Longtemps considérée comme une technologie réservée aux opérateurs, la Fibre Optique Noire (FON) fait encore l’objet d’a priori : trop chère, trop complexe. Pourtant, elle est aujourd’hui adoptée par de plus en plus d’entreprises, y compris des PME, qui y trouvent une solution intéressante d’un point de vue économique autant que fonctionnel – dans la mesure où elles répondent à certains critères.

Quelles sont donc les conditions d’accès à la FON ? Pour quelles entreprises peut-elle s’avérer pertinente, et pourquoi s’orienter vers une telle solution ?

Une fibre noire est une fibre optique brute, qui raccorde deux points et qui n’est pas encore « éclairée » (ou activée). Elle peut être éclairée au gré des besoins, avec différentes longueurs d’onde de lumière qui représentent autant de services et de niveaux de performances potentiels. Par rapport à une fibre classique qui elle, va être « préconfigurée » et limitée au transport de flux IP, la FON va permettre de véhiculer tous types de protocoles (IP, Ethernet, audio, vidéo, SAN…), et est donc plus riche en termes de services. Lors de la bulle Internet de 2000 à 2004, de nombreuses fibres noires ont été installées, et beaucoup ne sont toujours pas utilisées par les opérateurs télécoms – la capacité est donc immense, d’autant que de nombreuses collectivités territoriales et sociétés disposant de réseaux enterrés ont continué à installer des fibres noires.

Pourquoi cette technologie réservée auparavant aux opérateurs intéresse-t-elle aujourd’hui les entreprises ?

Il est vrai que jusqu’au milieu des années 2000, le coût de cette technologie – lourde à déployer – la rendait quasiment inaccessible aux entreprises. Mais cela a énormément évolué, sous l’influence de plusieurs facteurs :

– la multiplication des fibres noires a incité les exploitants à en diminuer le prix, plutôt que de les garder inutilisées,

– l’évolution des technologies a permis la baisse des prix des équipements d’éclairage et de multiplexage (split de la lumière en longueurs d’onde),

– les acteurs en mesure de raccorder les derniers mètres entre les fibres noires existantes et les bâtiments / data centers clients se sont multipliés, ce qui a également entraîné une baisse des prix de ces « derniers mètres » jusque-là très coûteux,

– la possibilité de contrat de courte durée par rapport aux IRU (droit imprescriptible d’utilisation) de 10 à 15 ans proposés auparavant (contrats de 3 ans standard aujourd’hui).

Par ailleurs, les besoins en performances sont en constante augmentation, et l’on assiste actuellement à une multiplication des usages sur fibre : Ethernet / IP / MPLS, FC, FCoE… La fibre noire répond donc à des besoins, et devient économiquement pertinente. D’où un nombre croissant de demandes.

Quels sont donc les avantages de la fibre noire ?

L’avantage principal de la FON, c’est l’évolutivité : au fur et à mesure que les besoins augmentent, on peut passer de 1 Gbps à n * 10 Gbps, et le seul coût associé va être celui des équipements, mais il est marginal. Idem pour les services : si de nouveaux besoins se présentent, il suffit d’éclairer de nouvelles longueurs d’ondes.

Cette technologie offre également une grande indépendance technologique au client, qui peut à tout moment faire évoluer ses services sans la contrainte des offres packagées des opérateurs (et les délais de construction associés).

Enfin, elle présente de grands avantages en termes de disponibilité, car elle affranchit des contraintes de disponibilité associées à la mutualisation des réseaux opérateurs, et présente des possibilités de secourir les tracés et adductions des fibres avec des boucles optiques 100% sécurisées.

Et parmi ces avantages, quels sont ceux qui vont être à l’origine du déclenchement des projets ?

Bien sûr, le besoin de Très Haut Débit inter-sites (entre bâtiments clients, ou vers des data centers d’hébergement et de services) avec plusieurs réseaux à transporter est le principal facteur déclencheur, car l’équation économique est très vite positive – notamment quand l’on peut mettre en avant un ROI sur 3 ans. A cela vient souvent s’ajouter l’enjeu de disponibilité. Mais pour certaines entreprises, c’est le besoin d’autonomie sur la gestion du réseau ou d’un service d’exploitation « sur-mesure », impossible avec les solutions de fibres classiques, qui constitue un critère de particulièrement décisif !

