La privatisation d’Electronic Arts via un LBO record de 55 Md$ par PIF, Silver Lake et Affinity Partners – des investisseurs qui confèrent au dossier une portée géopolitique – redessine l’équilibre du jeu vidéo post-COVID. Entre discipline financière et dépendance aux franchises, la pression s’intensifie sur les pipelines et l’emploi. La concentration s’accélère dans le secteur, avec un risque accru pour les projets créatifs et les studios secondaires. Pas du tout sûr que les gamers en sortiront gagnants…

Le marché du jeu vidéo traverse une crise profonde après l’euphorie de la période COVID. Les studios, qui avaient multiplié les embauches et les projets, subissent aujourd’hui une vague de licenciements et de fermetures. Les temps sont durs pour tous les éditeurs comme le démontrent les difficultés de Ubi Soft et sa quête de capitaux étrangers.
Dans ce contexte, le précédent rachat d’Activision Blizzard par Microsoft pour près de 69 milliards de dollars en 2023 a marqué un tournant : il a accéléré la consolidation du secteur, tout en entraînant restructurations et rationalisation des catalogues.

C’est désormais l’autre géant du jeu vidéo, Electronic Arts, qui bascule. L’éditeur de Battlefield, The Sims et FIFA a annoncé son rachat par un consortium composé du fonds souverain saoudien PIF, du fonds de capital-investissement Silver Lake et d’Affinity Partners, dirigé par Jared Kushner, beau fils de Donald Trump !

L’opération, valorisée à 55 milliards de dollars, constitue le plus grand « leveraged buyout » (LBO ou rachat par endettement) jamais réalisé. Les actionnaires recevront 210 dollars par action, soit une prime de 25 % sur le cours précédent l’annonce. Le financement repose sur 36 milliards de capitaux propres et 20 milliards de dette fournie par JPMorgan. EA sortira ainsi de la cote après trente-six ans de présence en Bourse, tout en maintenant Andrew Wilson à la direction et son siège à Redwood City. La transaction – si elle est approuvée par les autorités régulatrices – devrait être effective au premier trimestre 2027.

Au-delà des chiffres, les implications sont multiples. Sur le plan industriel, EA se retrouve sous pression pour maximiser la rentabilité de ses franchises phares. Les analystes estiment que le lancement imminent de Battlefield 6 et la solidité du portefeuille sportif pourraient générer plus de deux milliards de dollars de revenus supplémentaires d’ici 2028. Mais l’endettement massif incitera à privilégier les blockbusters et les modèles à revenus récurrents, au détriment des projets plus risqués ou créatifs. Les précédents de Toys “R” Us ou TXU, étranglés par des LBO comparables, nourrissent d’ailleurs les inquiétudes de bien des observateurs. La plupart des observateurs s’attendent à voir se poursuivre les lourdes vagues de licenciements qui ont touché l’univers du jeu vidéo en 2024 et 2025 notamment chez Microsoft, EA, Unity, Playstation, Epic, Embracer et Take-Two. Plus de 14.000 postes ont été supprimées dans le secteur du jeu vidéo en 2024. L’hécatombe s’est largement poursuivie en 2025.

Politiquement, l’entrée en force du PIF illustre la stratégie saoudienne de diversification hors pétrole et son offensive dans le sport et le divertissement. Riyad a déjà investi des milliards dans l’e-sport (EA en étant le principal éditeur et animateur), le golf ou le football. Cette expansion soulève des critiques récurrentes de “sportswashing”, visant à détourner l’attention des violations des droits humains. L’implication d’Affinity Partners, fonds de Jared Kushner, ajoute une dimension géopolitique supplémentaire, susceptible d’attirer l’attention du Comité sur les investissements étrangers aux États-Unis (CFIUS).

D’une manière ce méga-rachat n’a pas de quoi réjouir les joueurs. La concentration du secteur autour de quelques grands acteurs mondiaux a tendance à avoir contribuer à une standardisation accrue des contenus, une dépendance renforcée aux franchises sportives et une fragilisation des studios secondaires. Dans un marché déjà secoué par la baisse de la consommation post-COVID, l’avenir d’EA illustre la tension entre innovation créative et impératifs financiers. Electronic Arts a tenu à rassurer ses équipes et ses partenaires. « C’est l’un des investissements les plus importants jamais réalisés dans l’industrie du divertissement. Nos nouveaux partenaires croient en nos équipes, en notre leadership et en la vision de long terme que nous construisons ensemble », a déclaré Andrew Wilson, qui restera à la tête de l’entreprise.

Le jeu vidéo, longtemps moteur d’innovation culturelle et technologique, s’impose aujourd’hui comme un actif stratégique et ce sont les financiers, plus que les joueurs, qui tiennent désormais la manette.

 

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