Si l’opération est validée par les instances internationales de régulation, ce sera la plus grosse acquisition jamais réalisée par Microsoft. Un investissement qui en dit long sur les prétentions de l’éditeur dans l’univers du jeu mais aussi dans le Metaverse…

Lorsque Satya Nadella a pris les rênes de Microsoft en février 2014, de nombreux analystes étaient convaincus que l’homme se séparerait de la division Xbox pour en faire une entreprise indépendante. Il est vrai qu’il s’était jusque là montré peu intéressé par le jeu vidéo et peu convaincu de la pertinence de cette division pour la mission qu’il voulait donner à l’entreprise : « to empower every person and every organization on the planet to achieve more » (donner à chaque personne et à chaque organisation sur la planète les moyens d’en faire plus).

Huit ans plus tard, convaincu par les équipes de Phil Spencer du rôle clé de la Xbox, non seulement Satya Nadella a conservé la division au sein de Microsoft mais il y a plus investi que tous ses prédécesseurs. Dès 2014, Satya avait démontré son engagement en rachetant Mojang, l’éditeur de Minecraft pour 2,5 milliards de dollars. L’an dernier, Microsoft avait déjà secoué fortement l’univers des gamers en s’offrant ZeniMax Media, la maison mère des studios Bethesda (The Elder Scrolls, Fallout…), ID Software (Wolfenstein, Doom, Quake…) et Arkane (Dishonored, Prey…) pour 8 milliards de dollars.

L’acquisition d’un mythe

Mais hier, Microsoft a déclenché un puissant tremblement de terre virtuel en s’offrant le groupe « Activision / Blizzard » pour la somme astronomique de 68,7 milliards de dollars !
Bien sûr, le deal doit encore être approuvé par les différentes instances de régulation des marchés. Ça ne sera pas nécessairement chose facile tant Microsoft met la main sur un vaste catalogue de licences mythiques : Call of Duty, Crash Bandicoot, Diablo, Hearthstone, Overwatch, StarCraft, Spyro, World of Warcraft… Et tant d’autres !
Après tout, Activision – née en 1979 – est l’une des plus anciennes enseignes de l’univers du jeu vidéo et s’est fait connaître avec la console Atari 2600 et des titres légendaires tels que HERO, Kaboom!, Pitfall ou encore Keystone Kapers…
De quoi inquiéter sérieusement Sony qui voit de prestigieux studios tombés dans le giron Xbox, mais aussi des concurrents comme E.A. ou UbiSoft qui ne manqueront pas d’alerter les autorités sur la domination du marché ainsi acquise par la firme dirigée par Satya Nadella.

Un deal colossal

Par comparaison, Microsoft a dépensé 26,2 milliards de dollars pour acquérir Linkedin (en 2016), 19 milliards de dollars pour Nuance (en 2021), 8,5 milliards de dollars pour Skype (en 2011), 7,5 milliards de dollars pour GitHub (en 2018) et 7,2 milliards de dollars pour la division mobile de Nokia en 2014.

Le deal mérite l’attention parce qu’il est non seulement la plus grosse acquisition de Microsoft, le plus gros deal de l’histoire du jeu vidéo mais aussi le plus gros deal de l’histoire de la Tech, supérieur à celui de la fusion DELL/EMC pour 67 milliards de dollars en 2015 !

Des impacts multiples sur toute l’industrie

De quoi assurer la domination de Microsoft dans l’univers des studios de jeux vidéos mais aussi faire de l’entreprise le troisième plus grand acteur de l’univers du gaming (en termes de revenus), juste derrière le géant chinois Tencent et le Japonais Sony.

Mieux encore, cette acquisition fait aussi de Microsoft l’un des leaders du jeu vidéo sur mobiles puisque dans l’escarcelle « Activision/Blizzard » la firme de Satya Nadella met aussi la main sur King, l’éditeur de l’incontournable Candy Crush ! Et ce n’est pas un détail : cela procure à Microsoft une puissance de feu qui peut faire plier Apple et Google alors que l’éditeur est en guerre contre les pratiques dirigistes et contraignantes de ces leaders du monde du smartphone sur leurs Apps Store respectifs. Notamment, Microsoft est en conflit avec Apple qui refuse d’intégrer l’app de Cloud Gaming du géant de Redmond dans son store. « Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une forte concurrence mondiale de la part d’entreprises (ndlr : Apple et Microsoft) qui génèrent plus de revenus dans la distribution de jeux que nous ne le faisons de notre part des ventes de jeux et des abonnements », a ainsi expliqué Satya Nadella lors d’une conférence téléphonique avec les investisseurs suite à l’annonce du deal.

Metaverse et Cloud Gaming

Le deal se présente alors qu’Activision est embourbé depuis plusieurs mois dans des affaires de harcèlement sexuel au plus haut niveau. Si l’on ne connaît pas encore les résultats de l’éditeur en 2021, ce dernier avait réalisé un bénéfice de 2,2 milliards de dollars en 2020 pour un chiffre d’affaires de 8 milliards de dollars ! L’entreprise compte 400 millions de joueurs actifs tous les mois sur ses plateformes.

Cette acquisition fait désormais de Microsoft Gaming une puissante division au sein de Microsoft. D’ailleurs, Phil Spencer qui était jusqu’ici désigné comme « Head of Xbox » prend désormais le titre plus officiel de « CEO, Microsoft Gaming ».

Le Deal va permettre encore un plus à Microsoft d’imposer son service Xbox Game Pass Ultimate (consoles, PC et cloud gaming) le Netflix du jeu vidéo. Celui-ci compte aujourd’hui 25 millions d’abonnés. Microsoft veut peu à peu imposer sa technologie de cloud gaming (aujourd’hui disponible sur Xbox, PC, navigateurs Web et mobiles Android) sur les téléviseurs et les box des opérateurs. Avec la généralisation de la fibre et l’expansion de la 5G, le cloud gaming devient en effet de plus en plus praticable et rend le jeu vidéo plus accessible, car totalement indépendant du matériel.

Dans un mémo interne, Satya Nadella explique que « le jeu vidéo est un élément clé de Microsoft depuis les premiers jours de l’entreprise. Aujourd’hui, il s’agit de la forme de divertissement la plus importante et à la croissance la plus rapide. À mesure que les mondes numérique et physique se rejoignent, il jouera un rôle essentiel dans le développement des plateformes métavers ». Autrement dit, l’une des motivations de cette acquisition s’étend au-delà du jeu vidéo et vient alimenter les investissements réalisés par Microsoft sur le concept très en vogue (d’un point de vue purement marketing) de « Metaverse ».

« Il est évident que l’accord d’aujourd’hui en vue de l’acquisition d’Activision Blizzard est incroyablement excitant. En fait, c’est une étape importante pour notre société, notre entreprise et notre secteur », ajoute de son côté Phill Spencer, qui se retrouve désormais à la tête d’une hydre géante de plusieurs dizaines de studios de jeux vidéos. « Ensemble, nous pouvons accélérer notre mission de procurer de la joie et de rendre la communauté du jeu accessible à tous. Nous avons la capacité et l’opportunité de construire tout simplement le meilleur écosystème de divertissement, le plus engageant et le plus amusant qui soit ».