Alors que les chiffres du chômage de mai 2013 viennent d’être publiés et que le débat ressurgit sur les « offres d’emploi non pourvues », le MUNCI (Association professionnelle des informaticiens) vient de valider avec la Dares (Ministère du Travail) que le taux de chômage moyen dans nos professions de l’IT (Informatique-Télécoms) se situait au moins de décembre 2012 entre 7.8% (CAT. A) et 9.6% (CAT. ABC) avec au total 57.000 demandeurs d’emploi dans nos métiers (base : 590 000 informaticiens) toutes qualifications confondues, ce qui remet largement en cause le mythe odieux de la « pénurie d’informaticiens » en France, un mythe que nous dénonçons déjà depuis plusieurs années et qui porte un réel préjudice moral aux chômeurs de nos professions dont le nombre était en réalité notoirement sous-évalué à ce jour.
Les difficultés de recrutement dans l’informatique sont pourtant une réalité … qu’il convient de relativiser fortement au vu des constats suivants :
– Le marché du travail informatique est un marché de compétences extrêmement diversifié, spécialisé et évolutif qui concerne non pas une poignée de métiers et de qualifications mais plus d’une centaine de métiers différents et plus d’un millier de qualifications différentes (ce qui le distingue des autres « métiers en tension »)…
De surcroît, nos emplois sont toujours plus externalisés vers des sociétés de prestation de services (SSII/SICT) qui recrutent essentiellement sur mission et qui recherchent donc des profils sur mesure adaptés aux projets sous-traités par les clients.
Conséquence : il existe nécessairement une relative inadéquation de compétences entre l’offre et la demande qui s’observe plus particulièrement sur certains métiers émergents.
– Le modèle socio-économique de l’industrie du numérique repose toujours plus sur le jeunisme : la réduction des coûts salariaux, particulièrement forte dans le secteur du numérique, entraine en effet un « jeunisme effréné » dans les processus de recrutement d’informaticiens (principalement par les SSII/SICT) qui conduit au chômage un nombre croissant de quadras/quinquas : selon l’Apec, 70% des recrutements d’informaticiens portent désormais sur des candidats bac+5 ayant moins de 6 ans d’expérience !
Conséquence : notre secteur est celui dont le taux de +50ans est le plus faible de toute l’économie (seulement 16%) en raison de la très forte discrimination sur le critère d’âge (Exemple avec IBM, 700 emplois d’anciens salariés supprimés d’un côté… 200 jeunes diplômés recrutés de l’autre.
– Plusieurs rapports publics déplorent le déficit de RSE, de formations et de GPEC dans les entreprises du numérique.
Exemples : l’étude de Pôle Emploi sur les métiers de l’informatique (déc. 2011) relativise pour cette raison les tensions sur notre marché du travail.
De même, dans son rapport 2012, le Comité stratégique de la Filière Numérique insiste particulièrement sur les progrès à accomplir dans le secteur en matière de GPEC et de RSE.
Les autres raisons qui expliquent les difficultés de recrutement dans l’IT sont principalement :
– le manque d’attractivité des principaux employeurs du secteur, à savoir les SSII/SICT (mauvaise image due principalement à des problèmes de management, de GRH et de conditions de travail) qui reçoivent donc logiquement beaucoup moins de candidatures que les entreprises utilisatrices (industrie, banque/finances, administrations…).
– les salaires modérés dans le secteur et très souvent bloqués au-delà de 5 à 10 ans d’expérience (en raison notamment des pressions tarifaires des clients) comme le montrent notamment les études annuelles de l’Apec et du Cnisf qui font référence
– le nombre croissant d’informaticiens exerçant en freelance (autant de candidats en moins pour les employeurs et les cabinets de recrutement…)
– la complexification croissante du sourcing pour les employeurs (nombreux canaux de recrutement…)
Pour le MUNCI, il n’est absolument pas démontré que le volume de jeunes diplômés formés aux STIC est insuffisant pour combler la demande du marché, ce volume étant en effet supérieur aux créations d’emploi dans le secteur (seulement 6000 en 2012)…
Néanmoins des adaptations s’imposent sur le plan de la formation (essentiellement continue).
Il faut par ailleurs signaler que le volume des offres d’emploi dans l’informatique est totalement déphasé de la réalité pour des raisons spécifiques à notre secteur (…) : 4 offres sur 5 ne correspondent en effet à aucun poste réellement disponible ! (Ce phénomène a été très bien analysé dans l’étude APEC 2006 : « SSII, le trompe l’œil de l’effet pénurie »)
En réalité, nos employeurs craignent par-dessus tout le plein emploi et ses difficultés de recrutement car c’est contraire à la flexibilité, entraine des dépenses de formation et favorise le rattrapage des salaires : un marché du travail proche de l’équilibre est forcément un marché… de pénurie !
De surcroît, exagérer les difficultés de recrutement a toujours été un moyen de renchérir le coût des prestations auprès des clients mais aussi de mieux légitimer le recours à l’offshore (délocalisations de services informatiques, centres d’appel & BPO) et à l’immigration économique depuis les pays à bas coûts… souvent synonymes de dumping social, réduction des coûts oblige !
A propos de délocalisations, le MUNCI rappelle qu’un récent rapport de l’Insee (abordant par ailleurs le problème de façon très partielle…) mentionne que le secteur des services de l’information et de la communication (et plus particulièrement celui des services informatiques) est le secteur qui a le plus fréquemment délocalisé ces dernières années avec l’industrie manufacturière.
Hélas notre Gouvernement s’en moque : non seulement Arnaud Montebourg ne s’intéresse plus qu’à la « relocalisation industrielle », mais surtout notre ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq promeut le concept de « co-localisation » avec le Maghreb, plus particulièrement avec le Maroc, qui inclue très clairement l’offshore comme facteur de « co-développement » alors qu’il ne s’agit en réalité que de sous-traitance verticale…
Après avoir dénoncé le prêt public de l’AFD destiné au refinancement de « Casanearshore » au mois de décembre 2012, le MUNCI publiera très bientôt un dossier complet sur le sujet.
Dans l’immédiat, nous voulons exprimer notre colère quand nous entendons notre ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Geneviève Fioraso expliquer « qu’il manque 7000 informaticiens en France », sans parler du buzz médiatique autour de l’école 42 (ou plutôt de « l’usine à développeurs ») de Xavier Niel, qui a déjà causé un certain tort à nos professions et suscité des commentaires (ainsi qu’une tentative de récupération…) totalement fantaisistes.
C’est pourquoi le MUNCI envisage d’organiser une mobilisation nationale des demandeurs d’emploi en informatique (avec certainement de nombreux salariés de SSII…) d’ici la fin de l’année.