Précisément, qu’est-ce que cela change pour les clients en terme d’exploitation ?

Lorsque l’on parle de fibre, il faut savoir que trois types de services sont proposés sur le marché : – Les FON seules sans service, qui supposent que le client achète ses équipements, intègre, supervise, exploite et fait évoluer son réseau en toute autonomie. C’est généralement le choix des entreprises technophiles, qui disposent d’équipes techniques à même d’assurer l’intégralité du projet.

– Un service basé sur des FON : le prestataire fournit un service basé sur des FON intégrant un SLA complet, et des conditions d’évolution prédéterminées. C’est assez similaire à ce que l’on peut obtenir avec une fibre éclairée.

– Entre les deux, et c’est dans cette dernière option que réside la valeur ajoutée des solutions de fibres noires, l’on trouve des services d’exploitation partagée : le client dispose de lambdas pour ses propres besoins, et le prestataire fournit des services avec SLA dans d’autres lambdas. Le client bénéficie ainsi de tous les avantages (flexibilité, disponibilité) de la fibre noire, mais ne paie que la « quote-part » qu’il utilise à un instant t.

Quels sont les risques, les conditions de réversibilité ?

Le choix du mode d’exploitation impacte directement l’organisation de la DSI en terme de charge de travail, et de compétences à acquérir ou maintenir. Il est clair que le déménagement d’un site en cours de contrat est plus onéreux et sa faisabilité est dépendante d’une éligibilité plus restreinte que lorsqu’on est dans le cadre d’un réseau opérateur traditionnel. Comme avec un contrat opérateur sur trois ans, l’engagement budgétaire s’exprime sur la totalité de la période d’engagement.

Enfin, bien sûr, l’investissement d’équipement d’éclairage et de multiplexage dans le cadre d’un service d’infrastructure sans exploitation n’est pas réutilisable dans le cadre d’une réversibilité vers un service opérateur.

Tous ces paramètres sont à évaluer lors du choix de la solution : néanmoins, au regard des gains réalisés à moyen voir parfois court terme, ce sont rarement des points bloquants.

Comment voyez-vous évoluer ce marché de la FON ?

VeePee a commencé avec la migration des liaisons Gbps vers la FON en 2007, et la majeure partie des liaisons haut-débit que nous avions en parc sont désormais des FON. La mise en place de FON a par ailleurs déclenché chez nos clients des projets de PRA/PCA, d’externalisation du SI vers des solutions IaaS, et a permis d’adresser plus vite de nouveaux métiers / usages qui avaient été écartés au regard du budget télécom qu’ils représentaient.

De plus en plus de clients FON exploitent leurs propres longueurs d’onde pour leurs besoins métiers spécifiques (transport audio/vidéo, réseau de stockage) tandis que nous fournissons un service complet sur d’autres longueurs d’onde (transport Ethernet, MPLS, Internet, Voix…).

La fibre optique noire est-elle accessible à toutes les entreprises ?

Hélas non, il existe quelques restrictions, et l’on peut mettre en avant les trois grands critères qui vont conditionner la pertinence de la FON :

1. La zone géographique : les grandes villes sont de loin les plus équipées. Ainsi, la technologie va être intéressante pour des entreprises devant assurer le raccordement de bâtiments en MAN dans les grandes villes de France (et plus particulièrement dans Paris et sa proche banlieue). La distance entre les bâtiments à équiper est également limitée, elle doit être de moins de 100 km.

2. Les usages : L’entreprise doit avoir plusieurs besoins de raccordement pour son bâtiment client ou data center : extension de LAN, réseau de stockage, réseau de sauvegarde, réseau IP / MPLS, Internet, etc. Plus les usages sont nombreux et différents, plus le recours à la FON se justifie.

3. Les performances : on peut estimer qu’une FON va être économiquement intéressante à partir de 100 Mbps, très intéressante à partir du Gbps, et excellente dès lors que l’on va parler de 10 Gbps et d’infrastructures metrocluster. Néanmoins, si l’accès à la FON reste soumis à certaines conditions, cela concerne un grand nombre d’entreprises !

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Guillaume Lecerf est Directeur Commercial chez VeePee, filiale de SPIE Communications spécialiste des infrastructures Télécoms et des services opérés.