Hyperscalers, edge et open source redessinent la carte de l’IA. Le futur ne se joue plus uniquement dans le cloud, mais dans des architectures composables et souveraines.
L’intelligence artificielle entre dans sa phase d’industrialisation et un bouleversement discret mais stratégique s’opère : les fondations technologiques sur lesquelles elle repose sont en train de changer. Longtemps dominée par les hyperscalers, l’infrastructure IA évolue désormais vers des modèles plus hybrides, interopérables, transparents et souverains.
La dépendance aux hyperscalers montre ses limites
Le modèle de l’IA « full cloud », centralisée, 100 % dépendante d’un fournisseur unique (le plus souvent américain), a atteint ses limites. Coût, latence, souveraineté, conformité : les entreprises les plus matures en matière d’IA sont aussi celles qui prennent du recul et questionnent les modèles existants. Le rapport “2025 AI Maturity Report: Navigating the Path to AI Success » révèle que les organisations les plus avancées (« transformational ») sont 42 % plus nombreuses à opter pour des déploiements sur site, en edge computing, ou via des clouds alternatifs. Pourquoi ? Parce qu’un modèle agile et scalable ne peut pas reposer sur une infrastructure monolithique, opaque et externalisée.
L’essor de l’open source et des alternatives souveraines
Le basculement que nous observons est profond. Plus qu’une évolution de l’infrastructure physique vers de nouvelles architectures plus performantes, c’est une réinvention des modèles d’IA eux-mêmes. Historiquement, les Large Language Models (LLM) propriétaires, développés par des géants de la technologie tels qu’OpenAI ou Google, ont dominé le marché, particulièrement lors des phases d’amorçage et de prototypage. Leur puissance brute et leur facilité d’accès en ont fait des outils de choix pour de nombreuses entreprises souhaitant explorer les capacités de l’IA générative.
Cependant, le rapport met en lumière une tendance de fond : la montée en puissance des modèles open source. Des acteurs comme Mistral, LLaMA ou Falcon proposent des alternatives robustes et flexibles. Ces solutions offrent aux entreprises un éventail d’avantages stratégiques. Premièrement, elles garantissent un contrôle accru sur les données et les processus d’IA, une préoccupation majeure pour les entreprises soumises à des réglementations strictes. Deuxièmement, ces modèles mettent l’accent sur la traçabilité ce qui permet une meilleure compréhension des décisions prises par l’IA et facilite les audits. Troisièmement, le fine-tuning interne représente un avantage considérable. Il permet aux entreprises d’adapter les modèles d’IA à leurs besoins spécifiques, en utilisant leurs propres données et leur vocabulaire métier. Cela optimise la pertinence et l’efficacité des applications d’IA. Enfin, et c’est un point crucial, ces modèles open source se caractérisent par une diminution significative des coûts d’inférence, ce qui rend leur déploiement à grande échelle économiquement accessible à un plus grand nombre d’organisations.
Les champions de l’IA de demain ne seront pas nécessairement ceux qui investissent le plus dans l’achat de modèles « prêts à l’emploi », mais plutôt ceux qui feront preuve d’ingéniosité et de stratégie. Leur succès résidera dans leur capacité à sélectionner, adapter et affiner intelligemment les modèles d’IA, qu’ils soient propriétaires ou open source, pour les intégrer de manière harmonieuse et performante à leurs processus métier.
Vers des architectures composables, locales et pilotables
L’avenir de l’IA industrielle s’écrit sous le signe de l’architecture composable. Le rapport souligne l’importance croissante d’un écosystème modulaire : capacité à changer de LLM sans tout reconfigurer, interopérabilité entre les briques cloud et on-prem, orchestration unifiée des flux de données… Les leaders IA mettent en place des chaînes de valeur distribuées, capables d’allier performances, résilience et maîtrise.
C’est dans cette logique que les déploiements en edge computing se multiplient, offrant des avantages décisifs pour l’IA. Cette approche permet un traitement local des données sensibles, réduisant ainsi drastiquement la latence et améliorant la gouvernance des informations. Pour des secteurs d’activité aussi critiques que la santé, la défense, la banque ou l’industrie, l’IA ne peut plus dépendre exclusivement d’un cloud distant. En effet, un cloud centralisé et éloigné présente des fragilités juridiques non négligeables, notamment en termes de souveraineté des données et de conformité réglementaire. De surcroît, sa consommation énergétique est souvent prohibitive, ce qui contredit les impératifs de durabilité actuels. Le edge computing apparaît donc comme une réponse stratégique pour concilier performance, sécurité et responsabilité environnementale dans le déploiement des solutions d’IA.
Reprendre le contrôle de l’infrastructure IA, une urgence stratégique
Ce mouvement vers une IA plus souveraine, plus modulaire, plus maîtrisable n’est pas idéologique : il est économique, technique et stratégique. Reprendre la main sur ses infrastructures, c’est réduire la dépendance, optimiser les coûts, renforcer la sécurité et bâtir une IA alignée sur ses propres contraintes. Ce n’est pas un luxe pour demain, c’est une condition de compétitivité dès aujourd’hui.
Il ne s’agit pas de sortir totalement du cloud — mais de choisir les bonnes briques, au bon endroit, avec les bons partenaires. En d’autres termes : l’enjeu n’est plus de faire tourner des modèles IA puissants, mais de construire une architecture IA intelligente.
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Par Kevin Cochrane, CMO de Vultr