31 % : le capital-risque ne représente plus qu’un tiers des montants levés par la French Tech au 1er semestre 2025 selon la dernière étude Y Ventures… Et oui, c’est inquiétant.
C’est le chiffre qui résume le tournant en cours. Au premier trimestre 2025, le Venture Capital ne pèse plus que 31 % de la valeur des tours de table en France, contre 56 % un an plus tôt ! La Startup Nation tourne au ralenti. Les investissements dans l’univers des startup connaissent un net basculement vers des financements Growth et Private Equity : l’heure est au passage à l’échelle rentable, à la discipline financière et à la consolidation, plus qu’aux paris démesurés. Le coût du capital, la volatilité géopolitique et la pression sur la création de valeur ont réorienté les arbitrages en 2025 : priorité à l’industrialisation, à sécuriser la chaîne logicielle, à rationaliser les coûts cloud et à intégrer l’IA là où elle améliore réellement la productivité.
Ainsi, la nouvelle étude semestrielle de Y Ventures sur le M&A et le financement de la tech française (2022 – 2025) décrit un marché en recomposition profonde. Depuis 2022, 2 150 exits ont été recensés, dont 239 avec valeur communiquée pour un total de 49 milliards d’euros, et 7 193 levées de fonds, dont 4 410 chiffrées, cumulant 39 milliards d’euros. Derrière ces volumes, la photographie 2025 nuance le récit du « retour à la normale ».
Fusion-Acquisition (M&A) : volumes en retrait, valeur en rebond
Côté M&A, le premier semestre orchestre un paradoxe : 257 exits, soit –13 % par rapport au semestre précédent et l’un des niveaux les plus bas depuis 2022, mais une valeur agrégée en hausse de 33 %.
Trois méga-opérations y ont largement contribué : la cession d’Exclusive Networks (2,2 Mds€), la vente d’Esker (1,6 Md€) et l’opération sur Opcore (~0,4 Md€). Autrement dit, dans un environnement plus sélectif, acheteurs stratégiques et fonds restent capables de se positionner sur des cibles significatives, actant le « premier rebond en valeur depuis deux ans ».
La montée en gamme est tangible. Les transactions concernent de plus en plus des entreprises ou projets de grande valeur. Les entreprises de logiciels et de services informatiques représentent désormais plus de 60 % du volume total des opérations, et la majorité des grosses transactions. Les très grosses opérations (large cap) représentent 11 % des sorties en 2025, contre seulement 4 % en 2022. Preuve que les gros deals sont plus fréquents en 2025.
À l’inverse, certains segments reculent brutalement : la valeur des transactions en Healthcare & MedTech s’effondre de 86 % par rapport au second semestre 2024, tandis que la FinTech enregistre la plus forte baisse en volume (–70 %).
La répartition des acquéreurs reste stable — 61 % d’industriels et 39 % de fonds — mais tous subissent la contraction des volumes, dans un contexte marqué par un financement plus coûteux et des risques politiques accrus.
Financements : une transition vers la maturité ?
Sur le financement, H1 2025 ressemble à une année charnière. Avec 629 tours pour 3,0 milliards d’euros, la France recule de 10 % en volume et de 26 % en valeur par rapport à H2 2024. Cependant le marché se recompose plutôt qu’il ne s’effondre : les petits tickets (<5 M€) progressent en moyenne de 6 % et les tours intermédiaires (5–50 M€) de 8 %, tandis que les levées à plus de 50 Millions d’euros chutent de 43 %.
Pour les jeunes entrepreneurs, le climat 2025 se traduit donc par des interlocuteurs investisseurs plus exigeants sur la rentabilité unitaire, la trajectoire de marge, la gouvernance des données et les roadmaps IA crédibles — loin des promesses générales, place aux ROI mesurables.
La comparaison européenne éclaire le positionnement hexagonal. En volume, la France résiste bien (–10 % contre –44 % pour l’Europe). En valeur, elle sous-performe (–26 % contre –12 %), confirmant une dynamique d’opérations plus nombreuses mais plus petites. Ce différentiel impose aux directions technologiques un double impératif : sécuriser les bases (coûts, cybersécurité, fiabilité) tout en préparant des plateformes capables d’absorber des croissances externes puisque la consolidation s’accélère par le haut.
Sectoriellement, l’Industrial & Engineering Tech tire son épingle du jeu avec +45 % en valeur, portée par de grandes levées comme Loft Orbital (170 M€) et Sipearl (130 M€).
La FinTech (+23 %) et la HealthTech (+22 %) restent dynamiques malgré les vents contraires.
La Greentech ralentit nettement (–59 %), reflet d’une concentration du capital sur un plus petit nombre de projets industriels matures.
L’IA, star de 2024 avec des tours records à plus de 500 M€ (Mistral AI, Poolside AI), demeure présente en 2025 mais à des niveaux plus sobres : Nabla (61 M€), Veesion (53 M€), Bioptimus (41 M€). On peut y lire un message sous-jacent : l’IA doit désormais prouver son effet sur la productivité et la fiabilité applicative, pas seulement sa capacité à lever.
Un paysage French Tech marqué par l’inquiétude
Au-delà des chiffres, l’angle stratégique se précise. L’écosystème français privilégie des entreprises plus matures, rentables, et des modèles orientés produits industriels et technologies exportables. Les feuilles de route IT doivent s’aligner : modernisation applicative, automatisation des opérations, optimisation cloud, sécurité by-design, et intégration raisonnée des modèles d’IA au service des métiers. La consolidation M&A, en particulier dans le software et les services IT, impose aussi une intégration technique sans couture : rationalisation des stacks, convergence des données, et gouvernance renforcée pour accélérer la réalisation des synergies.
Y Ventures résume ce changement de phase : « La baisse des volumes masque un mouvement de fond vers la montée en puissance des opérations de grande taille et un renforcement de la sélectivité des investisseurs. Le rebond en valeur observé en M&A témoigne de la résilience du secteur face à un contexte incertain, tandis que la réallocation des capitaux dans le financement illustre une maturation de l’écosystème, désormais orienté vers des modèles industriels et technologiques capables de soutenir la prochaine phase de croissance. »
Après l’ère des licornes, voici venue pour la French Tech l’heure des chevaux de trait technologiques.