C’est l’annonce qui a fait vibrer toute la Tech et l’univers IT en fin de semaine dernière : Nvidia va investir 5 milliards de dollars dans Intel. Mais au-delà de l’impact financier, quels bouleversements technologiques ce rapprochement pourrait bien engendrer ?
Alors que le monde IT se remet de l’annonce du jour et du partenariat à 100 milliards signé entre OpenAI et Nvidia, il est temps de poser un second regard plus technologique sur l’autre alliance forte nouée la semaine dernière entre Nvidia et Intel. Elle marque un basculement majeur dans l’industrie des semi-conducteurs, alors que ces deux concurrents de longue date, en compétition féroce depuis si longtemps, se retrouvent dans une nouvelle ère de collaboration.
L’annonce de l’investissement de 5 milliards de dollars de Nvidia dans le capital d’Intel s’accompagne du lancement d’une vaste coopération technique couvrant le développement conjoint de plusieurs générations de puces CPU-GPU. Ce rapprochement inaugure non seulement une nouvelle ère dans les architectures matérielles, mais il est peut-être la bouée de sauvetage que l’architecture x86 n’espérait plus.
Désormais, entre Intel et Nvidia, l’objectif explicite n’est plus la simple supériorité en puissance de calcul brute, mais la capacité à définir des écosystèmes harmonisés où les éléments matériels, logiciels et l’intelligence artificielle convergent pour accélérer toutes les charges applicatives modernes. Avec en arrière plan, l’idée de verrouiller la suprématie de leurs technologies dans les datacenters de l’IA.
Collaboration technologique et scénarios d’intégration
Le rapprochement technologique entre Nvidia et Intel va au-delà d’un simple échange stratégique : il s’inscrit dans une vision long terme où chaque entreprise apporte le meilleur de ses piliers.
D’un côté, la domination de Nvidia dans les GPU et les technologies d’interconnexion avec en domination la technologie CUDA.
De l’autre, la force historique de l’architecture x86 et les dernières technologies d’accélération IA et de sécurisation des processeurs Xeon.
Il s’agit pour les deux entreprises de sortir d’un schéma où les GPU étaient uniquement des périphériques optionnels sur bus PCI Express et de créer des plates-formes nativement pensées pour le calcul hybride, la mémoire partagée, la bande passante décuplée et une orchestration logicielle commune. L’attention est portée tant sur les PC (notamment les laptops gaming, les stations de travail et les machines légères) que sur les serveurs d’entreprise et hyperscale, avec pour point d’orgue la modernisation des datacenters de l’IA.
Jensen Huang, CEO de Nvidia, souligne que « la première opportunité est de pouvoir créer de nouveaux supercalculateurs IA à l’échelle du rack grâce au CPU Intel x86 et l’écosystème NVLink », tandis que Lip-Bu Tan, CEO d’Intel, insiste sur « l’objectif de développer plusieurs générations de processeurs communs couvrant le centre de données comme le PC grand public ».
Synergies dans les datacenters via NVLink Fusion
L’intégration CPU-GPU ne se limite pas à un simple empilement de composants. Elle repose sur la technologie NVLink Fusion de Nvidia, une interface d’interconnexion à très haut débit destinée à relier CPU et GPU de façon nettement plus efficace que les standards précédents (PCIe).
L’intégration de NvLink Fusion dans les CPU Intel permettra à ces derniers de disposer d’un canal de communication avec les GPU, doté d’une bande passante jusqu’à 14 fois supérieure à celle de PCIe Gen5, un vrai changement de paradigme pour toutes les charges applicatives intensives, qu’elles soient IA, graphique ou mixte. Dans cette nouvelle architecture, le CPU n’est plus un simple ordonnanceur de tâches, mais devient une partie intégrante de la structure de calcul accéléré, gérant les flux de données et les opérations séquentielles en parfaite symbiose avec les milliers de cœurs parallèles du GPU.
