Ne dites pas à ma mère que je suis éditeur de réseaux sociaux, elle pense que je suis opérateur télécom ! C’est ainsi qu’aurait s’adresser Mark Zukerberg lors de la conférence plénière à laquelle il participait ce jour au MWC 2015. Facebook a pensé son réseau social pour le PC et a dû prendre en route le train du mobile, devenu aujourd’hui le principal terminal d’accès à Internet et à tous les services qui y sont proposés.
Comme tous les acteurs Internet, l’objectif de Facebook est d’attirer le plus d’utilisateurs et d’occuper une grande partie de leur temps. Leur terrain de jeu est la planète toute entière, les zones d’ombre où il n’y a pas de connectivité sont donc des obstacles à leur développement. D’où les projets pour faire en sorte que cet accès soit le plus large possible dans toutes les régions du globe. Google poursuit des projets similaires (voir article ci-contre MWC 2015 : Link, Loon, Titan et les autres…). Facebook avait lancé le projet Internet.org il y a un an environ. Parallèlement, il utilise les tuyaux existant sans trop se préoccuper des business models qui les soutiennent et vont plus loin en proposant des applications sur PC ou des apps sur mobile qui permettent d’envoyer des messages (sous différentes formes) ou de communiquer gratuitement. Et en plus, ils récoltent des revenus grâce à des publicités intégrées à leur application. C’est la double peine pour les opérateurs et le double bonus pour les OTT (over-the-top content). Les revenus abondants qu’ils sont à même de générer leur permettent de lancer les projets les plus ambitieux.
« Mark Zuckerberg est le gars qui s’invite à votre soirée, boit votre champagne et embrasse les filles qui sont présentes et n’apportent rien » explique de manière plutôt abrupte Denis O’Brien, chairman of Digicel Group, un opérateur de communications sans fil présent dans les pays de la zone des Caraïbes (Is Facebook Friend or Foe for Telecom Operators?). « Google gagne des milliards de dollars grâce à la publicité et ne paie pas un cent, poursuit-il. Je pense que c’est le business model le plus brillant qu’on ait jamais imaginé ».
Mark Zuckerberg était donc à Barcelone pour défendre son projet Internet.org, un partenariat mondial entre plusieurs entreprises : Facebook, Samsung, Ericsson, MediaTek, Nokia, Opera Software et Qualcomm et de nombreux opérateurs. Le but annoncé de ce partenariat est « de favoriser l’accès à Internet pour tous et surtout dans les pays en développement ». Ce projet Internet.org a été lancé en août 2013 par Mark Zuckerberg lui-même. De manière plutôt ingénue, l’homme au polo gris qui semble toujours avoir un train à prendre a réexpliqué l’importance d’Internet des réseaux sociaux : « les gens veulent rester en contact avec leurs familles et leurs amis ». C’est aussi simple que ça. Sauf que la moitié de la population mondiale n’a pas encore d’accès à Internet. D’où cette association entre Facebook qui sert de service de base et crée ainsi le besoin d’être connecté et de consommer des services supplémentaires dont bénéficieront les opérateurs qui mettent en place l’infrastructure nécessaire à cette connectivité. A ce jour, Internet.org a ouvert des services dans plusieurs pays d’Afrique (Zambie, Tanzanie, Kenya, Ghana), d’Amérique Latine (Colombie, Paraguay) et d’Asie (Inde).
Avec l’idée que, une fois connectés, les nouveaux internautes consommeront plus de données et donc entreront dans un modèle de service payant dont tireront profit les opérateurs. « Car cette connectivité n’est pas gratuite, il faut payer pour l’infrastructure, les licences des spectres, les coûts opérationnels, a rappelé Jon Fredrik Baksaas, and President & CEO de Telenor (et aussi Chairman de GSMA) (…). C’est là où on touche le point délicat de la répartition de la valeur ajoutée dans le développement de cette nouvelle activité ». Le patron de Telenor a parlé d’un partenariat qui devient plus raisonnable indiquant une prise de conscience de Facebook. Mario Zanotti, SVP de Millicom, ne se plaint pas de ce partenariat qui a permis d’augmenter les revenus de 35 % au Paraguay grâce à la mise en place de la mécanique attendue selon laquelle les internautes consomment plus de données et prennent donc des forfaits payants. Interrogé sur le rôle de Facebook, Christian De Faria, CEO d’Airtel Afrique, a utilisé l’expression de “la Belle et la Bête”, la Belle pour la capitalization boursière et l’esprit d’entreprise, la Bête pour la proposition de valeur.
« Pourquoi sommes-nous préoccupés par ce projet ? “C’est notre mission de le faire et nous voulons que les gens soient connectés” expliquait Mark Zuckerberg simplement. Mais n’y-a-t-il pas là une certaine équivoque dans la mesure ou Facebook ou Google se considèrent comme investi d’une mission de service public alors qu’elles sont des sociétés commerciales dont l’objectif est classiquement de maximiser les profits. La question est de savoir si elles accaparent une part raisonnable de la chaîne de valeur ou si leur situation leur permet d’en accaparer une portion plus importante.