Dans le petit monde français de la facture électronique, les choses étaient claires. Soit on faisait de la facture EDI, chère et donc nécessitant des flux très importants, soit on envoyait des fichiers électroniques bénéficiant d’une signature électronique «avancée» avec des contraintes liées à leur création et à leur archivage, côté fournisseur comme côté client. Les résultats sont clairs également, le taux d’adoption en France de la facture électronique en environnement B-to-B est un des plus bas des pays développés.

Dans le but louable de remédier à cette situation, le législateur a donc décidé d’assouplir les règles en transposant dans le droit français (loi de finance rectificative n° 2012-1510), la nouvelle Directive Européenne 2010/45/UE du 13 juillet 2010. Ainsi, depuis le 1er janvier 2013, factures électroniques et factures papier bénéficient d’une égalité de traitement auprès de l’administration fiscale. Aux deux modes préexistants de factures électroniques (EDI et signature) vient s’ajouter un troisième qui reconnait dans les faits toutes les autres méthodes d’établissement et de transmission des factures, électroniques ou papier. Seule contrainte : disposer d’une piste d’audit fiable permettant de prouver « l’authenticité de l’origine, l’intégrité du contenu et la lisibilité d’une facture ».

De prime abord, il s’agit donc bien d’une simplification. Tout format électronique est a priori accepté pour la facture électronique, y compris un PDF non signé. Mais qu’est-ce donc que cette piste d’audit fiable qui doit alors être garantie ? Comment en connaître les contours et comment cette notion de fiabilité, par essence subjective, va-t-elle être appréciée par l’Administration ? Autant de questions qui, faute de précisions et de retours d’expérience suffisants devraient inciter beaucoup d’entreprises à continuer de considérer l’EDI ou la facture électronique signée comme le moyen le plus simple et surtout le plus sûr de passer à l’électronique. Evidemment, cela implique que la transition vers la facture électronique ne s’accélèrera que très peu dans notre pays.

Une lecture plus attentive de la nouvelle réglementation apporte cependant un éclairage différent. L’exigence de « piste d’audit fiable » s’applique non seulement aux flux électroniques mais aussi au papier, media traditionnel des factures B-to-B. Ainsi, sauf à considérer qu’il est envisageable de migrer 100% des flux factures sur des fichiers signés, aucune entreprise ne pourra faire l’économie d’évaluer sa situation par rapport à la notion de « piste d’audit fiable ».

Il est cependant important de réaliser dès à présent qu’il n’est pas raisonnable, ni efficace d’envisager un système de traçabilité transversale des flux économiques qui exclurait certains media. Par conséquent les factures, y compris signées électroniquement, devront toutes faire l’objet, à plus ou moins longue échéance, d’une piste d’audit fiable, démontrable et documentée. Outre le fait que cela relève d’un impératif édicté par l’Administration, il s’agit également d’une bonne pratique de gestion et de contrôle interne que nombre d’entreprises pratiquent déjà depuis de nombreuses années, souvent de manière empirique. Dans ce domaine, une démarche proactive visant à intégrer les flux documentaires intra et interentreprises, en utilisant les technologies modernes de dématérialisation et de traitement électronique de documents, favorisera grandement la transformation des processus d’entreprise vers une meilleure prise en compte des obligations de traçabilité qui émergent de toute part.

En résumé, la signature électronique demeure à court terme le meilleur moyen de s’assurer que la facture électronique est légale mais la piste d’audit fiable devient une exigence générale de l’Administration qui cherche à éviter les fraudes à la TVA. Ou comment créer de nouvelles obligations, tout en semblant libéraliser les pratiques commerciales… Qui a parlé de choc de simplification ?

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Emmanuel Olivier est directeur général d’Esker