On sort alors du paradigme CPU-centric ou GPU-Centric pour aller vers une architecture nativement hétérogène, co-schedulée, et ultra-optimisée.
Les nouveaux processeurs Xeon seront ainsi modifiés ou adaptés sur mesure pour l’intégration directe aux clusters IA Nvidia (NVL72, Blackwell, GB200), profitant du bus NVLink Fusion et de l’optimisation logicielle CUDA.
Dans les data centers de nouvelle génération, cela permet non seulement de mutualiser la mémoire entre CPU et GPU, mais aussi d’assurer un partage très fin de la charge de travail, de la planification de tâches à la gestion de l’espace adresse mémoire sur un même domaine, un point crucial pour les modèles d’IA à plusieurs trillions de paramètres.
Développement de SoC x86 RTX : CPU et GPU fusionnés
Que ce soit sur les serveurs comme sur les PC, les deux partenaires veulent multiplier les scénarios où CPU et GPU ne sont plus des composants « distincts » (discrets) mais sont packagés sur une même puce, un même « System-on-Chips » (SoC).
L’idée est d’obtenir des puces x86 qui intègreront directement des chiplets de GPU Nvidia en s’appuyant sur la maîtrise d’Intel dans les chiplets avec sa technologie Foveros.
Intel et Nvidia ont ainsi annoncé l’arrivée de puces « x86 RTX » combinant CPU x86 et GPU RTX dans un même package. Cette annonce d’intégration d’iGPU RTX Nvidia dans les futurs SoC Intel constitue une vraie rupture sur le marché : Nvidia va désormais proposer ses technologies phares (cœurs CUDA, Tensor cores, Ray Tracing, DLSS, NVENC/DEC) directement sur des puces intégrées signées Intel, et plus seulement en dGPU.
Ce type de SoC vise à révolutionner le marché des laptops gaming et ultraportables ainsi que les machines compactes (mini-PC, consoles PC), permettant des performances graphiques proches du GPU dédié dans des formats ultra-compacts et une consommation énergétique réduite. La mémoire partagée décuple les performances et réduit la latence pour le flux GPU (IA, rendu 3D, accélération vidéo avancée).
Sur le marché professionnel, les stations de travail mobiles pourraient également bénéficier de cette densification, libérant des formats plus fins, tout en maintenant une puissance graphique élevée et un accès direct aux technologies AI de Nvidia comme TensorRT, CUDA-X et DLSS.
Pour Intel, ce partenariat va changer la donne alors qu’AMD a capitalisé sur ses APUs Ryzen pour prendre les devants sur le marché des PC de Gaming et envahir le marché des consoles de jeux (de salon comme la nouvelle vague des consoles de jeu portables en technologie PC) et alors qu’ARM/Qualcomm s’est emparé de l’ultramobilité et menace de dominer l’univers des Copilot+ PC.
Verrouiller l’univers de l’IA
Intel est l’un des grands perdants de la course à l’IA malgré ses tentatives comme les GPU Gaudi. Alors, pourquoi ne pas signer un pacte avec le leader incontesté ?
Car avec cet accord, Nvidia orchestre avec finesse une alliance qui pourrait sceller durablement sa suprématie dans l’intelligence artificielle. Jensen Huang veut ainsi « fusionner deux plateformes de classe mondiale » en mariant sa pile de calcul IA, portée par l’architecture logicielle propriétaire CUDA, aux processeurs d’Intel et à l’immense écosystème x86. En s’adossant à la plateforme la plus répandue au monde, Nvidia s’ouvre directement aux millions de clients d’entreprise et centres de données déjà ancrés dans l’univers x86, évitant ainsi de les pousser vers des migrations coûteuses vers ARM ou d’autres architectures. Cette intégration native renforce sa position et dresse de solides barrières face à la concurrence.
