En soutenant officiellement la Fondation Matrix.org, la Direction interministérielle du numérique (DINUM) fait de la messagerie Tchap et du protocole Matrix des piliers de la communication sécurisée de l’État. Ce partenariat inédit, annoncé à Strasbourg lors de la conférence Matrix, démontre une nouvelle ambition de la DINUM pour imposer sa patte sur l’autonomie numérique de la France et de l’Europe.
La Direction interministérielle du numérique (DINUM), responsable de la stratégie numérique de l’État, franchit un cap symbolique dans la consolidation de la souveraineté numérique européenne. Après avoir entériné, en juillet 2025, le déploiement de Tchap comme messagerie officielle et sécurisée des administrations, elle devient le premier État à soutenir financièrement et institutionnellement la Fondation Matrix.org, à l’origine du protocole libre sur lequel repose ce service.
Ce geste s’inscrit dans une dynamique plus large d’indépendance vis-à-vis des technologies extra-européennes alors que les tensions géopolitiques bouleversent les stratégies de bien des DSI.
Matrix, protocole ouvert et décentralisé de messagerie instantanée, est déjà utilisé dans plusieurs pays du continent, dont la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne. En s’associant directement à sa gouvernance, la France entend garantir la pérennité d’un socle commun de communication sécurisé pour les services publics.
Investir dans un commun numérique stratégique
Le soutien de la DINUM ne se limite pas à un parrainage symbolique. L’administration s’engage à participer à la gouvernance du protocole, à financer le développement des briques logicielles communautaires et à favoriser l’investissement durable dans l’open source.
La démarche est louable et pleine de bon sens. Au point que l’on se demande pourquoi tous les européens n’y adhèrent pas et pourquoi la DINUM n’y a pas pensé plus tôt. « Cette démarche est un investissement de long terme dans un commun stratégique, au bénéfice de l’écosystème européen » justifie Stéphanie Schaer, directrice interministérielle du numérique. Selon elle, Matrix représente une « brique essentielle » pour construire des infrastructures de communication « souveraines et interopérables ».
Ce positionnement s’inscrit dans une vision plus large de l’État contributeur : plutôt que simple utilisateur de solutions libres, la DINUM agit comme acteur de leur maintenance et de leur gouvernance, un modèle encore bien trop rare à l’échelle européenne et qui pourrait pourtant aider l’Europe à imposer son autonomie numérique en s’appuyant sur l’écosystème open source.
Des contributions techniques déjà visibles
En parallèle, les équipes de la DINUM participent activement au développement du code source de Matrix. Elles ont notamment contribué à l’optimisation de l’algorithme “Sliding Sync”, améliorant la réactivité des applications clientes, et à la création d’une passerelle de sécurité (“border gateway”) facilitant les échanges entre organisations distinctes.
Ces avancées seront présentées lors de rendez-vous majeurs de l’open source, dont Open Source Experience (Paris, décembre 2025) et le FOSDEM (Bruxelles, février 2026).
Pour Amandine Le Pape, cofondatrice de la Fondation Matrix.org, cette alliance marque une reconnaissance institutionnelle du rôle des communs numériques : « Les biens communs ne peuvent rester pertinents que si ceux qui les utilisent les soutiennent activement. Le partenariat de la DINUM envoie un signal fort à l’Europe. »
Un signal politique pour l’Europe numérique
Le signal sera-t-il entendu ? Ce n’est pas évident. Certains pays européens restent très dépendants politiquement, technologiquement et économiquement des grands acteurs américains.
En soutenant un standard ouvert, la France choisit un modèle d’interopérabilité et de coopération européenne, à rebours des dépendances aux plateformes privées dominantes. L’annonce place également la DINUM dans une position d’influence sur la gouvernance du protocole Matrix, dont les orientations techniques pourraient à terme façonner les infrastructures de communication publique en Europe.
Alors d’autres États suivront-ils cet exemple ? Il faut l’espérer. Car pour que les communs numériques s’imposent comme alternative crédible aux solutions commerciales, le soutien public doit devenir véritablement collectif.