Une faille chez un fournisseur, et c’est toute la chaîne qui s’effondre. À l’heure des plateformes partagées, du cloud et de la dépendance technologique, chaque maillon devient un point d’entrée pour les cybercriminels. Les entreprises doivent apprendre à bâtir leur résilience numérique comme une architecture vivante, fondée sur la vigilance, la transparence et la confiance partagée avec leurs partenaires.
Dans un monde où la moindre faille peut paralyser une chaîne entière, la cybersécurité n’est plus une option : c’est un impératif stratégique. Les entreprises évoluent dans un écosystème numérique complexe, fondé sur l’interconnexion : plateformes partagées, services cloud, infrastructures distribuées, applications interopérables. Cette interdépendance, moteur d’efficacité et d’innovation, crée aussi un maillage de vulnérabilités dont les conséquences peuvent être systémiques.
La cybersécurité ne peut plus se limiter au périmètre d’une organisation. Elle doit intégrer la gestion du risque fournisseur, car la solidité d’une entreprise repose désormais sur celle de ses partenaires technologiques. Un incident chez un prestataire, une faille logicielle, un accès privilégié mal protégé peuvent se répercuter immédiatement sur la chaîne entière : perte de données, interruption d’activité, atteinte à la réputation.
Le phénomène de dépendance technologique (vendor lock-in) illustre ce défi. Lorsqu’une entreprise ne dispose pas d’alternatives viables à un fournisseur ou à une technologie, elle s’expose à ses faiblesses et à ses choix. La relation doit donc être encadrée par des plans de continuité et des clauses contractuelles de sécurité, garantissant la reprise rapide des opérations en cas de défaillance. Cette dépendance crée un terrain fertile pour les cyberattaques, car chaque maillon devient une cible potentielle.
Les cybercriminels savent exploiter ces interdépendances. En compromettant un prestataire cloud, un fournisseur de logiciels ou un partenaire logistique, ils peuvent accéder à des cibles de plus grande valeur. Les attaques par usurpation, la compromission d’identifiants ou les malwares dissimulés dans des services tiers sont autant de portes d’entrée vers les systèmes critiques des organisations.
Une gouvernance rigoureuse du risque fournisseur s’impose
Face à ces menaces, la gestion du risque de la chaîne d’approvisionnement doit être structurée autour de trois piliers :
* Détection précoce des vulnérabilités,
* Gestion et mitigation des risques identifiés,
* Réponse coordonnée en cas d’incident.
Cette approche n’est plus seulement une bonne pratique : elle est désormais une obligation réglementaire.
Des réglementations qui changent la donne : NIS2 et DORA
La directive européenne NIS2, entrée en vigueur le 16 janvier 2023, impose aux organisations de renforcer la gestion du risque tiers, d’exiger des fournisseurs qu’ils respectent des standards de cybersécurité équivalents, et de prévoir des mécanismes de supervision et de signalement des incidents tout au long de la chaîne.
Le règlement DORA (Digital Operational Resilience Act), applicable à partir du 17 janvier 2025, va plus loin pour le secteur financier. Il introduit une obligation de résilience numérique intégrée (trust by design) et impose aux banques, assureurs et prestataires technologiques de démontrer leur capacité à résister, répondre et se rétablir face aux incidents informatiques. DORA harmonise les exigences à l’échelle européenne et rend la cybersécurité auditable, mesurable et contractuelle, notamment pour les prestataires cloud et data.
Ces réglementations ne sont pas de simples contraintes : elles constituent une opportunité pour instaurer une culture de résilience et de confiance numérique.
Des priorités claires pour les CISO et CRO
Pour les responsables de la sécurité et du risque, la résilience numérique passe par des actions concrètes et coordonnées. Les priorités s’articulent autour de cinq axes essentiels :
* Maîtrise des identités et des accès : garantir que seuls les utilisateurs autorisés disposent des droits appropriés, en appliquant des politiques strictes de gestion des identités et des privilèges.
* Inventaire précis des actifs : disposer d’une cartographie exhaustive des systèmes, applications et données critiques afin d’anticiper les points de vulnérabilité.
* Surveillance continue : mettre en place des mécanismes de monitoring en temps réel pour détecter les anomalies et prévenir les incidents avant qu’ils ne se propagent.
* Tests de résilience (type red teaming) : simuler des attaques sophistiquées pour évaluer la robustesse des défenses et identifier les failles potentielles.
* Certification des fournisseurs critiques : exiger des preuves tangibles de conformité et de sécurité pour tous les partenaires stratégiques, notamment ceux qui gèrent des services cloud ou des données sensibles.
Cette approche globale doit être systématique, fondée sur des processus, des indicateurs et des bonnes pratiques, mais aussi systémique, en intégrant chaque fournisseur dans une vision d’ensemble du risque numérique. L’objectif : créer un écosystème résilient où la confiance et la sécurité sont partagées à tous les niveaux.
Une responsabilité partagée et un enjeu de souveraineté
À l’heure où la frontière entre le monde physique et le numérique s’efface, dans l’énergie, les transports, les infrastructures ou la défense, la cybersécurité de la chaîne d’approvisionnement devient un enjeu de souveraineté et de confiance collective.
Dans cet environnement interconnecté, lorsqu’un maillon cède, c’est toute la chaîne qui vacille.
Assurer sa solidité n’est plus une option : c’est une responsabilité partagée entre entreprises, fournisseurs et pouvoirs publics. Et c’est aussi un avantage compétitif pour ceux qui sauront en faire une priorité.
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Par Ramses Gallego, Chief Technologist, Cybersecurity, DXC





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