Le colossal projet Stargate de giga-datacenters dédiés à l’IA prend corps plus rapidement qu’attendu. Après les récents accords avec Oracle et Nvidia, OpenAI confirme cette semaine cinq nouveaux sites qui accueilleront les datacenters du projet Stargate et seront opérationnels d’ici 2028.
Ces derniers jours, OpenAI a multiplié les annonces spectaculaires. Il y a d’abord eu début septembre un accord colossal avec Oracle Cloud. Ce dernier représente un investissement de plus de 300 milliards de dollars sur cinq ans, avec pour objectif de bâtir jusqu’à 4,5 gigawatts de capacité supplémentaire. Puis, en début de semaine, la jeune pousse scellait un partenariat stratégique avec Nvidia, ce dernier investissant 100 milliards de dollars dans la startup, destiné à sécuriser la fourniture et le déploiement des millions de GPU de nouvelle génération pour ses futures infrastructures.
Des chiffres qui donnent le vertige mais s’inscrivent tous dans une vision plus large : le projet Stargate.
Lancé en janvier 2025 en présence de Donald Trump, ce programme vise à ériger une constellation (essentiellement américaine) de datacenters hyperscale, capables d’alimenter la prochaine génération d’intelligence artificielle. Son budget initial de 500 milliards de dollars pourrait même être dépassé, tant l’ambition est immense.
Stargate : une alliance de géants
Stargate n’est pas seulement l’affaire d’OpenAI. Oracle joue un rôle central en fournissant l’infrastructure cloud et en supervisant plusieurs sites, dont le campus phare d’Abilene, au Texas. SoftBank, de son côté, apporte son expertise en conception de datacenters et en énergie, tout en assumant une partie non négligeable de la responsabilité financière. Le fonds MGX et d’autres investisseurs complètent le consortium.
Pour justifier ce projet titanesque, Sam Altman, CEO d’OpenAI explique que « l’IA ne peut tenir ses promesses que si nous construisons la puissance de calcul nécessaire. Cette puissance est la clé pour que chacun puisse bénéficier de l’IA et pour débloquer les percées de demain ».
Cinq nouveaux datacenters pour franchir un cap
Jugé totalement utopique et irréalisable par certains, voire une simple esbroufe par d’autres (dont Elon Musk), le projet semble étrangement se concrétiser selon le calendrier annoncé. Et une nouvelle étape vient d’être franchie cette semaine avec une nouvelle annonce officialisant l’ouverture de cinq nouveaux sites aux États-Unis.
Trois d’entre eux seront développés avec Oracle : Shackelford County au Texas, Doña Ana County au Nouveau-Mexique, et un site encore tenu secret dans le Midwest. À cela s’ajoute une extension de 600 mégawatts près d’Abilene, déjà en construction.
Deux autres sites, portés par SoftBank, viendront compléter l’ensemble : Lordstown, dans l’Ohio, où un datacenter de nouvelle génération doit entrer en service dès l’an prochain, et Milam County, au Texas, développé avec SB Energy pour accélérer la mise en place d’infrastructures énergétiques adaptées.
Avec ces ajouts, le projet Stargate atteindra près de 7 gigawatts de capacité planifiée et plus de 400 milliards de dollars d’investissements engagés sur trois ans. L’objectif de 10 gigawatts et 500 milliards de dollars d’ici fin 2025 semble étonnamment à portée de main, voire en avance sur le calendrier. Troublant.
Une bulle prête à exploser
Derrière l’enthousiasme et les milliards alignés, certains observateurs redoutent déjà l’effet bulle spéculative prête à faire « boom ». Les comparaisons avec l’explosion de la bulle Internet en 2000 reviennent de plus en plus régulièrement dans les discussions : investissements colossaux, promesses de croissance illimitée, et course effrénée à la taille qui semble parfois déconnectée des usages réels. Comme le résume un analyste américain, « nous assistons à une inflation de chiffres qui défie la rationalité économique ».
