton décalé de l’opération. Ce n’était pas, dit-il, un simple canular, mais une façon de parler le langage d’une génération née avec les claviers et les consoles. L’opération n’a pas manqué de faire réagir. Certains ont salué une communication inventive et moderne, d’autres ont tiqué sur la frontière floue entre fiction et désinformation.
Mais au final, la mission semble réussie : faire du bruit, intriguer, donner envie. Et rappeler, mine de rien, qu’en 2025, la ligne de front passe aussi par la fibre optique.