Le 28 janvier dernier, Axelle Lemaire, Secrétaire d’Etat au Numérique, a saisi l’Arcep pour dresser un état des lieux du déploiement de l’IPv6 en France. En effet, ce protocole IP tarde à se mettre en place pour remplacer l’IPv4. Quelles sont les raisons de ce retard ? En quoi consiste concrètement l’IPv6 et quels seraient ses bénéfices ? Comment ce système pourrait-il techniquement se mettre en place ?
L’IPv6, une avancée bénéfique pour les entreprises
Dans le cadre des réseaux VPN-MPLS (Réseau privé multi-sites), l’IPv6 est une avancée majeure. D’un côté, elle permet un adressage homogène de tous les équipements de chaque site, sans problématique de NAT (translation d’adresse). De l’autre, elle permet à deux réseaux hétérogènes de communiquer sans risque de conflit d’adressage dans le cadre d’interconnexion des SI entre entreprises, comme c’est le cas par exemple dans un partenariat fort, un rachat ou une fusion. Avec l’IPv6, une entreprise peut facilement obtenir son propre plan d’adressage auprès du RIPE (pour l’Europe). Cela lui permet de pouvoir changer d’opérateur Internet, voire d’en avoir plusieurs, et surtout, de ne plus avoir à faire de migration lourde à chaque changement.
Par ailleurs, le développement de l’internet des objets multiplie le nombre d’équipements devant avoir leur propre IP. Seule l’IPv6 est capable de répondre à ce besoin exponentiel.
La méconnaissance et la méfiance des DSI
Avec l’évolution actuelle des réseaux, la migration à l’IPv6 est inévitable. Néanmoins, beaucoup de DSI ne voient pas d’intérêt à la migration, car celle-ci implique un changement sur un réseau fonctionnel. Le basculement du réseau IPv4 en IPv4+IPv6 implique un investissement important en termes de temps et d’argent. A l’échelle d’une petite entreprise, le coût reste négligeable, mais le basculement d’une enseigne avec plusieurs centaines de magasins nécessite un investissement beaucoup plus significatif. Par conséquent, les DSI, qui gèrent le « day to day », ont tendance à repousser cette migration, par manque de temps, de moyens humains et financiers.
De plus, la migration apporte des inconnues : en effet, il s’agit d’un sujet qui reste encore assez méconnu des équipes techniques. Cette méconnaissance est aussi liée à un problème de formation ; l’IPv6 n’étant pas suffisamment enseigné dans les écoles.
Un manque de volonté des acteurs du secteur
Il manque clairement un lobbying fort de la part des équipementiers et des opérateurs télécoms pour mettre en avant l’IPv6. Cela vient notamment du fait que certains acteurs, contrairement aux recommandations du RIPE, gagnent de l’argent à vendre des adresses IPv4. En effet, cela ne serait pas possible avec les plans d’adressage IPv6 car elles seront en nombre suffisant.
Une fois le changement fait, il sera nécessaire que tous les équipements techniques soient compatibles IPv6, ce qui n’est pas encore suffisamment le cas. L’adaptation d’équipements compatibles au réseau nécessite un investissement supplémentaire non négligeable.
Mettre en place un changement progressif et transparent
Contrairement à l’Asie, où l’IPv6 est devenue la norme, les Etats-Unis et l’Europe restent à la traîne au niveau de son déploiement. Les leaders du marché doivent donc procéder à un travail d’évangélisation auprès des acteurs du secteur sur ce sujet et proposer des solutions à base d’IPv6 et non plus d’IPv4. C’est en agissant ainsi que les clients prendront conscience de l’importance d’effectuer cette migration. Les opérateurs à forte valeur ajoutée doivent accompagner leurs clients afin de les rassurer et de les accompagner dans cette transition. Pour cela, un mode projet pourrait être adopté pour lister les actions à mener, les investissements à réaliser et le timing de déploiement.
Même si cette migration a un coût, il est nécessaire d’y penser rapidement afin de pouvoir fournir dès demain tous les services en convergence IP qui seront demandés par les pôles des entreprises et leurs clients. Il ne s’agit pas de basculer du jour au lendemain, mais de programmer un changement progressif et transparent pour les utilisateurs. Les entreprises pourraient tout à fait intégrer l’IPv6 lors de leur prochaine migration IP ou de leur prochain changement d’opérateur afin de mutualiser les coûts et réduire l’impact du changement, aussi bien technique que financier. Les deux technologies IPv4 et IPv6 pourront continuer à coexister encore pendant de nombreuses années. Cela signifie par exemple qu’un site Web natif IPv6 pourra rester consultable par un internaute resté à l’ancien protocole, ou inversement.
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Guillaume Genty est Directeur Technique Adjoint Waycom