Le sujet a gagné en visibilité et en audience grâce à la conférence NetMundial organisée par le Brésil la semaine dernière. Continuons à nous impliquer pour que la France et l’Europe trouvent leur place dans ce débat.
La gouvernance d’Internet regroupe des concepts et des acteurs tellement variés que ce sujet est longtemps resté technique et obscur. De fait il englobe des enjeux à fois économiques, politiques, sociaux et techniques et des acteurs très divers : secteur privé, société civile, associations, États, organismes divers ayant des statuts hybrides. Chacun ayant des intérêts qui lui sont propres, le sujet a donné lieu à beaucoup de cacophonie et n’a pas encore atteint le grand public qui ne perçoit pas l’impact de la gouvernance d’Internet dans sa vie de tous les jours.
1. Faire-savoir. Pour que le sujet et ses enjeux soient bien compris il faut le vulgariser et ne pas le laisser aux mains des techniciens et des juristes.
Le besoin d’évangélisation du sujet est grand : trop peu de citoyens ont conscience que la gouvernance d’Internet les concerne et que cette question reste à la portée de tous. Simplification, approche pédagogique et surtout compréhension des enjeux sont les priorités. Par ailleurs, de nombreuses remarques reviennent régulièrement sur le peu d’intérêt de la classe politique pour la Gouvernance d’Internet, certainement le reflet de la faible préoccupation des citoyens eux-mêmes. La non présence de politiques au Forum de la Gouvernance Internet, organisé le 10 Mars 2014 Paris, en est un exemple. Si l’appareil politique français, mais aussi européen, doit se saisir de ce sujet, il se doit de contribuer au faire-savoir et à la sensibilisation de la population aux enjeux qui les touchent : la protection des données et la neutralité du Net notamment. La présence de la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, à la conférence NetMundial d’Avril 2014 va dans le bon sens et doit initier le début d’une implication des politiques français dans les débats.
L’exemple de l’ICANN et des noms de domaine : comment une question technique a un impact business majeur
Sans entrer dans les détails rappelons seulement que l’ICANN est une société américaine qui gère les noms de domaine « .com » et « .net ». Elle délègue à l’AFNIC (Association loi 1901) la gestion des « .fr ». Jusqu’à présent l’ICANN était une société américaine contrôlée par le Département du Commerce américain et ce contrôle l’empêchait de jouer son rôle de régulateur. C’est pourquoi la multi-gouvernance de l’ICANN a souvent été demandée.
Le rapport entre noms de domaine, gestion des adresses IP, business et compétitivité n’est pas évident au premier coup d’œil. Quand une entreprise ou un particulier veut créer un site web et enregistrer un nom de domaine il ne voit pas en quoi le fait qu’il soit géré par l’ICANN, l’AFNIC ou Tartempion est important. Ce qui compte c’est que le nom de domaine soit libre et que la personne, publique ou privée, puisse diffuser du contenu important pour elle via son site web. Les enjeux deviennent beaucoup plus palpables dès que l’on parle des noms de domaine de second niveau dont l’impact sur une profession peut être retentissant comme par exemples les « .vin », « .archi » ou même ou « .XXX » (pornographie). « Jusqu’à présent, les règles étaient édictées, dans des salles obscures et fermées, par des informaticiens qui n’avaient pas forcément réalisé que les décisions de l’ICANN prises lors d’une réunion technique en Californie pouvaient avoir un immense impact, par exemple, sur les producteurs de vins en Australie », comme la secrétaire d’Etat au Numérique Axelle Lemaire l’a rappelé le 25/04/2014.
Changement majeur, les Etats-Unis ont annoncé en Mars 2014 qu’ils allaient abandonner le contrôle de cette société. L’ICANN va changer de statut en 2015 pour devenir une société gérée par plusieurs pays et dont le siège ne sera plus en Californie mais très probablement en Suisse. C’est un premier pas important et il faut continuer dans cette lancée.
2. Pour être considéré, il faut peser
Autant il est facile de prendre part au débat, autant il est difficile de faire évoluer le modèle actuel qui défend différents intérêts. Alors comment faire poids ? Parmi les pistes les plus significatives il y a : les puissances économiques, l’essor d’un nouveau marché tel que l’Internet des Objets, la francophonie, et la loi comme principe inaliénable auquel personne, qu’il s’agisse d’une entité morale ou physique, ne peut se soustraire.
