Personne n’aime les silos. Non seulement ils restreignent les flux d’informations qui conditionnent la bonne coordination des actions, mais plus encore, ils compliquent l’adaptation au changement. Rien d’étonnant donc que depuis plus de vingt ans, la volonté de « casser les silos » soit devenue un véritable mantra pour de nombreuses DSI. Mais plutôt que de chercher à les casser, ne serait-il pas préférable de s’organiser pour qu’ils communiquent finalement mieux entre eux ?
Généralement, l’entreprise se construit en créant, volontairement ou malgré elle, des silos de données (Data) aux origines diverses :
- silos structurels avec des applications spécifiques et optimisées pour des métiers définis,
- silos politiques avec des métiers pas toujours enclins à partager leurs données, car sources de connaissances et donc de pouvoir,
- silos de croissance entre filiales ou branches issues de différentes opérations financières, type rachats.
C’est pourquoi il est souvent très compliqué d’accéder à la donnée utile pour un besoin spécifique, alors que celle-ci représente LE levier concurrentiel de chaque entreprise pour créer de la valeur sur son marché. A l’ère du numérique, si on contrôle la Data, on contrôle son univers.
Un virage sans précédent dans l’organisation des entreprises
La nécessité de reprendre le contrôle de la donnée pour disposer d’une visibilité totale sur l’activité de l’entreprise et de son environnement est donc aujourd’hui devenue vitale, et avec elle le besoin de faire communiquer les silos. Et non pas les casser, car cela conduirait inévitablement à la création de nouveaux silos.
Ainsi, si une entreprise est organisée autour de ses lignes métiers, cela engendre souvent des difficultés de collaboration autour des données référentielles, telles que les produits. Mais si une réorganisation est effectuée autour des groupes de produits, la même difficulté de coopération se posera au sein des métiers.
L’objectif n’est donc pas de détruire ces silos qui présentent des défauts mais aussi de réels avantages au sein de l’organisation, certains départements n’ayant aucun besoin d’interaction avec un domaine qui ne les concerne pas. Il s’agit plutôt de les faire communiquer entre eux efficacement, afin que les données circulent de manière agile et qu’elles puissent être facilement composées pour en tirer une valeur supplémentaire et différentiante. Cela requiert parfois une réelle remise en question au sein de l’entreprise.
En arrière-plan, le Système d’Information doit s’ouvrir pour traduire concrètement cette vision au quotidien. La réconciliation entre les nouveaux univers digitaux/mobiles et les anciens systèmes dits « Legacy » favorise la propagation des API, qui sont à la fois les indicateurs et les moteurs concrets du changement vers l’entreprise plateforme.
Pour soutenir cette ambition, l’entreprise doit pouvoir s’appuyer sur des plateformes technologiques elles aussi plus ouvertes et adaptables. Avec l’ouverture du SI à de nouvelles entités ou de nouvelles technologies (partenaires commerciaux ou start-ups, cloud ou apps mobiles, objets…), il est devenu en effet vital de faire circuler librement et en toute sécurité la donnée et de permettre une interaction intelligente entre les différents systèmes, existants ou innovants.
Le plus court chemin pour parvenir à cette agilité est la mise en œuvre d’une plateforme d’intégration dans le Cloud, permettant de gérer les flux de données entre les différentes applications, qu’elles se trouvent dans le Corporate Network de l’entreprise (« Customer Managed ») ou dans le Cloud (“Partner Managed”).
De l’entreprise en silos à l’entreprise en réseaux
L’entreprise a progressivement intégré les codes de l’économie de la connaissance : fluidité, interconnexion, transparence, collaboration. En s’orientant vers un modèle de plateforme technologique, sociale et interactionnelle, l’entreprise optimise ses liens dynamiques avec l’extérieur et entre ainsi dans une logique d’innovation accrue (voir les exemples de Kiabi, SNCF, Blablacar ou encore Renault avec les VTC Marcel). C’est Microsoft qui a été l’un des précurseurs de ce modèle en imbriquant des logiciels distincts au sein d’une suite logicielle uniformisée, faisant naître ainsi la première plateforme de l’ère moderne.
