Expertise de Nans Lorenzini, responsable juridique, Limonetik
Depuis le texte fondateur de la lutte anti-blanchiment en 1996, l’Union Européenne n’a de cesse de légiférer pour encadrer et protéger le système financier et éviter une dérégulation massive. Le périmètre s’est élargi. Ciblant initialement le blanchiment de l’argent des stupéfiants, il a progressivement inclus toutes formes de criminalité, de fraude fiscale et de financement du terrorisme.
Au départ, seules les banques et assurances étaient concernées. Avec l’arrivée de la Directive sur les services de paiement (DSP 1), adoptée le 13 novembre 2007, puis de la DSP2, adoptée le 25 novembre 2015, le champ des possibles s’est ouvert, entrainant à sa suite la mutation de l’univers des paiements et des services financiers. De nombreuses Fintechs puis Regtechs sont alors apparues.
Sous forme de startups, ces acteurs d’un nouveau genre ont renouvelé les métiers et les services du secteur. Aujourd’hui considérés comme des acteurs de la finance à part entière, ceux-ci sont directement concernés par toutes les évolutions règlementaires touchant leur domaine d’activité telles que les directives LCB-FT (lutte contre blanchiment et le financement du terrorisme). Cette dernière, actuellement dans sa 5ème version (AML 5 en anglais), approfondit les textes de la 4ème directive dans un contexte de lutte permanente contre la fraude et le financement du terrorisme.
Retour sur les principales mesures de la 4ème directive LCB-FT
La directive européenne 2015/849/UE, dite Quatrième Directive LAB, a été un chamboulement pour les acteurs du monde financier. Elle a permis d’élargir la lutte contre le blanchiment. Entrée en application en juin 2017, cette directive LCB-FT permet une approche graduée par les risques.
Elle a notamment apporté :
La mise en place du registre du bénéficiaire effectif
Les États membres ont été obligés de mettre en place, dans un registre central (tel que le registre des sociétés), un dispositif d’identification des bénéficiaires effectifs des sociétés et entités juridiques constituées sur leur territoire. L’objectif étant de favoriser la transparence économique et de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ce registre vise à identifier les personnes physiques qui contrôlent en dernier lieu une société ou une entité juridique et bénéficient effectivement de l’activité économique.
Dans le cadre de leur obligation de KYC ou KYB (know your customer or business), les établissements proposant des services de paiement à des professionnels doivent désormais obtenir de la part de leur client ce registre de bénéficiaire effectif. Cette obligation, en surajoutant de la complexité dans les relations d’affaires, a remanié l’organisation et les responsabilités des établissements financiers ou Fintechs.
De nouvelles dispositions pour le contrôle de la monnaie électronique
Phénomène qui prend de l’ampleur, la cryptomonnaie était jusqu’à lors délaissée. Désormais sa surveillance s’accroit, avec par exemple le contrôle des cartes prépayées.
La surveillance accrue des Fintechs
En tant que nouvel acteur sur le marché, les Fintechs représentaient une nouveauté dans la nébuleuse juridique européenne. La 4ème directive constitue la réaction du législateur face à ce vide législatif. Au même titre que les autres acteurs, les Fintechs évoluent maintenant sous le radar de l’UE.
L’extension de la notion de personne politique exposée (PPE) et la création d’un correspondant désigné pour les autorités de contrôles
Les nouvelles directives s’accompagnent d’un lexique enrichit. Ainsi les nouvelles réglementations liées à la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ont fait apparaitre de nouvelles responsabilités et fonctions. Le but est de renforcer l’approche par les risques. En effet, dans le secteur financier il est fondamental d’évaluer le risque d’un client en analysant le plus finement possible son profil.
Il semble que la France ait été en avance sur le sujet par rapport à d’autres Nations. Créée par décret du 9 mai 1990, la cellule de renseignement financier (CRF) Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) est un organisme chargé de la lutte contre la fraude, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Il évalue et présente les tendances et risques du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Il est surtout chargé de recueillir et d’analyser les déclarations de soupçon que les entreprises du secteur financier sont tenues par la loi de déclarer.
Les apports de la 5ème directive LCB-FT
En plus des innovations concernant les pouvoirs de sanctions des autorités compétentes vis-à-vis des établissements assujettis aux règles de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement terrorisme (LCB-FT), l’UE, avec la 5ème directive, poursuit sa démarche. La volonté : que les règles soient les mêmes pour tout le monde et que les pays européens collaborent. L’UE a également entendu les demandes des établissements financiers et des Fintechs sur les difficultés rencontrées dans l’application d’AML 4.
La 5ème directive, qui entrera en vigueur le 10 janvier 2020, précise et approfondit le texte de son aînée. Elle est, plus que jamais, d’actualité en ce qu’elle met l’accent sur la lutte contre le financement du terrorisme dans un contexte géopolitique en perpétuelle agitation. Il s’agit aussi d’avoir des dispositifs toujours plus efficaces face aux scandales qui font rage ; comme l’affaire d’évasion fiscale des Panama Papers. Par ailleurs, des sujets jusqu’à présent délaissés (les crypto monnaies, les agents immobiliers ou encore les experts comptables) sont désormais pris en compte.
La 5ème directive présente des mesures phares telles que (liste non exhaustive) :
- Le renforcement des compétences des cellules de renseignement financier de l’UE. La 5ème directive facilitera l’instauration d’une plus grande transparence concernant l’identité des propriétaires effectifs des entreprises et des trusts grâce à la création des registres des bénéficiaires effectifs.
- La mise en place des registres nationaux centralisés des comptes bancaires et des comptes de paiement ou des système centraux de recherche de données dans tous les états membres. Pour les Fintechs et les établissements financiers il s’agit de l’une des mesures les plus importantes.
- L’amélioration de l’accès des cellules de renseignement financier aux informations ainsi qu’une meilleure coopération entre ces différentes cellules. Y compris aux registres centraux de comptes bancaires.
- La prévention des risques liés à l’utilisation des cartes prépayées et des monnaies électroniques aux fins du financement du terrorisme.
- L’amélioration des garanties pour les transactions financières en provenance et à destination des pays tiers à haut risque.
La 5ème directive, pour une meilleure coopération entre les Etats membres
La création de normes communes va dans le sens d’une meilleure coordination entre les autorités nationales de surveillance. En outre, le registre des bénéficiaires effectifs devra être accessible à toute personne ayant démontré un intérêt légitime. On observe également une recrudescence de textes anti-blanchiment et lutte contre le terrorisme. Même la loi PACTE compte des notions LCB-FT pour encadrer au mieux tous les nouveaux acteurs du paiement.
En harmonisant les pratiques entre les différentes entités européennes, l’UE a défini un cadre juridique global de lutte contre la collecte de biens ou d’argent à des fins terroristes. La meilleure vigilance et régulation des transactions permettra de lutter davantage contre le blanchiment, sujet au cœur de l’actualité. L’adoption de cette 5ème directive est la preuve que l’UE s’adapte constamment au contexte géopolitique et économique pour lutter contre les exactions.
Alors que le texte s’inscrit dans un cadre juridique global d’encadrement du secteur financier, les Etats membres anticipent dès à présent l’application de la directive et s’organisent pour pouvoir appliquer ces mesures dès leur entrée en vigueur.