Premier élément notoire, les véritables avancées sur le sujet n’ont jamais lieu lors des rencontres internationales — comme les Governance Internet Forum (GIF ou FGI en français), les EGENI, les SMSI et autres — mais plutôt lorsque les puissances économiques ont protesté. Malheureusement, ces puissances économiques sont aujourd’hui sans exception américaines : les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), auxquels on peut encore ajouter Microsoft et Yahoo! C’est pourquoi si la France veut aussi jouer un rôle politique, elle doit s’appuyer sur sa propre économie numérique. Criteo représente un bon exemple qu’il faut dupliquer. L’Internet des Objets incarne l’espoir que les entreprises françaises, championnes dans leurs domaines, seront les leaders mondiaux d’ici 2020. En ayant un poids majeur dans l’économie numérique mondiale, la France réussira à peser dans la géopolitique d’Internet. L’Europe est une voie évidente pour peser dans les négociations internationales et la francophonie (77 Etats et gouvernements) est une piste à explorer aussi. Sur Internet, la langue est un ciment – ciment qui manque actuellement à l’Europe. Pour autant la France et l’Europe peuvent contribuer à réduire la fracture numérique au niveau mondial (francophone, hispanophone et anglophone).
3. Repenser la gouvernance d’internet dans son ensemble.
Afin de jouer un rôle à la fois fort et pérenne pour la France et pour l’Europe, il faut définir un modèle alternatif défendu par les différents acteurs (Etats, secteur privé, associations, organismes de normalisation, mouvement citoyen, etc._), car les discussions se multiplient mais n’aboutissent pas toujours à des propositions et des actions concrètes.
L’exemple du Brésil et de l’adoption d’une Constitution de l’Internet le 23 Avril 2014 est une piste intéressante. Cette loi fixe les droits et les devoirs des usagers des entreprises et des gouvernants, et est destinée à servir de référence La loi assure « la protection de la confidentialité de l’usager contre toute violation ou utilisation indue des données des internautes brésiliens ». Elle garantit également la liberté d’expression et la « neutralité ».
Cette loi brésilienne ne résout pourtant pas le problème de la gouvernance mais impose une régulation locale. En effet, le vrai régulateur d’Internet demeure le juge, car il est le seul à pouvoir punir localement, pouvant ordonner des publicités pouvant entacher l’e-réputation d’une entreprise, une véritable menace prise très au sérieux par les puissances économiques américaines car l’image d’une marque vaut bien plus qu’une amende même très lourde. Si nous voulons un « Internet pour tous » et rester cohérent, il faudra définir un modèle de gouvernance qui permette à des nations comme la Chine et la Russie de « gouverner » Internet dans leurs « frontières numériques » sans pour autant tomber dans une « balkanisation » d’Internet, régulièrement évoquée. Ainsi il faut bien noter la différence entre les notions de gouvernance d’Internet et gouvernance sur Internet : une gouvernance d’Internet unique au niveau mondial avec une gouvernance sur Internet plurielle selon les Etats.
4. Continuer à prendre part aux instances de gouvernance d’Internet…
L’ICANN représente certainement la partie émergée de l’iceberg qui monopolise constamment le débat et occulte les autres aspects de la problématique (W3C, ISOC, IETF, etc.). Donc il faut prendre part à la « gestion » de l’ICANN mais surtout ne pas oublier le W3C, l’ISOC, l’ONU, l’UNESCO et les autres_. Pour rappel, le problème de sécurité évoqué lors de l’affaire Snowden — tout comme la dernière faille Heartbleed — n’a strictement rien à voir avec l’ICANN qui n’adresse pas ces aspects techniques. Il conviendrait de s’interroger plutôt sur les instances de normalisation technique, leur gouvernance et l’efficacité de cette gouvernance.
La conférence NetMundial a été un jalon important. Le prochain rendez-vous est l’Internet Governance Forum (IGF) de Septembre prochain, en Turquie, qui veillera à la mise en œuvre des principes adoptés à Sao Paulo. La gouvernance d’Internet est un sujet certes complexe mais néanmoins fondamental, qui ne peut être convenablement adressé qu’avec le support de forces économiques mondiales. Le politique et le secteur privé doivent être alignés dans une stratégie commune. Ce que font les Etats-Unis depuis toujours. Charge à la France, à l’Europe ou pourquoi pas à la francophonie de prendre en compte les différents facteurs et faire évoluer la gouvernance d’Internet dans l’intérêt de tous.
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Cette contribution est portée par l’Institut G9+ avec la participation des associations d’anciens des grandes écoles et universités. L’Institut G9+, think tank du numérique, s’est de nouveau penché sur ce sujet en organisant le 10 avril 2014 une conférence sur ce sujet.