La Data est, après l’humain, le capital le plus précieux de l’entreprise. C’est donc tout le fonctionnement de l’organisation qui doit être repensé avec cette idée en tête : interagir avec un écosystème élargi composé de clients, fournisseurs, partenaires, etc., via une politique de généralisation des APIs, qui rendent possibles ces interactions.
L’entreprise de demain : la plateforme d’intelligence collective
Est-il utile de rappeler que les entreprises qui ont adopté depuis une dizaine d’années un business model de plateforme (Uber, Facebook, Netflix…) ont vu leur taille et leurs revenus augmenter de façon spectaculaire ? Ce modèle n’est désormais plus réservé aux seuls domaines des réseaux sociaux, de la musique, des voyages ou du livre. Tous les secteurs sont concernés, et l’écosystème des plateformes se propage à la faveur de la numérisation des produits, des services et des processus d’entreprise.
La plupart des entreprises plateformes sont par essence numériques et capables de capter, échanger et monétiser la Data, y compris les données personnelles que chacun dépose volontairement ou non sur Internet, via Google, Facebook, et autres Amazon. La valeur de ce type d’approche se mesure par la capacité d’une organisation à interagir sans limite avec un environnement aussi riche que varié (individus, partenaires, prestataires, clients, etc.). Pour y parvenir, l’entreprise plateforme se bâtie généralement autour de suites logicielles, auxquelles viennent s’ajouter des services.
Les plateformes d’innovation représentent un autre modèle d’entreprises plateformes. Celles-ci se construisent sur des briques technologiques autour desquelles des sociétés innovantes du monde entier ont la possibilité de développer des services ou des produits complémentaires. Une entreprise qui ouvre sa technologie grâce aux APIs permet ainsi à de multiples acteurs de développer des applications dans son écosystème et d’entretenir le cercle vertueux de l’innovation. Apple en est l’exemple le plus significatif.
Il apparait donc clairement que c’est la puissance du réseau qui fait la force de l’entreprise plateforme. Plus il y a d’utilisateurs, plus la plateforme prend de la valeur et plus elle devient attractive aux yeux de nouveaux utilisateurs, permettant là aussi à un cercle vertueux de se mettre en place.
Certes, l’effet de réseau existait déjà avant l’apparition des plateformes en ligne, notamment dans le domaine de la téléphonie, mais avec quelques 1,47 milliard de smartphones écoulés en 2016 (source IDC), le phénomène a pris une toute autre dimension avec une connectivité présente dans toutes les mains, offrant un terrain de jeu immense pour les entreprises plateformes.
Elon Musk a lui-même comparé sa société Tesla à une plateforme, en intégrant parfaitement la nécessité de bien comprendre l’utilisation de ses véhicules par ses clients et leurs habitudes de conduite. Il analyse ainsi toute la donnée collectée pour améliorer le service et l’expérience qu’il proposera demain à ses clients, et distribuer la valeur partout où elle fait sens.
Il y a quelques années, il aurait été difficilement imaginable pour un constructeur automobile de pouvoir collecter toutes les données disponibles, et en particulier celles de ses clients finaux. Dorénavant, la démarche est un pré-requis pour la pérennité de n’importe quelle organisation, de n’importe quel secteur.
Les 3 grandes catégories d’entreprises plateformes
– Transactionnelle : les services, les produits ou les technologies de ces entreprises servent d’intermédiaires pour simplifier les échanges et transactions entre les utilisateurs, les fournisseurs et les acheteurs, telle une place de marché moderne. Exemples : Netflix, LinkedIn, Paypal, Uber, Airbnb, etc.
– Innovation : les produits ou services de ces entreprises servent de base à d’autres entreprises, n’ayant pas les moyens de devenir elles-mêmes des entreprises plateformes, en leur permettant de développer des produits, technologies ou services complémentaires. Exemples : SAP, Microsoft, Oracle, Salesforce, Intel, etc.
– Intégrée : ces entreprises intègrent l’aspect transactionnel et innovation en proposant une plateforme et un écosystème de développement pour la création de services et de contenus sur cette plateforme. Exemples : Google, Amazon, Apple, Alibaba, Facebook, etc.
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Bertrand Masson est Co-Fondateur et Directeur Stratégie de Moskitos