L’hypothèse d’une bulle n’est pas dénuée de fondement. Les coûts énergétiques, la dépendance à une poignée de fournisseurs de GPU, et l’incertitude sur la monétisation massive de l’IA générative posent de vraies questions de soutenabilité. Si les revenus ne suivent pas le rythme des investissements, le choc pourrait être brutal : faillites en cascade de projets trop ambitieux, consolidation forcée du secteur, et une perte de confiance des investisseurs comparable à celle qui avait frappé les startups du web au début des années 2000.
Mais la comparaison a ses limites. Contrairement à l’Internet balbutiant de l’époque, l’IA est déjà très intégrée dans des usages concrets, de la santé à la cybersécurité, en passant par la productivité bureautique. Une crise éventuelle ne détruirait pas l’écosystème IA, mais elle pourrait ralentir drastiquement le rythme des investissements et forcer les acteurs à privilégier la rentabilité à court terme plutôt que la vision à long terme. Et, oui, certaines startups – à commencer par OpenAI – pourraient y laisser plus que quelques plumes. Néanmoins, Nvidia, Oracle et SoftBank sont des piliers plutôt solides avec des visions sur le très long terme que des fonds traditionnels n’ont pas toujours.
L’Europe en quête de son propre modèle
Face à l’emballement américain et au projet Stargate, l’Europe cherche à tracer sa propre voie, en privilégiant la souveraineté numérique plutôt que la démesure financière.
L’Union européenne a annoncé cette année des initiatives majeures pour ne pas être laissée pour compte. Sous l’égide de l’EuroHPC Joint Undertaking, elle déploie un réseau de « fermes d’IA » (AI-Factories) et de « giga-usines d’IA », des centres de données qui se veulent les équivalents européens des infrastructures américaines.
Pour ce faire, Bruxelles a annoncé un investissement de 30 milliards d’euros, incluant 10 milliards pour la construction d’une quinzaine de centres de données et 20 milliards supplémentaires pour l’établissement de cinq « giga-usines » capables d’héberger plus de 100 000 processeurs IA.
L’état d’avancement de ces projets est bien réel : plusieurs sites ont déjà été sélectionnés pour accueillir ces usines, notamment en France, en Allemagne, en Italie et dans une seconde vague en Autriche, Bulgarie, Pologne et Slovénie. La roadmap prévoit l’ouverture de 15 AI Factories pleinement opérationnelles d’ici la fin 2026 ainsi que des « antennes » adossées à des supercalculateurs actuels et optimisées pour l’IA. En France, des supercalculateurs comme Alice Recoque ou Joliot-Curie seront au cœur de cette stratégie. Et certaines « AI Factories » sont déjà opérationnelles. La plus importante n’est autre que la « JAIF » basée sur le « booster cluster » du HPC exaflopique Jupiter en Allemagne. Mais Meluxina-AI (Luxembourg), MIMER (Suède), LUMI AIF (Finlande), BSC AIF (Espagne) sont déjà opérationnels et accessibles aux chercheurs IA européens.
Contrairement au modèle américain, qui repose sur une alliance de géants privés, l’approche européenne se fonde sur des partenariats public-privé et une vision de l’IA axée sur l’éthique et la régulation. L’objectif est de créer un écosystème robuste et sécurisé, au service des besoins de l’ensemble du continent. Et, le programme monte en puissance avec un calendrier clair. Reste bien évidemment à lever les verrous européens : aligner les prétentions de chaque pays, le coût de l’électricité, l’accès aux GPU dans un marché sous tension, les délais d’obtention de puissance et de connectivité… Des défis qui conditionneront la réalité des mises en service face à la cadence de projets types Stargate.
Mais pourquoi tant de projets, tant d’investissement ? Parce qu’à l’instar de Sam Altman, tout le monde a désormais bien conscience que « celui qui contrôle la puissance de calcul contrôle l’avenir de l’IA ».