Car la véritable arme IA de Nvidia reste CUDA, son écosystème logiciel verrouillant développeurs et entreprises dans son univers. La menace ? L’apparition d’une alternative ouverte et performante. En s’alliant à Intel, détenteur de la plus vaste base installée et du plus riche écosystème logiciel, Nvidia neutralise ce risque : grâce à des technologies comme NVLink, CUDA devient la voie la plus performante et la plus naturelle pour exécuter des charges IA sur x86. Intel, autrefois concurrent potentiel, se transforme en canal de distribution privilégié pour CUDA.
Un pari sur l’avenir
Bien que l’enthousiasme soit palpable, les fruits de cette collaboration ne seront pas immédiats. Les deux entreprises ont annoncé un partenariat portant sur « plusieurs générations » de produits, indiquant une vision à long terme. Cependant, elles sont restées vagues sur un calendrier de commercialisation précis. Selon certaines estimations, les premiers produits issus de cette alliance ne devraient pas arriver sur le marché avant la fin de l’année 2027 ou le début de 2028.
En outre, il est encore trop tôt pour savoir jusqu’à quel point ce partenariat va contribuer à redéfinir les futures lignes de produits de Nvidia et Intel sur le long terme, sachant qu’il est trop tard pour influer sur les lignes à court terme. Ainsi, Intel a déjà confirmé que sa gamme de GPU « ARC » se poursuivrait dans les années à venir.
Autre point fondamental de l’accord, et souvent source de confusion, est qu’il n’inclut pas, à ce stade, d’engagement de fabrication à grande échelle des futurs GPU de Nvidia par la division de fonderie d’Intel, Intel Foundry Services (IFS). Même si Nvidia et même Intel ont réaffirmé leurs engagements envers TSMC, rien n’indique que les portes d’une collaboration future entre Nvidia et IFS soient fermées. C’est même l’inverse : Nvidia est activement en train d’évaluer et de tester les nœuds de gravure les plus avancés d’Intel, notamment les futurs procédés 18A (1,8 nm) et 14A (1,4 nm), tout comme l’entreprise le fait avec les futures technologies TSMC. Mais, dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes autour de Taïwan (où se trouvent la majorité des usines de TSMC) et de pressions du gouvernement Trump pour du « USA only », disposer d’une alternative de pointe sur le sol américain est une sorte de « police d’assurance » de grande valeur pour Nvidia.
Une concurrence envoyée dans les cordes
Il ne fait aucun doute que l’alliance Nvidia-Intel vise principalement à contenir et à affaiblir AMD. Cette dernière est universellement perçue par les analystes et le marché comme la victime collatérale la plus directe de cet accord. AMD se retrouve dans une position stratégique délicate, prise en tenaille entre les deux plus grands acteurs de l’industrie.
À long terme, cette alliance représente un défi stratégique majeur pour l’hégémonie de TSMC dans la fabrication des puces. Elle est explicitement conçue pour « semer les graines » afin qu’Intel Foundry Services (IFS) devienne une alternative crédible.
De même, ce partenariat constitue une menace accrue pour ARM et pour Qualcomm. Il marque un renforcement considérable et inattendu pour un écosystème x86 mis sous pression ces dernières années par la montée en puissance de l’architecture ARM, notamment dans les centres de données (avec les puces maison d’AWS, Azure, Google mais aussi les superpuces Grace/Blackwell) et sur les PC (avec les puces Apple Silicon dans l’univers macOS et la montée de Qualcomm avec ses Snapdragon X dans l’univers Copilo+ PC). En rendant les CPU x86 d’Intel nativement plus performants pour les charges de travail d’IA grâce à une intégration profonde avec les GPU Nvidia, l’alliance vise aussi à freiner cette percée d’ARM.
Bien sûr, dans l’univers de la Tech tout est possible et rien n’est inscrit dans le marbre. Mais si ce partenariat monte en puissance et se concrétise réellement, il changera le paysage actuel de l’informatique et va pousser les autres acteurs à bouger… et pourquoi pas s’unir aussi…
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